Les sphères de Dyson sont bien connues des amateurs de SF. Elles ont été introduites très sérieusement par une figure marquante de la physique du XXe siècle qui vient de décéder : Freeman Dyson. Esprit original et rebelle, il a été le collègue des plus grands noms de la physique et des mathématiques au célèbre Institute for Advanced Study de Princeton, d'Einstein à Witten en passant par Gödel et Wheeler.


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    « J'ai grandi dans les années 30, ce qui était vraiment une période noire. Après avoir survécu à cela, vous ne pouvez jamais vraiment prendre le pessimisme au sérieux. La première guerre mondiale a été la grande expérience tragique pour l'Angleterre, alors nous avons grandi sous son ombre. Une vision tragique de la vie était partout, il n'y avait que du tragique... J'étais un fataliste complet. Je ne m'attendais pas à survivre. Quand nous avons vu la seconde guerre mondiale arriver, nous pensions que ce serait bactériologique, et nous nous attendions tous à mourir de la pestepeste ».

    Ceci est un extrait du début d'une interview publiée en 1998 par le magazine Wired, dans laquelle Freeman Dyson était interrogé par Stewart Brand, célèbre écologiste parfois qualifié de hippie technophile et l'un des penseurs de l'écomodernisme.

    Cette déclaration de Freeman Dyson, mathématicienmathématicien et physicienphysicien des plus influents du XXe siècle -- qui vient hélas de décéder à Princeton ce 28 février 2020 à 96 ans --, surprendra peut-être ceux qui le connaissent surtout pour avoir proposé le concept des fameuses sphères de Dyson. Il est aussi connu pour avoir pris une part active en 1958 au projet Orion (voir la vidéo ci-dessous) qui visait à construire un vaisseau spatial interplanétaire se propulsant grâce à des explosions nucléaires successives, à l'arrière du vaisseau, et qui le pousseraient vers l'avant. Un tel mode de propulsion devait permettre de se rendre sur Mars en quelques mois seulement.

    Dyson était aussi un optimiste en ce qui concerne les biotechnologiesbiotechnologies, l'utilisation de l'énergie solaire et de l'InternetInternet pour résoudre les problèmes de l'Humanité au XXIe siècle comme il l'expliquait dans Le soleil, le génome et Internet, l'un des nombreux livres écrits pour le grand public.


    Une interview de Freeman Dyson. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Quanta Magazine

    Un mathématicien tourné physicien sans doctorat et collègue d'Einstein

    Mais, dans le monde scientifique, Dyson est surtout connu comme un esprit original, créateur et rebelle, sans doctorat, qui s'est d'abord fait un nom en rendant compréhensibles et rigoureux les travaux révolutionnaires de Richard Feynman en électrodynamique quantique et qui, pour certains, aurait mérité d'avoir le prix Nobel de physique. Il faut dire de plus que ses contributions scientifiques notables ont porté aussi bien sur la physique du solide, l'astrophysiqueastrophysique, l'ingénierie des réacteurs nucléaires et les mathématiques appliquées.

    Au décès de Dyson, les commentaires faits en hommage par son collègue de Princeton, le génial théoricien des supercordes et lauréat de la médaille Fields en mathématique, Edward Witten, donnent une idée de l'importance de ses travaux : « Freeman Dyson a apporté des contributions fondamentales dans une très grande variété de domaines de la physique et des mathématiques. Ses contributions étaient si variées qu'il est pratiquement impossible pour une seule personne de les résumer adéquatement. L'électrodynamique quantique, la mécanique statistique quantique, l'approximation diophantienne des nombres et les ensembles matriciels aléatoires ne sont que quelques uns des domaines auxquels Freeman a contribué au plus haut niveau. Mais vraiment, il a laissé sa marque presque partout ».

    Britannique d'origine, né le 15 décembre 1923, Dyson va montré très tôt des dons et des intérêts pour les mathématiques et la physique. Il racontera plus tard comment il a appris tout seul la théorie des équations différentielles dans le livre de H.T.H. Piaggio parce qu'il voulait comprendre la théorie de la relativité généralerelativité générale d'EinsteinEinstein. Entré à Cambridge et son Trinity College en 1941, il ne va rien de moins qu'étudier la physique avec Paul DiracPaul Dirac et Arthur Eddington et se trouver un mentor en la personne du célèbre mathématicien anglais G.H. Hardy, qui avait auparavant été le mentor d'un autre prodige : Srinivasa RamanujanSrinivasa Ramanujan. Il y croisera aussi une de ses idoles, le philosophe Ludwig Wittgenstein.

    Ses contributions étaient si variées qu'il est pratiquement impossible pour une seule personne de les résumer adéquatement (…). Il a laissé sa marque presque partout

    En 1947, après avoir participé à l'effort de guerre comme scientifique du contingent pendant deux ans et avoir décroché sa licence en mathématique, il part pour les États-Unis où son destin l'attend. Il commence des recherches sur l'électrodynamique quantique avec Hans Bethe qui avait dirigé la division de physique théorique du projet Manhattan et à qui l'on doit la découverte des réactions thermonucléaires faisant briller les étoilesétoiles. Il va surtout faire la rencontre de Richard FeynmanRichard Feynman qui, à ce moment-là, terminait de formuler ses idées sur la théorie quantique des champs et des particules élémentairesparticules élémentaires dans le domaine de l'électrodynamique quantique avec ses fameux diagrammes de Feynmandiagrammes de Feynman que personne, pas même le légendaire Robert Oppenheimer à Princeton, ne comprenait alors. Dyson va montrer que les théories de Feynman sont équivalentes à celles proposées au même moment pour résoudre les mêmes problèmes par Shin'ichirō Tomonaga et Julian Schwinger, ce qui leur vaudra le prix Nobel de physique en 1965 avec Feynman.

    Impressionné par les contributions de Dyson, Oppenheimer lui offrira un poste à l'Institut de Princeton sans que celui-ci n'ait eu besoin de rédiger une thèse et où il sera donc collègue d'Einstein, Gödel et de bien d'autres grands noms comme James Peebles. Un poste qu'il gardera tout au long de sa vie avant de se consacrer plus à l'écriture de livres qu'à la recherche à partir des années 1970, sentant sans doute ses forces décliner et suivant, comme il l'a déclaré, l'avis que lui avait donné Hardy : « Les jeunes hommes devraient prouver des théorèmesthéorèmes, les hommes âgés devraient écrire des livres ». Certains seront traduits en français comme La vie dans l'UniversUnivers : réflexions d'un physicien et Portrait du scientifique en rebelle ou encore Les Dérangeurs de l'univers.

    Les sphères de Dyson, une technosignature possible d'E.T avancés

    Il y a probablement une seule ombre à ce brillant tableau d'un esprit suffisamment original pour avoir tenté de mettre en évidence directement des ondes gravitationnelles en se servant de la Terre comme détecteur, ou encore pour avoir proposé de chercher des preuves de l'existence de la vie sur Europe, la lunelune de JupiterJupiter, en examinant des fragments de banquisebanquise éjectés dans l'espace par des impacts de météoritesmétéorites et à qui l'on doit également le célèbre temps de Dyson donnant une estimation de la duréedurée pendant laquelle un univers en expansion infinie peut abriter une vie intelligente. Bien que modéré, Freeman Dyson était tout de même un climatosceptique déclaré.

    Rendons-lui une dernière fois hommage en reprenant ce que Futura avait déjà expliqué au sujet de sa célèbre proposition en 1960 par une lettre publiée dans le journal Science. Influencé par le livre de science-fiction intitulé Star Maker, de Olaf Stapledon, et par le bouillonnement de la naissance du programme Seti, Freeman Dyson s'était mis à vérifier si les idées évoquées dans l'ouvrage de Stapledon étaient crédibles du point de vue de la physique, sans se soucier des redoutables problèmes technologiques rencontrés pour les concrétiser.

    En extrapolant la courbe de croissance de la consommation d'énergie et de matièrematière de l'humanité, fatalement, on aboutit à la conclusion que nous finirons par avoir besoin de toute l'énergie libérée par le SoleilSoleil chaque année. Dyson a alors calculé qu'en utilisant une massemasse de matière équivalente à celle de Jupiter, il est possible d'entourer notre Soleil d'une coque semi-solide, d'une épaisseur de 2 à 3 mètres, capable de piéger le rayonnement de notre étoile.

    Illustration d’une sphère de Dyson construite autour d’une étoile, hypothèse envisagée pour expliquer les étranges variations de luminosité de l’étoile KIC 8462852. © capnhack.com
    Illustration d’une sphère de Dyson construite autour d’une étoile, hypothèse envisagée pour expliquer les étranges variations de luminosité de l’étoile KIC 8462852. © capnhack.com

    Or, d'après les lois de la thermodynamiquethermodynamique, même en utilisant une grande partie de l'énergie ainsi disponible, la coque s'échauffera et ré-émettra dans l'infrarougeinfrarouge comme un corps noircorps noir d'excellente qualité. Le spectrespectre d'une étoile est proche de celui d'un corps noir, mais une observation un peu fine montre rapidement qu'il est en réalité haché par une série de raies d'absorptionabsorption voire, parfois, de bandes. Ce ne serait pas le cas avec l'objet étudié par Dyson.

    La méthode qu'il propose pour découvrir des civilisations extraterrestres est donc de partir à la recherche d'objets froids rayonnant dans l'infrarouge comme un corps noir quasi parfait et dont la taille serait de l'ordre de quelques unités astronomiquesunités astronomiques.

    Le concept a fait fortune sous le nom de « sphère de Dyson » et il a notamment été popularisé par Carl Sagan dans ses ouvrages, par exemple CosmosCosmos. Cette idée est souvent mentionnée dans les discussions sur la classification des civilisations telle qu'elle a été proposée en 1964 par le grand astrophysicienastrophysicien et exobiologiste russe Nikolaï Kardachev, hélas, décédé lui-aussi.