Alors que s’achève la COP26 à Glasgow, quel bilan tirer de cette réunion présentée comme celle de la « dernière chance » ? Malgré les nouveaux engagements et les accords signés ici et là sur divers thèmes, le compte n’y est pas encore. Mauvaise volonté ou difficultés réelles de mise en œuvre ? D’où viennent les blocages ? Que faut-il espérer et quelles solutions concrètes peut-on engager pour avancer ? Jean-François Soussana, vice-président en charge de la politique internationale à l’Inrae et membre du Haut Conseil pour le climat, revient tout juste de la COP26 et nous suggère quelques pistes.
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Retardée d'une année pour raison de Covid-19Covid-19, la COP26 était très attendue : elle devait renforcer les Accords de Paris signés en 2015, notoirement insuffisants pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d'ici 2050. Mais malgré les nombreuses déclarations d'intention sur les accords concernant par exemple la réduction des émissions de méthane ou la déforestation, le compte n’y est pas pour de nombreuses ONG. D'après le dernier rapport du Programme pour l'environnement de l'Organisation des Nations unies (Unep), les engagements actuels de la part d'environ 150 pays, s'ils étaient tenus, conduiraient à une réduction des émissionsémissions des gazgaz à effet de 7,5 % d'ici 2030, alors qu'il faudrait une baisse de 55 % pour que le réchauffement climatique soit limité à +1,5 °C. Le site Climate Action Tracker indique, lui, que les engagements des États pris à Glasgow nous mènent tout droit vers un réchauffement à 2,4 °C d'ici la fin du siècle.
“Le problème, c’est que les échéances sont beaucoup trop lointaines”
« Le point positif, c'est que de plus en plus d'États se sont engagés à arriver à la neutralité carbone », souligne Jean-François Soussana, vice-président en charge de la politique internationale à l'Inrae et membre du Haut Conseil pour le climat, qui revient tout juste de la COP26 où il a participé à plusieurs réunions en marge des négociations officielles. Trente-trois pays dont le Brésil, l'Argentine et l'Inde ont ainsi pris des engagements supplémentaires dans ce sens. « Le problème, c'est que les échéances sont beaucoup trop lointaines ; 2070 pour l'Inde par exemple, regrette Jean-François Soussana. Or, c'est la décennie à venir qui est cruciale, et il faut bien l'avouer, jusqu'en 2030, on n'a pas grand-chose ». De plus, les moyens pour parvenir à cette neutralité carboneneutralité carbone restent très vagues, fait-il remarquer. « Il y a par exemple un vrai flou sur la façon dont les efforts des entreprises ou les villes sont intégrés ou pas dans la comptabilité des émissions des États. »
Des engagements difficiles à faire respecter sur le terrain
Mais au-delà d'un certain manque de volontarisme, il existe de vraies difficultés pour les États à mettre en œuvre leurs plans d'action. « En France, par exemple, on a un problème de gouvernance, souligne Jean-François Soussana. Les ministères ne sont pas toujours au courant des objectifs globaux et il y a une mauvaise coordination entre eux ». Autre problème : la réalisation concrète sur le terrain. Pour le secteur du bâtiment, par exemple, qui pèse 36 % des émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne, de nombreuses subventions ont été versées pour des travaux d’isolation. « Or, ces travaux n'ont pas toujours été d'une bonne qualité, ce qui n'a pas entraîné les gains énergétiques attendus », indique Jean-François Soussana. Autre exemple : le fameux « effet rebond » qui fait que quand on achète une voiturevoiture plus sobre en énergieénergie, on finit par faire plus de kilomètres avec.
Une crainte légitime de décroissance
Il existe aussi des résistancesrésistances légitimes de certains gouvernements. « En matièrematière d'agriculture, par exemple, certains États en fragilité alimentaire craignent que les objectifs de réduction de méthane n'aboutissent au final à une baisse de production et donc à des problèmes d'alimentation », met en garde Jean-François Soussana. Une étude du Coceral (Comité du commerce des céréalescéréales, aliments du bétail, oléagineuxoléagineux, huile d'olive, huiles, graisses et agrofournitures) estime ainsi que le fameux « Pacte vert » proposé par la Commission européenne, prévoyant notamment de convertir 25 % des surfaces agricoles européennes en bio, de diminuer de 50 % l'usage des pesticidespesticides de synthèse et de 20 % l'utilisation d'engrais, aboutira à une baisse de production de 15 % pour le bléblé, de 19 % pour le maïsmaïs ou de 17 % pour les oléagineux. Bref, tout cela est loin d'être simple.
“Il existe des solutions gagnant-gagnant”
Jean-François Soussana se veut tout de même optimiste. « Il existe des solutions gagnant-gagnant, notamment dans le domaine de l’utilisation des sols sur lequel je travaille, cite l'expert. Il faut savoir que l'agriculture représente 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, c'est donc un enjeu considérable et sur lequel on a des marges de manœuvre. En intercalantintercalant des plantes intermédiaires ou des prairies entre les périodes de grandes cultures, on stocke 47 % de carbone en plus qu'avec un sol laissé à nu ». Et contrairement à la reforestation, qui nécessite un changement dans l'affectation de sols, pas besoin ici de modifier l'environnement. La société Soil Capital a par exemple lancé le premier programme européen de rémunération carbone pour les agriculteurs, qui seront payés 27,50 euros par tonne de carbone stocké. « Ainsi, la Politique agricole communePolitique agricole commune (PAC) pourrait non seulement prendre en compte la production mais aussi le service écologique pour verser ses subventions », avance Jean-François Soussana.
L’engagement des entreprises et des collectivités
Que retenir au final de tout cela ? « On sent qu'il y a une vraie mobilisation de tous les acteurs », juge le spécialiste. Mais ça n'avance pas assez vite. Une des solutions serait de revoir les engagements tous les ans plutôt que tous les cinq ans. Sinon, en 2025 lors de la prochaine révision, ce sera déjà trop tard ». C'est d'ailleurs le sens du premier projet de texte présenté mercredi. Sans attendre, les entreprises et les collectivités s'engagent déjà sur la bonne voie. Avant même le début de la COP26, une coalition de 778 entreprises, totalisant 2.700 milliards de dollars de chiffre d'affaires annuel, a ainsi envoyé une lettre aux leaders du G20 en les implorant d'agir pour limiter le réchauffement à 1,5 °C. « Lors de cette COP26, les entreprises se sont mobilisées comme jamais. C'est important, car cela montre aux politiques qu'elles y croient », conclut Michel Frédeau, associé du BCGBCG, un cabinet partenaire de la COP26.