On ne connaît l'existence que d'une poignée de trous noirs dits intermédiaires dans le voisinage de notre Galaxie. Ces astres compacts, à l'origine toujours mystérieuse et qui pourraient donner la clé de l'énigme de la naissance des trous noirs supermassifs au cœur des grandes galaxies, font l'objet d'une chasse par les astrophysiciens. On pensait en connaître un dans un des amas globulaires de la Voie lactée, mais sans en avoir une preuve décisive. Le télescope Hubble a permis de confirmer son existence.


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    Les trous noirs sont fréquemment sur le devant de la scène médiatique scientifique. Quel changement depuis le tout début des années 1960 ! Le prix Nobel de physique Kip Thorne a raconté que l'atmosphèreatmosphère était telle à ce moment-là qu'un éminent chercheur lui avait déconseillé de s'embarquer dans une thèse en astrophysique relativiste, notamment parce qu'il y avait peu de chance que la théorie de l'effondrementeffondrement des étoiles massives en trou noir développée par Oppenheimer et ses élèves soit pertinente et que de toute façon il n'y aurait aucun moyen, ou presque, d'en avoir la preuve expérimentale.

    Aujourd'hui, on fait des images de l'ombre de l'horizon des événements des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs et on peut même observer les émissions du disque d'accrétion du premier trou noir stellairetrou noir stellaire détecté, Cygnus X1, avec un des télescopestélescopes de 1 mètre du DUAO de l’Observatoire de la Côte d’Azur. Rappelons que les trous noirs stellaires se produisent à la suite de l'effondrement d'une étoile d'au moins 10 massesmasses solaires quand elle est en fin de vie. Ceux que l'on connaît dans la Voie lactéeVoie lactée contiennent une dizaine de masses solaires, mais l'astronomie des ondes gravitationnellesondes gravitationnelles en a mis en évidence qui contiennent plusieurs dizaines de masses solaires.

    Une illustration montrant la relation entre la masse des trous noirs supermassifs et la masse des bulbes (<em>bulge,</em> en anglais) galactiques. © K. Cordes, S.
    Une illustration montrant la relation entre la masse des trous noirs supermassifs et la masse des bulbes (bulge, en anglais) galactiques. © K. Cordes, S.

    Des germes de trous noirs supermassifs ?

    Les trous noirs supermassifs connus contiennent, eux, un million à plusieurs milliards de masses solaires et on ne sait toujours pas vraiment comment ils sont nés ni comment ils ont évolué, bien que l'on ait plusieurs idées à ce sujet. Remarquablement, une curieuse relation a été découverte entre la masse des trous noirs supermassifs trouvés dans les galaxies spiralesgalaxies spirales et la masse dans le bulbe de ces galaxies. Il est d'un facteur 1 000 environ, très souvent. Cette relation laisse penser que trous noirs et galaxies naissent de pair, ce qui suggère que des galaxies de faible masse doivent posséder des trous noirs de masse intermédiaire, comprise entre une centaine de masses solaires et moins un million de masses solaires.

    On peut penser également que du fait des fusionsfusions de galaxies observées - surtout quand le cosmoscosmos était plus jeune -, ces trous noirs intermédiaires ont fusionné à leur tour pour donner des trous noirs supermassifs. On peut penser aussi que des courants de matièrematière froide tombant sur les galaxies ont fait croître ces trous noirs. Il se pose alors au moins deux questions. Les trous noirs de masse intermédiaire existent-ils vraiment et quelle est leur part dans les processus de croissance des trous noirs supermassifs ?

    Une équipe internationale d'astrophysiciensastrophysiciens menée par des chercheurs de l'université de l'Utah et de l'Institut Max-PlanckPlanck d'astronomie vient de contribuer à répondre à la première question avec une publication dans le célèbre journal Nature - publication que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv. Les chercheurs y confirment de façon plus solidesolide une découverte faite il y a presque 16 ans avec le télescope HubbleHubble, et dont Futura avait parlé à l'époque dans le précédent article ci-dessous.


    Une présentation de la découverte faite avec Hubble concernant M4. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa's Goddard Space Flight Center

    Il s'agit de la présence au cœur de ce qui apparaît en première approximation un amas globulaireamas globulaire de 10 millions d'étoiles d'un trou noir de masse intermédiaire, en l'occurrence dans Omega Centauri à environ 15 700 années-lumièreannées-lumière du Système solaireSystème solaire.

    Avec un diamètre d'environ 253 années-lumière, il est donc peuplé d'étoiles distantes de 0,1 année-lumière en moyenne, et avec une masse équivalente à 4 millions de masses solaires il est l'amas globulaire connu le plus massif et vaste de la Voie lactée.

    Des trous noirs trahis par la vitesse des étoiles en orbite

    En fait, l’année dernière, un candidat au titre de trou noir intermédiaire avait aussi été débusqué dans les observations de Hubble concernant l’amas globulaire M4, mais avec une masse nettement plus légère, environ 800 masses solaires, alors que dans le cas de Omega Centauri on parle maintenant d'un astreastre compact de 8 200 masses solaires.

    De nouveau, comme dans le cas du trou noir supermassif de notre Galaxie, ce sont les études des mouvementsmouvements de plusieurs étoiles qui ont mis en évidence l'effet de l'attraction d'une masse concentrée dans un volumevolume de seulement 3 mois-lumière de diamètre et ne rayonnant pas qui ont conduit à penser que l'on voyait l'influence d'un trou noir intermédiaire.


    Une plongée vertigineuse au cœur de Omega Centauri. © Max-Planck-Institut für Astronomie

    Il a fallu fouiller dans les données concernant les vitessesvitesses de 1,4 million d'étoiles en étudiant plus de 500 images Hubble de l'amas. Comme l'explique un communiqué de l'université de l'Utah, la plupart de ces images ont été réalisées dans le but de calibrer les instruments de Hubble plutôt que pour un usage scientifique.

    Au final, sept étoiles se déplaçant rapidement en raison de la présence d'une masse concentrée à proximité ont émergé des analyses (voir la fin de la vidéo ci-dessus. Pour une seule étoile, il serait impossible de dire si elle est rapide parce que la masse centrale est grande ou parce que l'étoile est très proche de la masse centrale. Mais sept étoiles avec des vitesses et des directions de mouvement différentes permettent de séparer les différents effets et de déterminer qu'il existe un trou noir central dans Omega Centauri.

    « Une seule étoile à grande vitesse dans l'image pourrait ne pas appartenir à Omega Centauri. Il pourrait s'agir d'une étoile extérieure à l'amas qui passe par hasard juste derrière ou devant le centre d'Omega Centauri. En revanche, les observations de sept de ces étoiles ne peuvent être une pure coïncidence et ne laissent aucune place à d'autres explications qu'un trou noir », ajoute le communiqué qui précise également que les études concernant ce trou noir vont se poursuivre avec le James-Webb.

    Une série de zooms emboîtés en direction de la région où se trouve le trou noir intermédiaire de Omega Centauri. © ESA/Hubble & NASA, M. Häberle (MPIA)
    Une série de zooms emboîtés en direction de la région où se trouve le trou noir intermédiaire de Omega Centauri. © ESA/Hubble & NASA, M. Häberle (MPIA)

    En vidéo : une graine de trou noir supermassif dans un amas globulaire ?

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, publié le 4 avril 2008

    Omega Centauri est un amas globulaire célèbre identifié comme tel par John Herschel. Mais il s'agirait en fait de tout autre chose : les restes d'une galaxie nainegalaxie naine débarrassée de sa matière noirematière noire et contenant un trou noir central de masse intermédiaire. Des galaxies de ce genre pourraient être les graines qui par fusion ont donné les trous noirs supermassifs des grandes galaxies.

    Jusqu'à aujourd'hui, à une exception près, deux types de trous noirs étaient observés dans l'UniversUnivers. Ceux de quelques masses solaires, les trous noirs stellaires, et ceux dépassant le million de masses solaires, que l'on trouve au centre des grandes galaxies, en général à l'origine des noyaux actifs de galaxiesnoyaux actifs de galaxies. Pourtant, c'est du moins la conviction intime des astrophysiciens relativistes, il devrait exister une gamme continue de masses de trous noirs entre ces deux extrêmes. D'autant plus que l'existence de trous noirs de masses intermédiaires serait un bon moyen de comprendre comment seraient apparus par fusion successives les trous noirs supermassif actuels.

    Les astronomesastronomes semblent enfin en avoir observé un sans l'ombre d'un doute grâce aux télescopes Hubble et Gemini. Ils ont en effet scruté attentivement les mouvements des étoiles centrales dans l'un des amas globulaires en orbiteorbite autour de la Voie Lactée. Il s'agit d'un objet astronomique connu dès l'antiquité et qui avait été classifié par PtoléméePtolémée comme une étoile : Omega Centauri, ou Oméga du Centaure. Situé à 17.000 années-lumière de la Terre, au-dessus du plan galactique, c'est l'amas globulaire le plus grand et le plus brillant visible à l'œilœil nu.

    Une vue rapprochée de Omega Centauri. © <em>Nasa, Esa, Hubble Heritage Team</em> (STScI/AURA), A. Cool (<em>San Francisco State Univ.)</em> et J. Anderson (STScI).
    Une vue rapprochée de Omega Centauri. © Nasa, Esa, Hubble Heritage Team (STScI/AURA), A. Cool (San Francisco State Univ.) et J. Anderson (STScI).

    Trop de générations pour un seul amas

    On savait depuis longtemps que Omega Centauri avait des caractéristiques particulières qui le distinguaient des autres amas globulaires. D'abord, il est fortement aplati et tourne plus vite que les autres amas. Mais surtout, il comporte plusieurs générations d'étoiles, ce qui ne cadre pas bien avec la théorie de la formation ancienne des amas globulaires. Or en mesurant les mouvements des étoiles proches de son centre, on s'est aperçu que celles-ci se déplaçaient plus vite que prévu. Ces vitesses s'expliqueraient facilement s'il existait au centre de l'amas un trou noir d'environ 40.000 masses solaires, un trou noir intermédiaire donc.


    Pour les astronomes, Omega Centauri a été longtemps exclu des groupes globulaires. Un nouveau résultat obtenu par le télescope spatial Hubble de la NASA / ESA et l'observatoire Gemini fournit une explication surprenante des particularités d'Omega Centauri. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © HubbleWebbESA

    Une telle découverte conduit les astrophysiciens à penser que Omega Centauri n'est en fait pas un amas globulaire mais le reste d'une galaxie naine qui aurait été capturée par la Voie Lactée et en grande partie débarrassée de sa matière noire par des forces de maréeforces de marée ainsi que d'une partie de sa population stellaire. En effet, la masse totale de Omega Centauri, avec son trou noir, n'est plus très éloignée de celle d'une galaxie naine.

    Les astrophysiciens estiment la masse initiale de Omega Centauri à dix millions de masses solaires. Si ce genre de galaxie obéit à la même loi qui relie la masse d'une galaxie à celle de son trou noir central, on trouve en effet alors un bon accord avec la masse de celui d'Omega Centauri.