Si la théorie de la matière noire est correcte, le James-Webb pourrait la tester, voire réfuter certaines de ses formulations, en observant une population de galaxies anormalement brillantes au début de l'histoire du cosmos.


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    Lorsque le neutrino a été prédit au début des années 1930, on pouvait à bon droit penser qu'il s'agissait d'un épicycle ad hoc presque pseudo-scientifique pour sauver la loi de la conservation de l'énergie dans certaines réactions nucléaires. En effet, le prix Nobel de physique Wolfgang PauliWolfgang Pauli le présentait comme une particule sans masse, sans charge électrique et interagissant très faiblement avec la matière donc quasiment indétectable à l'époque. Autant dire que le mouvementmouvement des planètes était causé par des angesanges invisibles les poussant.

    Mais Pauli avait raison, ainsi qu'Enrico FermiEnrico Fermi qui avait développé plus loin la théorie de Pauli en considérant un modèle simple de mécanique quantiquemécanique quantique inspiré de la théorie de l'émissionémission de la lumièrelumière par un atomeatome. Un neutrino était alors émis un peu comme un photonphoton lui aussi sans masse ni charge électrique. En 1956, Clyde Cowan et Frederick Reines trouvèrent le moyen de vérifier les idées de Pauli et Fermi avec une célèbre expérience utilisant le flux de neutrinosneutrinos naturellement produit par un réacteur nucléaire.

    La matière noire, la clé de la naissance des galaxies

    Cela fait maintenant quelques décennies que l'on espère un dénouement similaire en ce qui concerne les particules de matière noirematière noire qui sont censées avoir un comportement tout aussi fantomatique que les neutrinos (certains neutrinos exotiques postulés par certaines théories relevant d’une nouvelle physique pourraient d’ailleurs être la matière noire ).

    Rien de tel ne s'est encore produit mais les astrophysiciensastrophysiciens des particules et les cosmologistes ont de la ressource et la chasse continue comme vient de le montrer la publication récente d'un article dans la célèbre revue The Astrophysical Journal Letters, et que l'on peut trouver sur arXiv.

    Il provient d'une équipe internationale de chercheurs, des astrophysiciens de l'Ucla, d'Italie et du Japon dirigés par le professeur de physique et d'astronomie de l'Ucla Smadar Naoz. Il se base sur des simulations numériquessimulations numériques de la formation des galaxiesgalaxies dans l'UniversUnivers alors qu'il était âgé de quelques centaines de millions d'années, simulations qui conduisent à des prédictions que pourrait vérifier dans un avenir proche le télescope spatial James-Webb.


    Depuis 13,8 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche

    Pour comprendre de quoi il en retourne il faut se souvenir que dans le cadre du modèle cosmologique standardmodèle cosmologique standard, déjà pendant les premières secondes du Big BangBig Bang, des concentrations de matière noire insensibles à la pressionpression du rayonnement, qui baignait alors aussi le cosmoscosmos observable, pouvaient commencer à s'effondrer gravitationnellement. Jusqu'à l'émission du rayonnement fossilerayonnement fossile, il en était pour la matière normale comme dans le cas du SoleilSoleil où là aussi la pression du gazgaz de grains de lumière, les photons constamment absorbés et réémis par la matière normale, s'oppose à l'effondrementeffondrement de la matière du Soleil sous sa propre gravitégravité.

    La matière noire n'est pas censée absorber ou émettre des photons, ou alors vraiment très peu, et comme elle est aussi plus abondante que la matière normale, des grumeaux vont apparaître dont la gravité va attirer ensuite la matière ordinaire, dite baryonique, pour former les premières étoilesétoiles et ensuite les premières galaxies, comme l'explique la vidéo ci-dessus.

    Comme la matière noire est censée être dominante, pendant des décennies et à cause de la limitation de la puissance de calcul des ordinateursordinateurs, les cosmologistes ont simulé la formation de galaxies et des structures en filaments les rassemblant, enlaçant des bulles presque vides de matière, uniquement avec des concentrations de matière noire. Dans l'ensemble les résultats obtenus correspondaient aux observations, mais plusieurs anomaliesanomalies existaient (voir la vidéo ci-dessous pour plus de détails). La plus célèbre des prédictions problématiques était celle de l'existence d'un grand nombre de petites galaxies nainesgalaxies naines autour des grandes galaxies. Or le compte n'y est pas.

    Il existe plusieurs manières de résoudre ce genre de problème et, depuis des années aussi déjà, de nouvelles simulations plus savantes faisant intervenir le comportement de matière baryonique ont été conduites.


    80 % de la matière dans l’Univers serait faite de particules exotiques, échappant à toute détection. Serait-il possible que ses effets ne soient que la manifestation d’une autre gravité ? Rencontre avec Françoise Combes, astronome à l’Observatoire de Paris, professeure au Collège de France. © EPPDCSI - 2017

    Des écoulements supersoniques de matière ordinaire

    L'idée derrière est simple, si la matière noire influe sur la répartition et la concentration de la matière baryonique par la gravité, l'inverse est vrai également de sorte que des modifications de la répartition de la matière ordinaire peuvent influencer de façon non négligeable en retour celle de la matière noire, créant donc une boucle de rétroactionboucle de rétroaction entre les deux types de matière.

    Or la matière ordinaire forme des étoiles massives, qui devaient même l'être plus fortement au début de l'histoire du cosmos observable, mourant en donnant des supernovaesupernovae puissantes. Le souffle de ces supernovae peut s'opposer à la contraction de la matière ordinaire et donc influer sur la formation et la croissance des toutes premières galaxies.

    C'est cette piste avec de nouvelles simulations qui a fait l'objet de travaux débouchant donc sur des prédictions de la théorie de la matière noire testable avec le James-Webb selon les chercheurs.

    Un effet en particulier n'avait pas été pris en compte. La matière noire forme des poches de gaz qui évoluent lentement après le Big Bang mais elles provoqueraient des écoulements de gaz de matière normale bien plus rapides, supersoniques pour être précis. Ces écoulements tendent à faire entrer en expansion une partie de matière normale qui forme toujours des galaxies naines, mais dont certaines sont plus petites qu'on ne le pensait.

    Le gaz supersonique, qui pendant un temps ne permettait pas la formation de galaxies naines supplémentaire, retomberait ensuite vers les galaxies les plus petites qui devaient exister en grand nombre, produisant alors des flambées de formations d'étoiles.

    Une ancienne population de petites galaxies très lumineuses ?

    En clair, à un moment, au cours des premières centaines de millions d'années du cosmos observable et de façon transitoire, le Webb devrait observer une flopée de petites galaxies très lumineuses, plus que ce que l'on pouvait imaginer avant et qui se sont formées également plus vite.

    C'est ce qui fait dire à Smadar Naoz dans un communiqué de l'Ucla : « La découverte de paquetspaquets de petites galaxies brillantes dans l'Univers primitif confirmerait que nous sommes sur la bonne voie avec le modèle de matière noire froide, car seule une différence d'écoulement à des vitessesvitesses supersoniques entre deux types de matière peut produire le type de galaxie que nous recherchons. Si la matière noire ne se comporte pas comme la matière noire froide standard et que l'effet d'écoulement supersonique n'est pas présent, alors ces galaxies naines brillantes ne seront pas trouvées et nous devrons retourner au tableau noir ».