Bételgeuse, la supergéante rouge qui peut devenir du jour au lendemain une supernova alors qu'elle n'est qu'à 640 années-lumière du Système solaire, fait l'objet d'observations continuelles des astrophysiciens. Ils tentent toujours de les décrypter et de résoudre certaines des énigmes de l'étoile. Des travaux récents remettent en cause ce que l'on pensait savoir de sa rotation qui était de toute manière problématique.
au sommaire
Bételgeuse est considérée comme la huitième étoile la plus brillante du ciel, elle était donc connue des astronomesastronomes dès l'Antiquité. Comme plusieurs des étoiles délimitant les contours de la constellation d'Orion dans laquelle elle se trouve (Mintaka, Alnilam, Alnitak, Rigel et Saïph), elle porteporte un nom d'origine arabe à la suite de la traduction en latin des ouvrages de l'astronomie arabe.
Mais ce que les astronomes n'ont pas découvert avant la première moitié du XXe siècle, c'est que Bételgeuse est un monstre avec un diamètre supérieur à un milliard de kilomètres, donc presque 1 000 fois plus grande que le Soleil au point que si elle était à sa place dans le Système solaire elle engloutirait dans ses couches supérieures l'orbite de JupiterJupiter.
Bételgeuse a été une des premières étoiles dont on a été en mesure de déterminer le diamètre et ce, en 1920, grâce à la technique de l'interférométrieinterférométrie employée par Albert Abraham Michelson et Francis Pease avec le télescopetélescope Hooker de l'observatoire du Mont Wilson, confirmant une méthode proposée par le Français Hippolyte Fizeau.
Michelson, physicienphysicien d'ascendance juive polonaise aux États-Unis, s'était fait un nom bien avant avec sa célèbre expérience en compagnie d'Edward Morley destinée à mettre en évidence le déplacement de la Terre par rapport à l'étheréther et qui fut interprétée plus tard comme une preuve de la théorie de la relativité restreinterelativité restreinte d'EinsteinEinstein (lui-même ne connaissait pas cette expérience quand il a découvert sa théorie). Il était en plus lauréat du prix Nobel de physiquephysique 1907.
Cette vidéo emmène le spectateur de la constellation d’Orion à la surface de la supergéante rouge Bételgeuse, qui subit actuellement une baisse de luminosité sans précédent. Ce point figurant en toute fin de séquence de zoom est une image de la surface visible de Bételgeuse acquise par Sphere, dont les dimensions sont semblables à celles de l’orbite de Jupiter. © ESO, P. Kervella, M. Montargès et al., Digitized Sky Survey 2. Acknowledgement: Eric Pantin, N. Risinger (skysurvey.org). Music: Johan B. Monell (www.johanmonell.com)
Une étoile variable instable qui va bientôt mourir
Aujourd'hui, nous savons aussi que Bételgeuse est une supergéante rougesupergéante rouge en fin de vie située à environ 640 années-lumièreannées-lumière de la Terre et avec une massemasse d'une dizaine de fois celle du Soleil.
Elle intéresse beaucoup les astrophysiciensastrophysiciens car elle est susceptible de nous donner des clés pour comprendre plus précisément comment de telles étoiles très massives terminent leur vie, au bout de seulement quelques millions d'années.
En effet, on sait depuis des dizaines d'années qu'il existe une relation entre la masse d'une étoile, sa luminositéluminosité et son temps de vie. Plus une étoile est massive, plus la température en son centre est élevée. Il en résulte que certaines réactions de fusionfusion thermonucléaire sont possibles, qui dégagent les énormes quantités d'énergieénergie nécessaires pour produire une pressionpression capable de s'opposer à celle résultant de la propre gravitégravité de l'étoile.
Ce faisant, elle consomme son carburant thermonucléaire à un rythme si rapide que son temps de vie se compte en quelques millions d'années plutôt qu'en milliards d'années, comme c'est le cas pour le Soleil (pour lequel on en espère même une dizaine).
Bételgeuse va-t-elle finir en supernova ? Les explications de l'astronome Miguel Montargès et de son collègue Eric Lagadec en février 2020. © Guillaume Doyen
Tout cela, c'est ce que nous dit la théorie de la structure et de l'évolution stellaire développée par des pionniers comme Subrahmayan Chandrasekhar et Martin Schwarzschild, ce dernier n'étant pas seulement le fils du découvreur de la solution décrivant le plus simple trou noirtrou noir en relativité généralerelativité générale mais aussi un des pionniers après la Seconde Guerre mondiale de l'utilisation des ordinateursordinateurs de Turing et von Neumann pour résoudre numériquement les équationséquations décrivant l'intérieur des étoiles.
Bételgeuse est sortie de ce que l'on appelle la séquence principaleséquence principale en se transformant en supergéante rouge, elle est instable et bien que l'on ne puisse prévoir quand cela arrivera, elle va exploser en supernovasupernova - probablement dans quelques milliers d'années. Mais récemment, une diminution de sa luminosité avait défrayé la chronique, car on pouvait envisager que le phénomène annonçait son explosion imminente. On considère maintenant une tout autre hypothèse.
Une étoile qui tourne 100 fois plus vite que prévu
Un autre fait interrogeait les astrophysiciens depuis un moment. La théorie nous dit qu'en devenant instable, Bételgeuse s'est dilatée considérablement. Or, selon une des lois fondamentales de physique, la conservation du moment cinétiquemoment cinétique, la rotation de Bételgeuse aurait dû ralentir selon le phénomène inverse qui permet à une patineuse de tourner plus vite en repliant ses bras vers elle. Par comparaison avec ce que l'on sait de la rotation d'étoiles similaires avant de devenir des géantes rougesgéantes rouges, les mesures faites, notamment avec le grand réseau de radiotélescopesradiotélescopes de l'ESOESO au Chili, le célèbre radio interféromètreinterféromètre Alma (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array)) avec ses 66 antennes fonctionnant ensemble comme s'il s'agissait d'un seul télescope géanttélescope géant, indiquent que Bételgeuse tourne 100 fois plus vite que prévu !
C'est une énigme dont la solution vient peut-être d'être trouvée par une équipe internationale dirigée par des astronomes de l'Institut Max-Planck d'astrophysique, du laboratoire Lagrange (Observatoire de la Côte d'Azur-Université Côte d’Azur-CNRS) et de l'Université de Uppsala, comme on peut le voir avec une publication en accès libre sur arXiv.
Simulation de la surface bouillonnante de Bételgeuse. Cette animation montre comment la convection domine la surface d'une étoile semblable à Bételgeuse. Elle montre ensuite à quoi cela ressemblerait dans des observations réelles d'Alma, mettant en évidence que la surface bouillonnante pourrait être confondue avec une signature de rotation. © Ma, Jing-Ze et al, 2024
L'article est commenté par un communiqué de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA) qui explique qu'il est donc le produit d'une équipe internationale dirigée par Jing-Ze Ma, doctorant à l'Institut Max-PlanckPlanck d'astrophysiqueastrophysique, et dont Andrea Chiavassa, chercheur CNRS de l'OCA, fait partie.
Il explique aussi que les chercheurs n'avaient pas pris en compte le fait que la surface de Bételgeuse est beaucoup plus agitée que celle du Soleil par des mouvementsmouvements de convection titanesques. Ces mouvements sont les mêmes que ceux de l'eau chauffée dans une casserole en ébullition. Malgré le pouvoir de résolutionrésolution d'Alma, l'image de la surface de l'étoile reste floue et les mesures de la vitesse de rotationvitesse de rotation, en employant l'effet Dopplereffet Doppler de décalage spectral vers le rouge ou vers le bleu selon que la matièrematière émettant de la lumière s'éloigne ou se rapproche d'un observateur, pourraient tout aussi bien s'expliquer par de violents mouvements convectifsmouvements convectifs et une rotation moins importante, en accord cette fois-ci avec ce que l'on pensait initialement.
Des cellules convectives aussi grandes que l'orbite de la Terre
Pour en avoir le cœur net, les astrophysiciens ont commencé par réaliser une simulation de la convection de Bételgeuse dont le résultat a été soumis à un nouveau logiciellogiciel de post-traitement développé par les chercheurs pour produire des images synthétiques des observations d'Alma.
Comme l'explique le communiqué de l'OCA, dans 90 % des simulations, les observations de l'étoile seraient bel et bien interprétables non pas par une vitesse de rotation importante de Bételgeuse mais comme une imitation de la carte des vitesses dipolaires de cette rotation dressée par effet Doppler et donc principalement plutôt par des mouvements convectifs à grande échelle de la surface de la supergéante rouge. C'est-à-dire par des bulles de gazgaz formant des cellules convectives pouvant être aussi grandes que l'orbite de la Terre autour du Soleil, montant et descendent à une vitesse pouvant atteindre 30 km/s.
Le même communiqué se conclut en déclarant que « d'autres observations sont nécessaires pour mieux évaluer la rotation rapide de Bételgeuse, et l'équipe a fait des prédictions pour les observations futures avec une résolution spatiale plus élevée. Heureusement, d'autres astronomes ont déjà effectué des observations à plus haute résolution de Bételgeuse en 2022. Les nouvelles données sont en cours d'analyse, ce qui permettra de vérifier les prévisions et de dévoiler le masque de Bételgeuse ».