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    La fabrication de la coquille, tout au long de la vie du mollusquemollusque, est rythmée par le métabolismemétabolisme de l'animal (reproduction, apports nutritifs) mais aussi par les paramètres environnementaux, souvent cycliques (variations de la température de l'eau, marées, alternance jour/nuit par exemple) qui agissent bien sûr sur « l'horloge biologiquehorloge biologique » des organismes. La croissance de la coquille se fait donc essentiellement de façon incrémentale, par ajouts successifs de couches de croissance sur le bord ventral et à l'intérieur de la coquille.

    <em>Arctica islandica.</em> © G.-U. Tolkiehn, <em>Wikimedia commons</em>, CC by-sa 3.0
    Arctica islandica. © G.-U. Tolkiehn, Wikimedia commons, CC by-sa 3.0

    L'étude de ces incrémentsincréments de croissance (sclérochronologie) est susceptible d'apporter des informations sur les variations des conditions environnementales de vie des mollusques tout en permettant de dater les évènements dans la coquille (cf. Lutz et Rhoads, 1980; Richardson, 2001).

    Le rythme et les structures de croissance de la coquille

    Lorsque l'on regarde une coquille de bivalvebivalve, on observe une succession de lignes concentriques à la surface. C'est ce que l'on appelle les stries de croissance. L'intervalle compris entre ces lignes est appelé incrément de croissance. Ces stries et incréments de croissance sont aussi observables à l'intérieur de la coquille, et même souvent de façon beaucoup plus précise qu'à la surface.

    Visualisation des stries et incréments de croissance à la surface d'un bivalve de Nouvelle-Calédonie (<em>Antigona clathrata ; </em>aimablement fourni par B. Richer de Forges, IRD Nouméa). © C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites
    Visualisation des stries et incréments de croissance à la surface d'un bivalve de Nouvelle-Calédonie (Antigona clathrata ; aimablement fourni par B. Richer de Forges, IRD Nouméa). © C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites

    En théorie, il est possible, comme on le fait avec les cernes d'arbres, de déterminer l'âge d'un coquillage en comptant certaines de ces stries, les stries annuellesannuelles, qui sont bien marquées pour certaines espècesespèces. L'apparition de ces stries annuelles est liée à une diminution ou un arrêt de la croissance qui a généralement lieu durant les mois les plus chauds (été) ou les plus froids (hiverhiver) de l'année. Plus l'animal vieilli, plus la distance entre ces stries diminue (cf. schéma ci-dessous).

    Vue schématique de la succession des stries de croissance annuelles que l'on peut observer chez certains bivalves : à la surface (A), en coupe (B). La courbe (C) montre la diminution du taux de croissance au cours du vieillissement de l'organisme. © C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites
    Vue schématique de la succession des stries de croissance annuelles que l'on peut observer chez certains bivalves : à la surface (A), en coupe (B). La courbe (C) montre la diminution du taux de croissance au cours du vieillissement de l'organisme. © C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites

    Cependant, l'identification de ces stries annuelles n'est pas toujours facile, particulièrement à la surface de la coquille qui peut être abîmée. De plus, la diminution du taux de croissance au cours de la vie de l'animal fait que les stries annuelles en fin de vie deviennent très resserrées, compliquant le comptage en surface. Ces stries de périodicité annuelle peuvent aussi être confondues avec des stries « évènementielles » qui peuvent apparaître sans périodicité particulière. Ainsi, la croissance de l'organisme peut être perturbée par les tempêtestempêtes, par des attaques de prédateurs, des perturbations anthropiques mais aussi par les épisodes de reproduction. Il est donc indispensable avant de pouvoir donner un âge à un bivalve, de bien étudier les stries de croissance afin de déterminer lesquelles représentent réellement les années.

    Vue externe de <em>Arctica islandica</em> (8 cm de large), bivalve pouvant vivre plus de 200 ans ! © John Wooster. Reproduction et utilisation interdites
    Vue externe de Arctica islandica (8 cm de large), bivalve pouvant vivre plus de 200 ans ! © John Wooster. Reproduction et utilisation interdites

    Une calibration par « marquage-recapture »

    Ceci peut être fait en mettant au point des expériences de « marquage-recapture » ; des bivalves vivants sont marqués, mécaniquement (ex. cassure vers le bord ventral) ou chimiquement (immersion dans un colorant qui sera intégré dans la coquille formée lors de l'immersion), puis remis en liberté pour une période déterminée, une ou plusieurs années, et capturés à nouveau. Les coquilles sont ensuite examinées en coupe et « il suffit » (ce n'est pas toujours si simple) de compter les stries afin d'identifier celles qui correspondent aux années. On s'est ainsi rendu compte que certains bivalves (Arctica islandica) peuvent vivre plus de 400 ans !

    Exemple de stries de type annuel chez le bivalve <em>Protothaca thaca </em>(modifié d'après Lazareth et al., 2006). Les stries « annuelles » sont ici plus sombres (A et B en bas) et on observe aussi un « décrochement » à la surface de la coquille (flèches noires). En coupe (vue au microscope optique, haut), on voit apparaître des zones plus sombres au niveau de ces stries « annuelles ». La croissance de ce bivalve est un peu compliquée et ces stries majeures n'apparaissent que lorsque les étés sont très chauds. Si la température d'été ne dépasse pas un certain seuil, l'animal n'est pas perturbé et croît normalement (cf. Lazareth et al., 2006). © G. Lasne et C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites
    Exemple de stries de type annuel chez le bivalve Protothaca thaca (modifié d'après Lazareth et al., 2006). Les stries « annuelles » sont ici plus sombres (A et B en bas) et on observe aussi un « décrochement » à la surface de la coquille (flèches noires). En coupe (vue au microscope optique, haut), on voit apparaître des zones plus sombres au niveau de ces stries « annuelles ». La croissance de ce bivalve est un peu compliquée et ces stries majeures n'apparaissent que lorsque les étés sont très chauds. Si la température d'été ne dépasse pas un certain seuil, l'animal n'est pas perturbé et croît normalement (cf. Lazareth et al., 2006). © G. Lasne et C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites

    En plus de ces incréments et stries annuels, il est possible de distinguer des incréments plus fins dont la périodicité est journalière. Pour les bivalves intertidaux, c'est-à-dire vivant dans la zone de battement des marées et étant donc exposés à l'air à chaque marée basse (ex. moules), les incréments (agrandissement de la coquille) sont déposés lorsque le bivalve est sous l'eau tandis que les lignes de croissance journalière (frontières des incréments, cf. schéma plus haut) sont déposées lorsque le bivalve est en dehors de l'eau. Des périodicités journalières peuvent aussi être observées chez des bivalves subtidaux, c'est-à-dire toujours immergés, et cette périodicité reflète alors à un rythme endogèneendogène, biologique.

    Exemple de strie (trait blanc) et incrément journalier (flèches blanches ; épaisseur moyenne 30 µm) dans la coquille du bivalve <em>Protothaca thaca</em>. Pour observer ces stries, une préparation particulière a été nécessaire. Il a fallu faire un <em>peels</em> dont la préparation sera décrite plus loin. © G. Lasne et C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites
    Exemple de strie (trait blanc) et incrément journalier (flèches blanches ; épaisseur moyenne 30 µm) dans la coquille du bivalve Protothaca thaca. Pour observer ces stries, une préparation particulière a été nécessaire. Il a fallu faire un peels dont la préparation sera décrite plus loin. © G. Lasne et C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites

    Des « enregistreurs » de variations environnementales

    Si on mesure les variations d'épaisseur des incréments journaliers, il est possible de reconstituer le rythme des marées (variation d'amplitude tous les 15 jours par exemple) et des saisons (saisonsaison chaude/froide, rythme annuel) et même dans certains cas la température de l'eau. Certains de ces aspects seront développés dans le paragraphe suivant (Quelles informations peut-on trouver au sein des coquilles ?).

    Ainsi, la coquille des mollusques s'agrandit presque tous les jours lorsque l'animal n'est pas perturbé, ni par son environnement (température de l'eau, tempête, etc.) ni par ses propres rythmes biologiques (reproduction). Cependant, la coquille grandit plus ou moins rapidement et les variations de ce taux de croissance sont souvent périodiques. C'est cet aspect périodique de la croissance qui peut être utilisé pour reconstruire les variations de certains paramètres environnementaux.

    Enfin, par l'étude de ces rythmes de croissance, sclérochronologie, il devient possible d'obtenir une échelle de temps au sein de la coquille. Ceci est essentiel afin de pouvoir caler dans le temps les analyses géochimiques que l'on fait au sein des coquilles et qui fournissent aussi de précieux renseignements sur l'environnement de vie, présent ou passé, des organismes.