De précieuses gemmes parcourues de galeries microscopiques ? De quoi horrifier les joailliers, pour qui elles perdent alors en qualité. Mais il ressort d’une enquête scientifique passionnante que des micro-organismes auraient autrefois élu domicile dans les pierres en question, des grenats, y laissant ces mystérieux tunnels.

au sommaire


    C'est un trésor un peu spécial que des scientifiques ont découvert en Thaïlande, dans des sols et des sédiments fluviaux : des grenats, gemmes d'un rouge sombre, percés de curieux réseaux de cavités microscopiques. De telles structures dans des minérauxminéraux s'expliquent en général par des processus abiotiquesabiotiques, c'est-à-dire n'impliquant pas d'organismes vivants. D'ailleurs, les grenats sont des pierres particulièrement dures, réputées pour leur résistancerésistance à l'abrasionabrasion et aux attaques chimiques (corrosioncorrosion). Autrement dit, des micro-organismesmicro-organismes auraient tout le mal du monde à forer un trou dans des grenats.

    Le saviez-vous ?

    Les grenats ont une dureté de 6 à 7,5 sur l’échelle de Mohs. Pour mettre ce chiffre en perspective, le diamant se situe au sommet de l’échelle avec une dureté de 10.

    Or, selon Magnus Ivarsson, de l'université du Danemark du Sud et du Muséum suédois d'histoire naturelle, et ses collègues internationaux, ces labyrinthes seraient bien l'œuvre d'une forme de vie. Il s'agirait de champignon, pour être précis. Leur complexité indique que des organismes sont forcément passés par là.

    En effet, certains tunnels se divisent en de nombreuses ramifications, s'entrecroisent et se rejoignent. D'autres plongent en parallèle dans le minéral et forment des lignes droites. Certains traversent la gemme de part en part, tandis que d'autres encore effectuent une boucle avant d'atteindre le côté opposé. Enfin, une partie des tunnels est occupée par des filaments rougeâtres de 5 à 15 micromètresmicromètres de diamètre. Quoi qu'il en soit, ces cavités ont un point commun : elles débouchent toutes à la surface des grenats.

    Reconstruction tomographique d’un grenat, analysé par microtomographie synchrotron aux rayons X. Des tunnels s’étirent depuis la surface à l’intérieur du cristal, rendu noir pour mieux observer les cavités. © Magnus Ivarsson, <em>Plos One</em>, 2018

    Reconstruction tomographique d’un grenat, analysé par microtomographie synchrotron aux rayons X. Des tunnels s’étirent depuis la surface à l’intérieur du cristal, rendu noir pour mieux observer les cavités. © Magnus Ivarsson, Plos One, 2018

    Des micro-organismes endolithiques en cause

    Les chercheurs détaillent comment ils ont démêlé les fils de cette énigme dans un article paru dans le journal Plos One. Ils pointent du doigt des micro-organismes dits endolithiques, qui se développent à l'intérieur des minéraux, écartant d'autres possibilités, telles des radiations, des inclusions de fluides (gazgaz ou liquideliquide) ou des inclusions d'autres minéraux plus anciens.

    La structure des tunnels ne correspond pas à ces phénomènes abiotiques, arguent-ils dans leur publication. En effet, des inclusions de minéraux ne rejoignent pas forcément la surface, celles de fluides forment exclusivement des cavités en ligne droite et les radiations auraient dû en créer dans toutes les directions. Face aux virages en queue de poissonpoisson et aux tunnels parallèles, force est de conclure que des organismes ont contraint la direction prise par les tunnels.

    Microphotographies montrant des tunnels parallèles effectuant un virage, indiqué par la flèche, dans des grenats. © Magnus Ivarsson, <em>Plos One</em>, 2018

    Microphotographies montrant des tunnels parallèles effectuant un virage, indiqué par la flèche, dans des grenats. © Magnus Ivarsson, Plos One, 2018

    D'autres indices corroborent cette hypothèse. Les micro-organismes endolithiques creusent les minéraux par dissolution, en sécrétant des acidesacides. Or, par spectrométrie de massespectrométrie de masse, les chercheurs ont justement détecté des biomarqueurs chimiques résiduels, en l'occurrence des acides grasacides gras, à l'intérieur des tunnels. « La nature complexe de ces moléculesmolécules organiques signale une présence microbienne », indiquent-ils dans leur publication, et suggère que « des communautés endolithiques vivaient dans ces tunnels ». En outre, les mystérieux filaments qui bouchent certains passages seraient des résidus trahissant ces micro-organismes. Mais lesquels ?

    Microphotographies de tunnels occupés par des structures filamenteuses. L’image F est un gros plan sur un des tunnels de l’image E. © Magnus Ivarsson, <em>Plos One</em>, 2018

    Microphotographies de tunnels occupés par des structures filamenteuses. L’image F est un gros plan sur un des tunnels de l’image E. © Magnus Ivarsson, Plos One, 2018

    Pour le savoir, il suffit de regarder attentivement la structure des tunnels, car elle dépend du micro-organisme foreur. Ainsi, les réseaux labyrinthiques parcourant ces grenats ont de fortes chances d'avoir été réalisés par des organismes complexes comme des champignons, des alguesalgues et des bactériesbactéries de forme filamenteuse, telles des cyanobactériescyanobactéries. Mais la taille, la longueur et la forme des tunnels correspond davantage à des champignons qu'à des bactéries.

    Après avoir esquissé un portrait satisfaisant du coupable, les chercheurs se sont penchés sur ses motivations. On sait que les grenats, des minéraux très durs, font un piètre lieu de résidence pour des micro-organismes endolithiques. Ce serait d'ailleurs la première observation de ce genre. Les scientifiques estiment que s'ils en sont arrivés là, c'est qu'ils ne devaient pas avoir de meilleure option... Dans les milieux où les grenats ont été prélevés, ces pierres constituent une des seules sources d'ionsions ferfer, un nutrimentnutriment qui aurait appâter les champignons.

    Les minéraux du monde en 19 photos

    Le béryl, un cristal d’eau de merLe sélénite, une pierre de LuneLa marcassite, une cousine de la pyriteL’anglésite, une pierre de plombLa dundasite blanche et la crocoïte orangeLe gypse, des cristaux parfois géantsL’arsenic rouge, un minéral d’artisteLa barytine, de nombreuses applications industriellesLa magnétite, un minéral de ferLa sidérite, un minéral associé à du magnésiumL’orthose, un minéral extraterrestreLa fluorite multicoloreLa topaze, un silicateLa rhodochrosite, une couleur éclatanteLa magnifique topazeLa pyrite, l'or des fousL’aigue-marine, une pierre fine aux couleurs de la merLa précieuse émeraude verteLa fluorite, le quartz et la rhodochrosite
    Le béryl, un cristal d’eau de mer

    Le béryl (Be3Al2Si6O18) est un minéralminéral du groupe des silicatessilicates. Son nom vient du grec beryllos, qui signifie « cristal de la couleurcouleur de l'eau de mer ». Il en existe plusieurs variétés utilisées en joaillerie, comme l'aigue-marine et l'émeraude. Couleurs : variées. © Rob Lavinsky, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0