Situés au cœur des grandes galaxies, les trous noirs supermassifs émettent parfois des jets puissants de matière ionisée provenant de la matière qu'ils sont en train d'accréter. Des chercheurs ont étudié les changements au sein de la galaxie que pouvaient avoir ces jets énergétiques, notamment sur la formation stellaire.


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    Avec plusieurs millions, voire des milliards de masses solaires, les trous noirs supermassifstrous noirs supermassifs se situent au centre des grandes galaxies. La Voie lactée, notre galaxie, abrite par exemple Sagittarius A*, dont la toute première image a récemment été dévoilée ! Bien que l'on ne comprenne pas encore comment ils se forment, on sait cependant étudier leur influence sur leur environnement. C'est ce qu'a entrepris une équipe internationale d'astronomesastronomes qui s'est intéressée plus particulièrement aux jets de particules qu'ils émettent lorsqu'ils accrètent de la matière. Leurs résultats ont été publiées dans la revue Nature Astronomy

    Des jets qui frappent le disque galactique

    Ils ont ciblé la galaxie IC 5063, située à 156 millions d'années-lumière de la Terre. Capturée par le télescope spatial Hubbletélescope spatial Hubble en 2019, son image est des plus curieuses : les scientifiques décrivent une alternance de zones lumineuses et de zones d'ombres, similaires aux rayons crépusculaires sur Terre. Tout semble provenir du noyau de la galaxie, comme s'il projetait des rayons lumineux, qui étaient soit transmis, donc visibles, soit absorbés par les nuagesnuages moléculaires, donc invisibles. Mais ce phénomène reste inhabituel, car ces rayons lumineux en provenance du cœur de la galaxie correspondent en fait à des jets émis par le trou noir supermassif qui s'y trouve.

    Alors que le trou noir attire inéluctablement la matière qui s'en approche trop, celle-ci se déforme, tombe vers lui en spirale. Il se produit alors ce que l'on appelle un disque d'accrétiondisque d'accrétion, composé de toute cette matière qui chute petit à petit vers l'horizon du monstre astronomique. Les différentes stratesstrates du disque d'accrétion ne tournoient pas à la même vitessevitesse, si bien qu'à cause des frottements, le gazgaz s'échauffe et se ionise. Des rayonnements électromagnétiques, voire des jets de matière ionisée sont alors émis par le plasma du disque, le rendant parfois particulièrement lumineux : dans ce cas-là, on parle de quasarquasar, pour quasi-stellar. Ces jets sont émis perpendiculairement au plan du disque d'accrétion, autour duquel se trouve se trouve un tore de poussières.


    Une vue d'artiste expliquant le modèle unifié des AGN. Dans tous les cas, il s'agit d'un trou noir supermassif entouré d'un disque d'accrétion, lui-même bordé par un énorme tore de poussières et de gaz. Des jets de particules sont émis et, en observant un AGN parallèlement à l'un de ces jets, on obtient un blazar très lumineux. Perpendiculairement, le rayonnement perçu est moins intense et on voit surtout une source radio. Entre les deux, et quand l'activité est très forte, il s'agit d'un quasar. © NRAO Outreach

    Ils pourraient déclencher la formation d'étoiles

    Propulsés à grande vitesse dans la galaxie, ces jets exercent une influence sur la matière qu'ils traversent ensuite. C'est cette influence qu'a voulu étudier l'équipe de chercheurs, en ciblant IC 5063. Car, dans son cas, les jets sont émis par le trou noir dans une orientation différente de celle rencontrée habituellement. En effet, en général, ces jets de trous noirs supermassifs sont émis perpendiculairement au disque galactique alors que, pour la galaxie IC 5063, ils se propagent dans le plan du disque galactique et touchent donc directement les nuages du milieu interstellaire. L'alternance de zones sombres et lumineuses s'étend sur près de 36.000 années-lumière, suggérant que le jet émis par le disque d'accrétion du trou noir central s'est étendu au moins sur cette distance.

    Pour en savoir plus sur ces mystérieux nuages qui assombrissent la galaxie, l'équipe a modélisé plusieurs raies d'émissionsémissions grâce à des observations réalisées par le VLTVLT et Alma : celle du monoxyde de carbonemonoxyde de carbone (CO), du cationcation formylium (HCO+), du soufresoufre ionisé et de l'azoteazote ionisé. Cela leur a permis de calculer les densités et températures qui règnent au sein des nuages moléculaires et du milieu que traverse le jet, puis d'en déduire les conditions de pressionpression.

    « Nous avons effectué plusieurs milliers de simulations astrochimiques pour couvrir un large éventail de possibilités qui peuvent exister dans IC 5063 », a déclaré Thomas Bisbas, coauteur de l'étude et chercheur à l'Université de Cologne. « De cette façon, nous pourrions obtenir la combinaison optimale des paramètres physiquesphysiques des nuages ​​à différents endroits de la galaxie », a ajouté Georgios Filippos Paraschos, coauteur de l'étude et étudiant en doctorat à l'Institut Max PlanckMax Planck de radioastronomie à Bonn (Allemagne).

    La galaxie IC 5063 vue par Hubble et retravaillée par l'astronome amateur Judy Schmidt. Y ont été mis en valeur les ombres du tore et du disque d'accrétion. © Nasa, ESA, STScl and W.P Maksym
    La galaxie IC 5063 vue par Hubble et retravaillée par l'astronome amateur Judy Schmidt. Y ont été mis en valeur les ombres du tore et du disque d'accrétion. © Nasa, ESA, STScl and W.P Maksym

    À partir de ces simulations, ils ont pu établir plusieurs cartes de pression : celle qui règne au sein des nuages moléculaires, et la pression qui les entoure. Or, lorsqu'une densité suffisante est atteinte dans un nuage moléculaire, celui-ci peut finir par se contracter sur lui-même et devenir alors... une étoileétoile« Nos résultats montrent que les trous noirs supermassifs, même s'ils sont situés au centre des galaxies, pourraient affecter la formation d'étoiles à l'échelle de la galaxie, a déclaré le professeur Kalliopi M.Dasyra, premier auteur de l'étude. L'étude de l'impact des changements de pression sur la stabilité des nuages ​​a été la clé du succès de ce projet. Une fois que quelques étoiles se forment réellement dans un ventvent galactique, il est généralement très difficile de détecter leur signal au-dessus du signal de toutes les autres étoiles dans la galaxie abritant le vent. »

     

    Les cartes de pression de l'IC 5063. Le panneau de gauche montre la pression interne des nuages ​​moléculaires mesurée à partir des lignes d'émission de CO et HCO+. Le panneau de droite montre la pression du milieu ionisé telle que mesurée à partir des lignes d'émission de soufre et d'azote ionisés. Cette pression est considérée comme externe aux nuages ​​moléculaires. Les croix marquent la position du noyau radio et les lignes de contour blanches la traînée de jet telle que tracée par l'image à bande étroite de la caméra planétaire à champ large 2 du télescope spatial Hubble. © Dasyra, K.M., Paraschos, G.F., Bisbas, T.G. et al. 
    Les cartes de pression de l'IC 5063. Le panneau de gauche montre la pression interne des nuages ​​moléculaires mesurée à partir des lignes d'émission de CO et HCO+. Le panneau de droite montre la pression du milieu ionisé telle que mesurée à partir des lignes d'émission de soufre et d'azote ionisés. Cette pression est considérée comme externe aux nuages ​​moléculaires. Les croix marquent la position du noyau radio et les lignes de contour blanches la traînée de jet telle que tracée par l'image à bande étroite de la caméra planétaire à champ large 2 du télescope spatial Hubble. © Dasyra, K.M., Paraschos, G.F., Bisbas, T.G. et al.