La mission Dart (Double Asteroid Redirection Test) de la Nasa avait pour but principal de donner une preuve de principe qu'Homo sapiens avait la possibilité de ne pas disparaître de la même façon que les dinosaures, en déviant par un impact l'astéroïde Dimorphos. Mais les planétologues comptaient bien en savoir plus aussi sur la nature des astéroïdes en analysant les éjectas produits. Les télescopes de l'ESO ont commencé à être bavards à ce sujet, même si ce ne sont encore que des balbutiements.


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    Ceux qui avaient au moins 10 ans lorsqu'en 1979 est sorti le film Meteor mettant en scène la destruction d'un astéroïde menaçant la Terre avec des missiles portant des bombes atomiques ont sans doute vu quelques souvenirs refaire surface à ce sujet en assistant dans la nuit du 26 au 27 septembre 2022 à l'impact de la sonde Dart (Double Asteroid Redirection Test) de la Nasa. Elle a violemment percuté l'astéroïde Dimorphos, une petite lune de 160 mètres de diamètre en orbite autour de l'astéroïde Didymos à ce moment-là. La Nasa a confirmé par la suite que Dimorphos a bien été dévié.


    Une vidéo de présentation de la mission Dart de la Nasa. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa

    Contrairement à ce qui était montré dans le film Meteor, la destruction d'un géocroiseurgéocroiseur menaçant de grande taille, capable de produire un astroblème comme celui du Yucatán il y a environ 66 millions d’années, ne serait pas une bonne idée. En effet, plusieurs des fragments produits continueraient à être sur des orbites les menant à entrer en collision avec la Terre, causant là encore des dégâts considérables.

    Le scénario le plus réaliste, avec celui de « remorquage gravitationnel » dont parle Jean-Pierre LuminetJean-Pierre Luminet dans la vidéo ci-dessus, serait sans doute celui où un faible impact contrôlé - produit suffisamment loin de la Terre - conduirait le géocroiseur menaçant à se placer sur une nouvelle orbite où il ne serait plus un danger. Les résultats de la mission DartDart sont encourageants à cet égard.

    Mais ils ont un aspect intéressant aussi pour ceux qui veulent mieux comprendre les astéroïdes, ces briques de la formation planétaire dont certains sont des mémoires du temps où justement les planètes se formaient dans le disque protoplanétairedisque protoplanétaire autour du jeune SoleilSoleil, et qui ont apporté sur la Terre naissante de l'eau et des moléculesmolécules carbonées qui ont pu jouer un rôle complexe dans la chimiechimie prébiotiqueprébiotique sur notre Planète bleue. Chimie prébiotique à l'origine de la Vie et donc in fine de la noosphère.

    Illustration artistique montrant l'éjection d'un nuage de débris après la collision du vaisseau spatial Dart de la Nasa avec l'astéroïde Dimorphos. L'image a été créée à l'aide des photographies en gros plan de Dimorphos prises par la caméra Draco du vaisseau spatial Dart juste avant l'impact. La sonde Dart est entrée en collision avec Dimorphos à une vitesse de plus de six kilomètres par seconde (environ 22 000 km/heure). Après l'impact, plusieurs télescopes ont observé l'évolution du nuage de débris, dont le <em>Very Large Telescope</em> de l'ESO. © ESO, M. Kornmesser
    Illustration artistique montrant l'éjection d'un nuage de débris après la collision du vaisseau spatial Dart de la Nasa avec l'astéroïde Dimorphos. L'image a été créée à l'aide des photographies en gros plan de Dimorphos prises par la caméra Draco du vaisseau spatial Dart juste avant l'impact. La sonde Dart est entrée en collision avec Dimorphos à une vitesse de plus de six kilomètres par seconde (environ 22 000 km/heure). Après l'impact, plusieurs télescopes ont observé l'évolution du nuage de débris, dont le Very Large Telescope de l'ESO. © ESO, M. Kornmesser

    Des analyses spectrales et polarimétriques

    Deux équipes d'astronomesastronomes ayant observé les suites de la collision entre Dimorphos et Dart viennent de publier aujourd'hui deux articles à ce sujet. Les chercheurs y parlent des analyses qu'ils ont pu mener avec le Very Large TelescopeVery Large Telescope (VLT) de l'ESOESO et en particulier celle portant sur la composition chimique des fragments et poussières expulsés. Ils ont pour cela mobilisé les méthodes de la spectroscopie qui peuvent lire cette composition chimique dans les spectresspectres de la lumièrelumière émise par la matièrematière, en l'occurrence avec l'instrument Muse (Multi Unit Spectroscopic Explorer).

    Les astrophysiciensastrophysiciens ont également fait des mesures concernant une autre propriété de la lumière, sa polarisation. On peut considérer que la lumière est une sorte de flèche dont la longueur oscille périodiquement dans une direction perpendiculaire à la direction de la propagation d'un rayon lumineux. La lumière émise par un corps chauffé n'est pas polarisée, de sorte qu'en fait cette flèche oscille en changeant de direction aléatoirement dans un plan perpendiculaire à ce rayon. La lumière naturelle est ainsi non polarisée mais si on considère une lumière pour laquelle la flèche oscille toujours selon une droite de direction fixée dans ce plan, on a une lumière polarisée (elle serait circulairement polarisée si l'extrémité de la flèche décrivait un cercle en se propageant).


    Cette animation montre comment la polarisation de la lumière solaire réfléchie par l'astéroïde Dimorphos a changé après l'impact du vaisseau spatial Dart de la Nasa. Au début de la vidéo, la lumière du soleil non polarisée – représentée par des lignes bleues ondulées oscillant dans des directions aléatoires – est réfléchie par la surface de l'astéroïde. Ce faisant, il devient polarisé, les ondes réfléchies oscillant maintenant le long d'une direction préférée. L'indicateur, en bas à droite, indique le degré de polarisation de la lumière solaire réfléchie. L'impact Dart a éjecté un nuage de débris, et après la collision, la quantité de polarisation a chuté, comme on le voit avec l'instrument FORS2 sur le VLT de l'ESO. Cette baisse de polarisation pourrait être due à l'exposition d'un matériau plus vierge de l'intérieur de Dimorphos, ou à l'éjection de petites particules produites lors de l'impact. © ESO, M. Kornmesser

    Il se trouve que l'état de polarisation de la lumière peut changer après réflexion par une surface matérielle ou en traversant un corps matériel, notamment certains cristaux. La mesure de la polarisation peut donc nous donner des renseignements sur la physiquephysique et la chimie des corps, notamment en ce qui concerne la surface des astéroïdes ou l'atmosphèreatmosphère des planètes.

    Le communiqué de l'ESO, qui accompagne les deux articles publiés dans Astrophysical Journal Letters et Astronomy & Astrophysics Letters, donne la parole à plusieurs de leurs auteurs et nous reprenons donc ici certains de leurs commentaires.

    Des indications sur la composition chimique de Dimorphos

    Cyrielle Opitom, astronome à l'université d'Edimbourg et auteure principale de l'un des articles, explique ainsi que « les impacts entre astéroïdes arrivent naturellement, mais on ne peut jamais les prévoir. Dart est une très grande occasion d'étudier un impact contrôlé, presque comme dans un laboratoire ».

    Cyrielle Opitom et ses collègues ont utilisé Muse pour surveiller l'évolution des éjectats pendant un mois et ils ont constaté une évolution du spectre de la lumière des particules constituant le nuagenuage. Spectre montrant que la lumière diffusée était plus « bleutée » que celle émise par la surface de Dimorphos avant l'impact, puis est devenue progressivement plus « rouge » en quelques heures. Or, on sait que la lumière diffusée par des particules varie en longueur d'ondelongueur d'onde avec la taille des particules diffusantes (un exemple de ce genre est bien connu sur Terre avec ce que l'on appelle la diffusion Rayleigh pour la couleur de l’atmosphère, comme l'explique Richard Feynman dans son célèbre cours), en l'occurrence le nuage initial devait être composé de particules finesparticules fines et ensuite de particules plus grosses.

    Le spectrographespectrographe du VLT a aussi permis à Cyrielle Opitom et ses collègues de tester des théories sur la composition chimique des astéroïdes, notamment sur le contenu en oxygèneoxygène et molécules d'eau de Dimorphos. « On ne s'attend pas à trouver la moindre quantité de glace dans les astéroïdes, donc détecter la moindre trace d'eau aurait été une vraie surprise », surprise qui ne s'est pas produite, comme l'explique Cyrielle Opitom.


    Cette vidéo montre l'évolution du nuage de débris après la collision du vaisseau Dart de la Nasa avec l'astéroïde Dimorphos. L'animation est basée sur des images prises avec l'instrument Muse sur le VLT de l'ESO pendant un mois après l'impact. La première a été prise le 26 septembre 2022, juste avant l'impact, et la dernière, près d'un mois plus tard, le 25 octobre. Au cours de cette période, plusieurs structures se sont développées : des touffes, des spirales et une longue queue de poussière repoussée par le rayonnement solaire. Dimorphos orbite autour d'un plus gros astéroïde appelé Didymos, mais on ne peut pas les discerner sur ces images. Les traînées de fond, vues ici quand le télescope suivait la paire d'astéroïdes, sont dues au mouvement apparent des étoiles de fond. © ESO, Opitom et al.

    L'équipe menée par Stefano Bagnulo, astronome à l'Armagh Observatory and Planetarium au Royaume-Uni, s'est, elle, penchée sur la polarisation de la lumière de Dimorphos et de ses éjectas. « Lorsque nous observons les objets de notre Système solaireSystème solaire, nous regardons la lumière du Soleil qui est réfléchie par leur surface ou par leur atmosphère et qui devient partiellement polarisée. L'observation des changements de polarisation en fonction de l'orientation de l'astéroïde par rapport à nous et au Soleil révèle la structure et la composition de sa surface », explique Stefano Bagnulo dans le communiqué de l'ESO.

    Les chercheurs ont alors constaté en utilisant l'instrument FORS2 (FOcal Reducer/low dispersion Spectrograph 2) équipant aussi le VLT que le niveau de polarisation a soudainement chuté après l'impact. « Peut-être que la matière expulsée par l'impact était intrinsèquement plus lumineuse et moins polarisante que la matière à la surface, car elle n'a jamais été exposée au vent solairevent solaire et à la radiation du Soleil », s'interroge Stefano Bagnulo. Son collègue Zuri GrayGray, doctorant à l'Armagh Observatory and Planetarium, fait quant à lui remarquer que « nous savons que dans certaines circonstances, de plus petits fragments sont plus efficaces pour refléter la lumière et moins efficaces pour la polariser », ce qui est à mettre en parallèle avec les mesures du changement de couleurcouleur dans le spectre des éjectas dont on a parlé plus haut.

    Ce qui est sûr, c'est que comme l'explique Cyrielle Opitom, « cette recherche a bénéficié d'une situation exceptionnelle lorsque la Nasa a percuté un astéroïde, donc elle ne peut pas être répétée avec un autre dispositif. Cela rend les données, obtenues avec le VLT au moment de l'impact, extrêmement précieuses pour mieux comprendre la nature des astéroïdes ».

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