Dans le cadre de la COP26 qui se tient à Glasgow jusqu'au 12 novembre, Futura vous propose une série d'entretiens avec des experts du climat pour décrypter le réchauffement climatique en cours, ses causes et ses conséquences, les risques auxquels nous devrons faire face si nous ne parvenons pas à maîtriser la hausse des températures et à ne pas dépasser les 1,5 °C, les solutions qui existent et celles à mettre en place. L'urgence climatique n'est pas un vain mot ! Aujourd'hui, nous donnons la parole à Isabelle Chuine, chercheuse CNRS au Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive.


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    Isabelle Chuine, chercheuse CNRS au Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive étudie les impacts du changement climatique sur le fonctionnement des forêts tempérées et la biodiversité.

    Futura : Comment la biodiversité supporte-t-elle le changement climatique ?

    Isabelle Chuine : Rappelons d'abord que les premières causes de perte de biodiversité sont la perte d'habitats naturels, la pêche et la chasse. Le changement climatique arrive ensuite. Mais il touche tous les organismes vivants : chacun est adapté à certaines conditions climatiques. En raison du réchauffement climatique, leur développement, piloté par les variations saisonnières du climatclimat, est perturbé. Par exemple, les arbresarbres fleurissent plus tôt mais perdent leurs feuilles plus tard qu'avant. Si ces perturbations ont d'abord été bénéfiques, en allongeant la période de croissance, elles ont désormais des conséquences délétères. Ainsi, le gelgel tardif au printemps décime arbres fruitiers, vignes. Il affecte aussi les chênes et les hêtreshêtres depuis une dizaine d'années. Et la vitessevitesse du changement climatique est bien trop rapide tant pour les espècesespèces végétales qu'animales : seuls les moustiques ou les bactériesbactéries sont capables de s'adapter immédiatement à un changement si rapide !

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    Isabelle Chuine : Certaines dépérissent comme en Allemagne où des milliers d'hectares de forêts d'épicéas ont disparu ou en France, dans le Grand Est ou en Bourgogne-France-Comté. L'épicéa est le plus touché (10 millions de m3) mais le chêne, le hêtre, le pin sylvestrepin sylvestre et le sapinsapin le sont aussi (centaines de milliers m3). En cause, principalement, la succession inédite de sécheressessécheresses estivales au cours des 10 dernières années. Affaiblis, les arbres deviennent plus vulnérables aux pathogènespathogènes et aux insectesinsectes ravageurs. Les premières forêts touchées sont sur des sols peu profonds ou qui ne retiennent pas l'eau. Mais nous observons aussi des signes inquiétants sur des espèces méditerranéennes réputées résistantes au stress hydriquestress hydrique et aux canicules, comme le chêne vertchêne vert, particulièrement affecté par la caniculecanicule de juin 2018 : arrivée trop tôt dans l'été, elle a grillé ses feuilles. Nous devons agir vite pour sauver nos forêts.

    Carte des dépérissements dus à la sécheresse dans le Grand Est de la France. © ONF
    Carte des dépérissements dus à la sécheresse dans le Grand Est de la France. © ONF

    Que faire ?

    Isabelle Chuine : La recherche prend du temps, nous manquons de moyens pour répondre à toutes les questions posées. Nous alertons depuis 20 ans... ce qui se passe n'est pas une surprise. L'État français a annoncé le reboisement de 45.000 hectares dans le cadre d'un Plan de relance pour lutter contre le réchauffement climatique et rendre les forêts plus résilientes, avec un budget de 200 millions d'euros sur deux ans. Mais il faudrait investir cette somme tous les ans ! Une chose est sûre, le reboisement des cinq prochaines années est crucial. Nous recommandons de diversifier au maximum les essences (feuillusfeuillus et résineux) tout comme les espèces, de favoriser la plus grande diversité génétiquegénétique possible au sein de chaque population d'arbres, d'éviter les espèces exotiquesexotiques pour lesquelles nous n'avons pas assez de recul, et de gérer autant que possible la forêt en futaie irrégulière jardinée avec des arbres à tous les stades d'évolution. Plus largement, il faut soutenir les Solutions fondées sur la nature que prône l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICNUICN) en restaurant des écosystèmesécosystèmes naturels à moindre coût.

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    Une expérience inédite et innovante a été lancée pour sauver la forêt de Chantilly, au nord-ouest de Paris. Qu’en pensez-vous ?

    Isabelle Chuine : C'est un remarquable projet ! Là-bas, 40 % des 2.000 hectares de forêt dépérissent et 70 % sont touchés par une invasion de hannetons qui dévorent les racines des arbres. Le collectif « Ensemble, sauvons la forêt de Chantilly » créé en 2020, réunit tous les acteurs locaux, forestiers, scientifiques, élus, riverains ou encore membres d'associations de défense de l'environnement pour sauver cette forêt. C'est un formidable travail collaboratif où 140 habitants, formés par les chercheurs, participent aux mesures et suivis des arbres. Les résultats de ces expérimentations pourraient servir d'exemple pour d'autres forêts.