C’est un fait, le cannibalisme a été pratiqué durant tous les âges de la Préhistoire. Pourtant, loin de la signification barbare que nous lui attribuons aujourd’hui, il aurait pu s’agir d’un acte hautement symbolique, voire d’un rituel funéraire en hommage aux morts.


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    Si aujourd'hui le cannibalisme est un tabou, cela ne semble pas l'avoir été à la Préhistoire. Les preuves sont en effet nombreuses à montrer que les Hommes préhistoriques ont mangé des humains de façon intentionnelle. Et l'on ne parle pas seulement de nos ancêtres les plus lointains ! S'il est avéré qu'Homo ErectusHomo Erectus et Homo Antecessor dévoraient occasionnellement leurs semblables, c'est également le cas de Néandertal et d'Homo sapiensHomo sapiens.

    Un peuple avancé et élevé artistiquement qui pratique le cannibalisme ?

    Parmi les témoignages les plus récents de cette pratique, il y a celui délivré dans la grotte de Gough, dans le sud de l'Angleterre. Les nombreux artefacts retrouvés révèlent en effet que ce site a été occupé brièvement il y a 14 700 ans, durant la période du dernier âge glaciaire, par un groupe de Magdaléniens. Ce peuple appartenant à Homo sapiens est bien connu en Europe, où il a laissé de nombreux témoignages. La culture magdalénienne est ainsi caractérisée par la finesse et la grande diversité de ses outils, fabriqués en pierre et aussi en boisbois, ivoire et os, mais également par une étonnante habileté artistique. Gravures et dessins sont en effet d’un incroyable réalisme et riches de détails. On pourrait penser qu'un peuple si avancé se soit éloigné des pratiques considérées comme « barbares » telles que le cannibalisme. Les restes retrouvés dans la grotte de Gough montrent qu'il n'en est rien.

    Les cannibales de la grotte de Gough. © Natural history museum

    Nécessité de survie ou rituel associé à une croyance ?

    Car, mélangés aux ossements d'animaux, les chercheurs ont en effet découvert des restes humains portant des traces évidentes de cette pratique. Des ossements appartenant à plusieurs individus, dont ceux d'un adolescent et d'un enfant de 3 ans environ, ont été retrouvés. Nombreux sont ceux présentant des marques claires de dents humaines. D'autres ont été brisés, visiblement pour en extraire la moelle. Enfin, certains portent les marques d'un dépeçage méticuleux. C'est notamment le cas de trois crânescrânes, qui ont vraisemblablement été préparés et utilisés comme récipients.

    Crâne humain méticuleusement préparé pour servir de récipient. © <em>The Natural History Museum</em>, London
    Crâne humain méticuleusement préparé pour servir de récipient. © The Natural History Museum, London

    On peut se demander pourquoi un tel sort a été réservé à ces enfants. Le groupe s'est-il retrouvé dans l'obligation de sacrifier certains de ses membres pour survivre au froid qui règnait alors sur l'Europe ? Pour les chercheurs auteurs d’une étude publiée il y a maintenant quelques années, cette hypothèse est toutefois peu probable. Et pour cause : de nombreux ossements d'animaux ont été retrouvés sur le site, ce qui suggère que les ressources issues de la chasse étaient suffisantes. Les scientifiques penchent donc plutôt pour un comportement symbolique, associé peut-être à une forme de croyance. Loin d'être un acte barbare, le cannibalisme aurait donc représenté un rituel complexe, dont nous ne sommes pas près de comprendre la signification.

    Un soin méticuleux apporté aux ossements et notamment aux crânes

    Une hypothèse plus en accord avec la culture très sophistiquée des Magdaléniens, même si cette pratique peut aujourd'hui nous apparaître comme totalement macabre. Tout laisse en effet penser que, même si toutes les parties comestibles ont été mangées, un soin important a été apporté aux ossements, suggérant que l'acte de cannibalisme était bien plus qu'une simple façon de se nourrir. Sur certains os, une frise en zigzag a été gravée, avant que l'os ne soit cassé pour en extraire la moelle. Quant aux crânes, ils ont été soigneusement nettoyés. Les os constituant la face et la mâchoire ont été retirés avec précaution pour façonner un récipient. Pour les chercheurs, de telles précautions témoignent d'un rituel élaboré, associé certainement à une cérémonie symbolique.

    Os humain gravé avant d'être fracturé pour en extraire la moelle. © Bello et al. 2017, <em>Plos One</em>
    Os humain gravé avant d'être fracturé pour en extraire la moelle. © Bello et al. 2017, Plos One

    Pour ces peuples de la Préhistoire, le cannibalisme aurait donc pu représenter un acte funéraire de signification équivalente à une momification ou à nos actuelles crémations et enterrements.  


    Préhistoire : le cannibalisme ne se pratiquait pas que pour des raisons alimentaires

    Plusieurs études ont montré que des hommes préhistoriques pratiquaient le cannibalisme. Pour quelle raison ? D'après un chercheur britannique, l'anthropophagie n'est pas intéressante du point de vue nutritionnel par rapport à la consommation d'autres animaux.

    Article de Futura avec l'AFP Paris publié le 10 avril 2017

    Pour comprendre le cannibalisme pratiqué par les Hommes préhistoriques, un chercheur a eu l'idée de calculer la valeur nutritionnelle du corps humain. Verdict : elle n'est pas particulièrement riche. Le but recherché n'aurait donc pas été purement alimentaire.

    S'attaquant à un sujet tabou, James Cole, spécialiste du paléolithique à l'université de Brighton (Royaume-Uni), a établi un tableau des différentes parties du corps humain indiquant leur poids respectif et leur valeur nutritionnelle exprimée en caloriescalories (graisse et protéinesprotéines). De cette table, publiée jeudi dans la revue Scientific Reports, il ressort que le cerveaucerveau et la moelle épinièremoelle épinière ne pèsent pas lourd mais sont très caloriques, que les cuisses ont un bon potentiel calorique et que le tissu adipeuxtissu adipeux est encore plus riche. « Sur le plan des calories, nous correspondons à un animal de notre taille et de notre poids », a déclaré à l'AFP James Cole. « Mais nous ne sommes pas très nourrissants comparés aux gros animaux que les premiers Hommes chassaient et mangeaient », a-t-il ajouté. « L'Homme est une espèceespèce plutôt maigre ». Or le gras est plus calorique que les protéines.

    La viande de mammouth, d'ours, de sangliersanglier, de castor ou encore de bison était nettement plus énergétique, selon un autre tableau comparatif publié par le chercheur. Un homme de 66 kilos fournit potentiellement 1.300 calories par kilo de muscle. Le mammouthmammouth est à 2.000 calories par kilo, l'ours à 4.000 (trois fois plus que l'Homme) tout comme le sanglier et le castor.

    « Même si vous mettez cinq ou six individus, cela procurera toujours moins de calories qu’un seul cheval ou un bison »

    La valeur calorique globale des muscles d'un être humain est évaluée à 32.376 calories. Elle est de 3.600.000 pour un mammouth, 1.260.000 pour un rhinocérosrhinocéros laineux, 600.000 pour un ours, 200.100 pour un cheval. « Au niveau individuel, l'Homme affiche un taux calorique peu élevé. Et même si vous mettez cinq ou six individus, cela procurera toujours moins de calories qu'un seul cheval ou un bison », a expliqué James Cole.

    La viande de mammouth est plus énergétique que celle de l’Homme. © adrenalinapura, Fotolia
    La viande de mammouth est plus énergétique que celle de l’Homme. © adrenalinapura, Fotolia

    Une anthropophagie aux raisons  culturelles ou sociales ?

    « Qui plus est, l'Homme est plus intelligent et son comportement est complexe. Ce devait être plus difficile d'en tuer six qu'un cheval. » Il poursuit : « C'est pourquoi je suggère que peut-être nous ne pouvons pas expliquer les actes de cannibalisme juste par un besoin de nourriture. » Les raisons de cette anthropophagie étaient peut-être « culturelles ou sociales » (défense du territoire...).

    Des fouilles archéologiques ont permis d'établir qu'Homo antecessor, un pré-néandertalien qui vivait il y a près d'un million d'années (site du Gran Dolina en Espagne) était cannibale. Tout comme Homo erectus il y a 680.000 ans (site de la Caune de l'Arago à Tautavel en France). L'Homme de Néandertal, notre cousin disparu, mangeait lui aussi de la viande humaine (site français de Moula-Guercy, site d'El Sidron en Espagne). Homo sapiens était lui aussi anthropophage comme le montrent des ossements trouvés dans la grotte de Maszycka en Pologne (15.000 ans environ avant notre ère) et dans la grotte anglaise de Gough (14.700 avant notre ère).

    Le saviez-vous ?

    Le paléolithique est une période qui commence avec l'apparition du genre Homo il y a 3 millions d'années et se termine il y a environ 10 000 ans.

    Les archéologues disposent de plusieurs indices pour repérer le cannibalisme à partir de l'étude des ossements : incisions, marques de découpe, fractures sur des os frais (pour extraire la moelle osseusemoelle osseuse), traces de mâchement humain, absence de la base crânienne (pour extraire le cerveau).

    Pour la plupart de ces sites, le cannibalisme a été expliqué par un besoin de nourriture. Mais pour quelques autres, des motifs rituels ont été mis en avant. Dans la grotte de Gough, trois crânes transformés en coupe à boire par Homo sapiens ont été découverts. À Maszycka, il pourrait s'agir d'un cannibalisme lié à la guerre, et à Caune de l'Arago, d'une anthropophagie rituelle car le gibier ne manquait pas.