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    Le processus de fabrication de la coquille des mollusquesmollusques, qui n'est d'ailleurs pas entièrement élucidé, est très complexe, surtout si l'on souhaite l'appréhender jusqu'au niveau cellulaire. Je ne prétends pas ici expliquer l'intégralité du processus de biominéralisationbiominéralisation (pour plus d'informations, cf. Wilbur et Saleuddin, 1983 ; Wheeler, 1992), mais plutôt vous en montrer quelques facettes.

    <em>Tridacna costata</em>. © MerlinCharon, <em>Wikimedia commons,</em> DP
    Tridacna costata. © MerlinCharon, Wikimedia commons, DP

    À l'intérieur de la coquille se trouve une couche de tissu qui entoure le corps de l'animal, c'est le manteaumanteau. Ce manteau va secréter tous les constituants de la coquille. La croissance de la coquille en longueur se fait près des bords du manteau (cf. schéma du bord ventral de la coquille ci-dessous) et l'épaississement se fait sur tout l'intérieur de la coquille.

    Bénitier de Nouvelle-Calédonie (longueur 20 cm) et son manteau exposé à la lumière. © L. Ortlieb, IRD. Reproduction et utilisation interdites
    Bénitier de Nouvelle-Calédonie (longueur 20 cm) et son manteau exposé à la lumière. © L. Ortlieb, IRD. Reproduction et utilisation interdites

    Chez les bénitiers, espèceespèce de bivalvebivalve du Pacifique, le manteau a pris des proportions très importantes, car il héberge des alguesalgues photosynthétiques indispensables à la vie du bénitier, et il reste visible, s'étendant à l'extérieur de la coquille souvent de façon spectaculaire.

    Voir aussi

    Coquillages : les secrets de la survie des mollusques

    Coupe schématique d'un bivalve montrant le manteau qui entoure le corps de l'animal. © C. E. Lazareth. Reproduction et utilisation interdites
    Coupe schématique d'un bivalve montrant le manteau qui entoure le corps de l'animal. © C. E. Lazareth. Reproduction et utilisation interdites

    Une biominéralisation de la coquille

    À l'intérieur du tissu qu'est le manteau se trouve de l'hémolymphehémolymphe et la surface est couverte d'un épithéliumépithélium (tissu dont les cellules sont jointives et solidaires les unes des autres grâce à des jonctions intercellulaires). Cet épithélium est appelé externe du côté de la coquille et interne du côté de l'animal. Entre le manteau, la surface interne de la coquille et le périostracum (fine couche de protéinesprotéines qui couvre la surface externe de la coquille), se trouve un fluide appelé fluide extrapalléal au sein duquel la fabrication de la coquille a lieu, c'est la biominéralisation.

    À noter : le compartiment où se fait la sécrétionsécrétion de la coquille peut être séparé en deux, délimitant un fluide extrapalléal interne et externe. Ainsi, chez la moule par exemple, la couche aragonitique (interne) est créée au sein du fluide extrapalléal interne et la couche calcitique externe est créée au sein du fluide extrapalléal externe.

    Schéma du bord ventral d'un bivalve de type moule montrant l'anatomie (simplifiée) du manteau et la localisation du fluide extrapalléal. © C. E. Lazareth. Reproduction et utilisation interdites
    Schéma du bord ventral d'un bivalve de type moule montrant l'anatomie (simplifiée) du manteau et la localisation du fluide extrapalléal. © C. E. Lazareth. Reproduction et utilisation interdites

    Le fluide extrapalléal est complètement isolé du milieu externe et les différents éléments (organiques et inorganiques) nécessaires à l'élaboration de la coquille passent donc par le manteau.

    Le carbonate de calciumcarbonate de calcium est issu d'une réaction impliquant des cations Ca2et des ions carbonates CO32- (Ca2++CO32- -> CaCO3). Les ions carbonates se forment au sein du fluide extrapalléal par réaction chimique à l'équilibre (impliquant des échanges de CO2, HCO3- et H+ entre l'hémolymphe et le fluide extrapalléal) dont le sens est contrôlé par l'animal qui maintient une différence de pH entre le fluide extrapalléal (plus alcalin/basique) et l'hémolymphe. Le Ca2+ est introduit dans le fluide extrapalléal grâce à un système de pompage actif (activé par des enzymes spécifiques), cette réaction enzymatiqueenzymatique participant aussi au maintien d'un équilibre chimique (par exemple au niveau du pH) au sein du fluide extrapalléal. Le Ca2+ peut aussi entrer dans le fluide extrapalléal en passant entre les cellules de l'épithélium.

    Schéma de quelques réactions chimiques, et voies de passage des composants, entre l'hémolymphe et le fluide extrapalléal, au niveau du bord du manteau où a lieu la croissance en longueur de la coquille des mollusques bivalves. © C. E. Lazareth. Reproduction et utilisation interdites
    Schéma de quelques réactions chimiques, et voies de passage des composants, entre l'hémolymphe et le fluide extrapalléal, au niveau du bord du manteau où a lieu la croissance en longueur de la coquille des mollusques bivalves. © C. E. Lazareth. Reproduction et utilisation interdites

    Les quelques processus évoqués et schématisés (ci-dessus) ne prennent pas en compte le rôle des composants organiques dans la formation de la coquille et ne reflètent donc qu'une partie du processus de biominéralisation. Les cristaux, dont nous avons vu brièvement comment les composants peuvent être amenés au sein du fluide extrapalléal, vont en fait se développer au sein d'une matrice organique « pré-formée », en trois dimensions (une sorte d'échafaudageéchafaudage), et qui a été produite par les cellules de l'épithélium. 

    La croissance de la coquille

    Des études sur la nacre ont permis de préciser la structure de cette matrice organique, sur laquelle (ou au sein de laquelle) croissent et s'organisent les cristaux qui constitueront la coquille. Ainsi, les « mursmurs » de cette structure organique complexe sont eux-mêmes constitués de différentes couches (cinq au total ; cf. Levi-Kalisman et al., 2001) associant les protéines et glucidesglucides dont nous avons parlé plus haut. Les protéines de la phase organique soluble offriraient des sites spécifiques permettant aux ions Ca de se fixer. L'ensemble des phases organiques, solubles et insolubles, contrôlerait ensuite la cristallisation (croissance des cristaux, type de polymorphe calcitecalcite ou aragonitearagonite, morphologiemorphologie) afin de créer ces biominéraux, aux morphologies spécifiques à chaque espèce et absolument non comparables à ce que l'on peut observer pour des carbonates de calcium précipités de façon purement physico-chimique (cristaux de calcite dans une géodegéode par exemple, roche calcairecalcaire, etc.).

    Ce contrôle biochimique de la biominéralisation, dépendant du métabolismemétabolisme général de l'organisme, apparaît de façon évidente si l'on cherche à observer le processus global de croissance de la coquille. En effet, la fabrication de la coquille se fait de façon continue (ou quasi continue) dans le temps, par un fonctionnement cyclique du manteau.

    Vue en coupe et au microscope optique d'une section de coquille de <em>Protothaca thaca</em> (Pérou-Chili). Sur les deux photographies, on voit clairement des traits arrondis (plus sombres à gauche et plus clairs à droite). Ce sont des stries de croissance (soulignées en noir) qui montrent l'élaboration de la coquille au cours du temps. © C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites
    Vue en coupe et au microscope optique d'une section de coquille de Protothaca thaca (Pérou-Chili). Sur les deux photographies, on voit clairement des traits arrondis (plus sombres à gauche et plus clairs à droite). Ce sont des stries de croissance (soulignées en noir) qui montrent l'élaboration de la coquille au cours du temps. © C. E. Lazareth, IRD. Reproduction et utilisation interdites

    Compléments de légende de la photo ci-dessus :

    • sur la photographiephotographie de gauche, la section a été polie mais des cristaux prismatiques ont été arrachés (flèche). Cela permet de voir que ces cristaux, définis par un terme cristallographique, ont été formés sur plusieurs unités de temps (ils sont traversés par plusieurs stries de croissance).
    • sur la photographie de droite, qui est une section attaquée par un acide léger, les prismes et stries de croissance sont particulièrement bien visibles, illustrant le contrôle de l'organisme sur la biominéralisation.
    Vue au MEB d'une coquille de <em>Trachycardium procerum</em>. On voit particulièrement bien la microstructure lamellaire croisée traversée par les stries de croissance. Cette microstructure définie d'un point de vue minéralogique n'a pas été fabriquée en une fois mais bien au cours de différents cycles de biominéralisation et ce, tout en conservant une unité « minéralogique ». © C. E. Lazareth et S. Caquineau, IRD. Reproduction et utilisation interdites
    Vue au MEB d'une coquille de Trachycardium procerum. On voit particulièrement bien la microstructure lamellaire croisée traversée par les stries de croissance. Cette microstructure définie d'un point de vue minéralogique n'a pas été fabriquée en une fois mais bien au cours de différents cycles de biominéralisation et ce, tout en conservant une unité « minéralogique ». © C. E. Lazareth et S. Caquineau, IRD. Reproduction et utilisation interdites

    S'il est bien possible de parler de couche calcitique prismatique et d'identifier ces prismes en tant que tel (unité « cristallographique »), il est impossible d'ignorer le rôle de l'organisme dans la fabrication et l'organisation de la coquille, comme le montrent les structures de croissance qui « coupent », par exemple, les prismes calcitiques (ou autre type d'arrangement microstructural des biominéraux). Ainsi, un prisme, et bien sûr par extension la coquille, n'est pas formé en une seule fois mais bien au cours de plusieurs cycles, dont nous allons voir que les origines sont variées.