En voulant observer une galaxie naine, des chercheurs sont tombés sur un phénomène étrange : une ligne d'étoiles en cours de formation, s'étendant sur près de 200 000 années-lumière. Le coupable a finalement été identifié : il s'agit d'un trou noir supermassif errant, qui s'est fait éjecter de sa galaxie !


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    Au centre de la plupart des grandes galaxies se trouve un trou noir supermassif. La Voie lactée ne fait pas exception, avec le sien récemment mis en image, Sagittarius A*. Si la plupart du temps, ces astres géants demeurent au cœur de leur galaxie, il arrive qu'en de très rares occasions ils en soient éjectés, et s'enfuient dans le milieu circumgalactique, structure qui entoure la galaxie. Ce type d'événement nécessite une grande quantité d'énergie, et de même, en libère énormément. Jusqu'à aujourd'hui, aucun phénomène de ce type n'avait été observé : des trous noirs stellaires errants, oui, mais jamais de supermassifs.

    C'est pourquoi des chercheurs ont été très étonnés lorsqu'ils ont découvert une étrange ligne droite dans des relevés du télescope spatial Hubbletélescope spatial Hubble, alors qu'ils cherchaient des images de la galaxie nainegalaxie naine RCPRCP 28 proche de nous. Ils ont fini par identifier le responsable inattendu : un trou noir supermassif en fuite, initiant la formation d'étoiles sur son passage ! Ils décrivent leurs résultats dans une étude acceptée dans Astrophysical Journal Letters et prépubliée sur ArXiv.

    Un étrange jet de lumière signe la présence d'un trou noir supermassif

    Tout a commencé par des observations via le télescope Hubble de la galaxie naine RCP 28 en septembre 2022. Les chercheurs y ont déniché par hasard une « caractéristique mince et linéaire qui s'étend sur 62 kpc (1 kiloparsec = 3261,56 années-lumièreannées-lumière, donc 62 kpc équivaut à environ 200 000 années-lumière) du noyau d'une galaxie compacte », décrivent-ils. Sans analogue connu, elle correspond en fait à des étoilesétoiles tout récemment formées, et alignées ! L'équipe a tout d'abord supposé une origine galactique. Ou plutôt, d'un trou noir supermassif au centre de sa galaxie.

    De tels phénomènes se produisent régulièrement, et proviennent du disque d'accrétiondisque d'accrétion du trou noir géant. La matièrematière attirée par l'astre tournoie à grande vitessevitesse autour de lui, au point où elle s'ionise et passe sous forme de plasma. Des conditions de température et de pressionpression extrêmes règnent au sein du disque, et parfois des interactions d'origine magnétohydrodynamique provoquent l'émissionémission à grande vitesse de matière ionisée. Et ces jets sont capables de provoquer la naissance d'étoiles !

    Des vues de la caractéristique observée par les chercheurs. En haut à droite, on peut voir que la ligne semble s'élargir en se rapprochant de la galaxie (en noir). En bas à gauche, un rendu en couleurs. En bas à droite, des spectres lumineux correspondant à différents éléments. Ils démontrent que le rapport [OIII]/Hβ varie de ~1 à ~10 le long de la caractéristique, indiquant un mélange de formation d'étoiles et de chocs rapides. © Van Dokkum et. al, 2023
    Des vues de la caractéristique observée par les chercheurs. En haut à droite, on peut voir que la ligne semble s'élargir en se rapprochant de la galaxie (en noir). En bas à gauche, un rendu en couleurs. En bas à droite, des spectres lumineux correspondant à différents éléments. Ils démontrent que le rapport [OIII]/Hβ varie de ~1 à ~10 le long de la caractéristique, indiquant un mélange de formation d'étoiles et de chocs rapides. © Van Dokkum et. al, 2023

    En effet, lors de leur passage, ils compriment la matière qu'ils croisent, enclenchant parfois l'effondrementeffondrement gravitationnel d'un nuage moléculaire et initiant ainsi le processus d'accrétion stellaire. Mais, divers éléments contredisent l'hypothèse d'un jet de trou noir. D'après la théorie, les interactions les plus fortes devraient se produire au plus près de la galaxie d'origine, et ensuite décroître. Et leurs observations ne concordent pas : les chercheurs ont noté la présence de points très lumineux éloignés du centre galactiquecentre galactique !

    De plus, la morphologiemorphologie de la caractéristique ne correspond pas à celle d'un jet de trou noir supermassif : la ligne devrait être de plus en plus dispersée à mesure que l'on s'éloigne de l'origine. Et ce n'est pas le cas. Le seule conclusion possible selon l'étude : « la caractéristique est le sillage d'un trou noir supermassif en fuite ». Ou plutôt en fuite, éjecté de sa galaxie hôte.

    En (1), deux galaxies fusionnent, et leurs trous noirs avec. Une troisième galaxie arrive (3), et une interaction à trois corps se produit (4). L'un des trous noirs est éjecté (5), et le binaire restant reçoit une force opposée équivalente. Il peut se produire plus d'un milliard d'années entre les étapes 2 et 3. Les étapes 4 et 5 ont eu lieu il y a 39 millions d'années. L'image de droite est une illustration du phénomène observé montrant des fluctuations de densités dans le milieu circumgalactique. © Van Dokkum et. al, 2023
    En (1), deux galaxies fusionnent, et leurs trous noirs avec. Une troisième galaxie arrive (3), et une interaction à trois corps se produit (4). L'un des trous noirs est éjecté (5), et le binaire restant reçoit une force opposée équivalente. Il peut se produire plus d'un milliard d'années entre les étapes 2 et 3. Les étapes 4 et 5 ont eu lieu il y a 39 millions d'années. L'image de droite est une illustration du phénomène observé montrant des fluctuations de densités dans le milieu circumgalactique. © Van Dokkum et. al, 2023

    Une fusion de trois galaxies dans le passé

    Reste à savoir comment il est arrivé là. Selon les chercheurs, « la première étape est toujours une fusionfusion de galaxies, qui conduit à la formation d'un trou noir supermassif binairebinaire au centre du résidu de fusion ». Les deux monstres peuvent ainsi fusionner, sans que l'un soit éjecté. Mais si une troisième galaxie s'ajoute, c'est là que ça se complique. Si le troisième trou noir arrive avant que les deux autres aient terminé leur fusion, alors « une interaction à trois corps peut conférer une grande vitesse à l'un des trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs conduisant à sa fuite du noyau galactique », décrit l'étude. 

    Ils ont estimé un temps depuis l'éjection de 39 millions d'années, et calculé la vitesse actuelle du trou noir isolé à près de 1 600 km/s ! L'étude s'est aussi concentrée sur le binaire supermassif restant après l'interaction, pour lequel ils estiment une vitesse de 900 km/s. En effet, deux systèmes stellairessystèmes stellaires hyper compacts ont été détectés de chaque côté de la ligne d'étoiles naissantes, correspondant à des amas denses d'étoiles autour de trous noirs supermassifs. Confirmant le scénario décrit ci-dessous.