Avant d'être ce formidable observatoire radiomillimétrique et submillimétrique qui entre tout juste en service au Chili, dans le désert d'Atacama, Alma a été un chantier. Un très grand chantier. Celui de la construction des 66 antennes qui le composent, 54 de 12 mètres de diamètre et 12 de 7 mètres, n'a pas été simple. Thales Alenia Space en a réalisé 25. Rencontre avec Vincenzo Giorgio, le responsable de cette production.

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    En décembre 2005, Thales Alenia Space (TAS) remporte le contrat de la constructionconstruction de 25 des 66 antennes de l'observatoire Alma (Eso, NRAO et NAOJ). La tâche qui l'attend est tout sauf simple. Il est alors question d'antennes hautes de 15 mètres, de 100 tonnes et de 12 mètres de diamètre à installer à 5.050 mètres d'altitude sur le plateau de Chajnantor, dans le désert d’Atacama, près de la ville chilienne de San Pedro de Atacama.

    Comme nous l'explique Vincenzo Giorgio, le responsable chez Thales Alenia Space du projet piloté depuis Turin, en Italie, « la principale difficulté a été l'industrialisation du projet ». Les conditions « très compétitives en matière de prix et de délais » dans lesquelles le contrat a été remporté imposaient « une construction des antennes en série, à la chaîne en quelque sorte ».

    Vincenzo Giorgio (Thales Alenia Space, à gauche) nous a ouvert les portes d'Alma et fait visiter cet observatoire hors normes. © Rémy Decourt

    Vincenzo Giorgio (Thales Alenia Space, à gauche) nous a ouvert les portes d'Alma et fait visiter cet observatoire hors normes. © Rémy Decourt

    Le défi de l’altitude

    Et c'était là la difficulté, car même si Thales Alenia Space sait produire en série (elle est numéro un pour les constellations de satellites), le cahier des charges et l'environnement rendaient le travail risqué. Dès lors que la construction avait débuté, « toute modification dans la conception des antennes » aurait été susceptible de se reproduire 25 fois... On appelle cela un accidentaccident industriel. Tout est bien qui finit bien, et les 25 antennes européennes d'Alma ont « été livrées dans les délais, avant le 31 décembre 2013 ». Pourquoi une entreprise spécialisée dans les constellations de satellites se retrouve-t-elle à fabriquer des télescopes ? Parce que « nous construisons des systèmes conçus pour fonctionner dans l'espace sans qu'il soit possible d'intervenir après coup, dès qu'ils sont en orbite ». Et l'environnement dans le désertdésert de l'Atacama est moins difficile que l'espace mais tout de même très inhospitalier.

    Le plateau de Chajnantor est un site idéal pour l'observation du ciel : il se situe au-dessus de 50 % de l'atmosphèreatmosphère, et la quantité de vapeur d'eau moyenne sur le plateau est de 10 à 1.000 fois plus faible qu'au niveau de la mer. En revanche, « il l'est beaucoup moins pour les hommes et le matériel ». La pression de l'airair y est deux fois plus faible qu'au niveau de la mer. Il y a donc deux fois moins d'oxygèneoxygène pour faire fonctionner le corps humain et son cerveaucerveau, et beaucoup moins de vapeur d'eau. Résultat : le souffle est court, la tête bourdonne, on se fatigue vite. De sorte que « les conditions de travail sont très difficiles ». À cela s'ajoute un flux solaire important, des ventsvents violents générant un milieu poussiéreux et des gradientsgradients de température allant de -20 à 20 °C. Afin de minimiser le travail sur le site du plateau de Chajnantor, TAS s'est imposé des contraintes habituellement appliquées à ces propres projets spatiaux.

    Malgré ces conditions, il fallait respecter des spécifications complexes pour la réalisation des antennes. Pêle-mêle, une résolutionrésolution de 0,005 seconde d'arcseconde d'arc, une surface réfléchissante des antennes qui ne doit pas comporter de défaut supérieur à 25 µm (moins que l'épaisseur d'un cheveu humain) ou encore une précision de pointage de 0,6 seconde d'arc. On peut ajouter un assemblage des antennes au micronmicron près. Du travail d'orfèvre.

    Alors que les États-Uniens ont préféré un système classique (mécanique) pour le mouvement de leurs antennes (en bas à gauche), Thales Alenia Space a mis au point un système avec des aimants (en haut à droite). © Rémy Decourt

    Alors que les États-Uniens ont préféré un système classique (mécanique) pour le mouvement de leurs antennes (en bas à gauche), Thales Alenia Space a mis au point un système avec des aimants (en haut à droite). © Rémy Decourt

    Bonnes performances en pointage et en tracking

    Pour y parvenir, on trouve de l'innovation à tous les étages des antennes. Ainsi, il a été décidé d'« utiliser le plus possible la fibre de carbone » pour leur construction, qui a nécessité l'achat de « très grandes quantités de carbonecarbone au Japon (161 tonnes) et en Angleterre ». Habituellement, des antennes de ce type sont construites en acieracier. La base et la structure qui supporte la parabole sont en carbone. Les réflecteurs paraboliques, de 12 mètres de diamètre, sont ainsi réalisés à partir de panneaux en nickelnickel recouverts d'une couche de rhodiumrhodium et d'une base en fibre de carbonefibre de carbone renforcée avec du plastiqueplastique. Autre innovation, chaque antenne a nécessité la pose de 120 panneaux. Pour chacun d'eux, cinq actionneurs corrigent différents paramètres, dont les variations thermiques par exemple.

    Ces antennes ont réservé une bonne surprise aux utilisateurs d'Alma. À l'usage, et sur certains aspects, elles se sont révélées meilleures que les antennes états-uniennes ou japonaises, notamment en matière de pointage et de tracking, et ce en raison du mécanisme qui gère leur mouvementmouvement. Inventé par TAS, ce système de pointage et de tracking est beaucoup plus performant, d'un facteur dix, que les autres antennes de l'observatoire. Celles précédemment installées utilisent un système à dents, alors que les moteurs des antennes de Thales fonctionnent avec des aimantsaimants, ce qui permet un mouvement plus rapide et plus précis. Aujourd'hui, la totalité des antennes a été livrée, et TAS est en train de livrer à l'Eso les modèles de rechange, notamment des panneaux d'antennes. En effet, « Alma est conçu pour fonctionner pendant au moins 30 ans ».

    TAS, qui cherche à capitaliser sur ce programme, veut se positionner sur le marché du futur télescope géant de 39 mètres que compte construire l'Eso ces prochaines années, « mais pas seulement ». L'entreprise veut également se lancer dans la réalisation d'autres grands projets comme le Square Kilometer Array « en tant que partenaire industriel ».