La vie pourrait-elle se développer dans les nuages d’acide sulfurique de Vénus ? L’hypothèse fait débat, mais reste présente, renforcée par de récents travaux de recherche. Ceux-ci montrent en effet que des acides aminés, qui forment les briques de base du vivant, sont capables de survivre dans les conditions atmosphériques de la planète.


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    L'eau est communément considérée comme le solvant de la vie. C'est en effet le cas sur Terre. Ce ne serait cependant pas la seule alternative. D'autres solutions semblent en effet capables de soutenir, voire de favoriser certaines réactions chimiques abiotiquesabiotiques qui sont à la base de la vie terrestre. C'est le cas de l'acide sulfurique.

    Vénus : une atmosphère composée de nuages d’acide sulfurique

    Très corrosif, l'acide sulfurique n'apparaît pas, a priori, comme un milieu très favorable à l'élaboration de molécules organiques complexes. Et pourtant, cette hypothèse est considérée depuis quelques années, notamment dans le cadre d'études sur les conditions d'habitabilité de VénusVénus.

    Habitabilité de Vénus ? Voilà une notion étrange, lorsque l'on sait que la surface de la planète est soumise à des températures de l’ordre de 462 °C et à une pression atmosphériquepression atmosphérique 92 fois supérieure à celle de la Terre. Si la surface ressemble à l’enfer, ce n'est cependant pas le cas de son atmosphèreatmosphère. En s'élevant à travers l'épaisse masse nuageuse, la température et la pression tombent à des valeurs plus favorables à la synthèse de molécules organiques. Sauf que ces nuagesnuages sont composés d'acide sulfurique concentré.

    Vénus (ici photographiée par la sonde Mariner 10) est entourée d'une épaisse couche de nuages composés d'acide sulfurique. © Nasa, JPL-Caltech
    Vénus (ici photographiée par la sonde Mariner 10) est entourée d'une épaisse couche de nuages composés d'acide sulfurique. © Nasa, JPL-Caltech

    Des acides aminés qui pourraient survivre dans les nuages vénusiens

    Un fait qui pourrait finalement ne pas être un problème, d'après les résultats d'une nouvelle étude publiée dans la revue Astrobiology. Une équipe de chercheurs a en effet réalisé des tests en laboratoire pour observer la résistancerésistance de 20 acides aminés essentielsacides aminés essentiels à la vie terrestre au sein d'une solution d'acide sulfurique hautement concentrée simulant les conditions existantes dans les nuages vénusiens. Et là, surprise ! Dix-neuf acides aminés ont réussi à « survivre » jusqu'à quatre semaines dans cet environnement a priori très hostile. Cette étude révèle que les nuages de Vénus seraient donc capables de supporter la synthèse de molécules organiques complexes représentant des briques de base du vivant.

    Une chimie prébiotique pourrait-elle donc exister dans l’atmosphère de Vénus ? Pour l'instant, cette question reste sans réponse mais ces récents résultats suggèrent que oui.


    Des poches de vie dans l'atmosphère de Vénus ?

    Article de Gaspard SalomonGaspard Salomon, publié le 27 décembre 2021

    Malgré son apparence inhospitalière, Vénus pourrait être susceptible d'abriter la vie, notamment dans son atmosphère : des anomaliesanomalies chimiques inexpliquées y sont détectées, dont l'éventuelle présence d'ammoniacammoniac. Des chercheurs du MIT proposent un enchainement de processus chimiques capables, à partir de la simple présence d'ammoniac (d'origine potentiellement biologique dans l'étude), de neutraliser l'environnement acide de l'atmosphère.

    Parfois surnommée la « planète sœur de la Terre » du fait de certaines de leurs similitudes (taille, masse, composition), Vénus est notre plus proche voisine planétaire. Avec une température d'en moyenne 460 °C, sa surface est constamment balayée par des ventsvents soufflant à près de 100 m/s, créant des conditions largement défavorables à la survie de n'importe quelle forme de vie connue. Quant à son atmosphère, elle est composée à 96 % de dioxyde de carbonedioxyde de carbone, et est beaucoup plus dense que l'atmosphère terrestre, avec une pression au sol de 93 barsbars (soit près de 93 fois la pression à la surface de la Terre). Elle comporte également d'épais nuages composés de dioxyde de soufresoufre et de gouttelettes d'acide sulfurique, parfois à l'origine de pluies d'acide sulfurique (qui sont d'ailleurs évaporées avant de pouvoir atteindre la surface). 

    La surface de Vénus vue par les sondes Venera 13 et Venera 14. © Soviet Space Agency/IPF APOD/Don P. Mitchell
    La surface de Vénus vue par les sondes Venera 13 et Venera 14. © Soviet Space Agency/IPF APOD/Don P. Mitchell

    Une planète inhospitalière suspectée d’abriter des conditions propices à la vie ?

    Malgré ces caractéristiques peu engageantes, plusieurs paramètres amènent les scientifiques à suspecter Vénus de pouvoir abriter de la vie, notamment dans son atmosphère : d'abord, à environ 50 kilomètres d'altitude, la pression et la température sont similaires à celles de la surface de la Terre (environ 1 bar, et une température variant de 0 à 50 °C), apportant des conditions bien plus clémentes que sur la surface vénusienne. De plus, des anomalies chimiques qui demeurent inexpliquées ont été détectées dans les nuages vénusiens, comme la présence de dioxygène en faibles quantités, de particules non sphériques (par opposition aux gouttelettes sphériques d'acide sulfurique), et même de petites concentrations en vapeur d'eau. Les profils verticaux d'abondance de dioxyde de soufre et de vapeur d'eau dans l'atmosphère de Vénus semblent également difficiles à expliquer. Fait encore plus intrigant, la présence d'ammoniac y avait brièvement été détectée dans les années 1970 par les sondes VeneraVenera 8 et Pioneer Venus, mais son origine dans l'atmosphère vénusienne reste inexpliquée.

    Des scientifiques du MIT (Massachusetts Institute of Technology), de l'université de Cardiff et de l'université de Cambridge, ont cherché à identifier des réactions chimiques prenant place dans l’atmosphère vénusienne pour expliquer les anomalies observées. Dans leur modèle, les réactions sont engendrées par la présence d'ammoniac, qui permettrait de déclencher par effet domino des réactions chimiques capables d'une part d'expliquer les anomalies détectées, mais également de neutraliser les gouttelettes d'acide sulfurique : en se dissolvant dans les gouttelettes d'acide sulfurique, l'ammoniac pourrait neutraliser l'acide et piéger le dioxyde de soufre sous forme de sels de sulfite d'ammonium. Ce piégeage du dioxyde de soufre expliquerait l'anomalie de son abondance verticale. Les gouttelettes comportant des sels d'ammonium comporteraient alors des conditions analogues aux environnements acidophilesacidophiles terrestres, les rendant alors « potentiellement habitables ».

    Voir aussi

    Vénus : La Nasa envisage une mission pour rechercher la vie dans ses nuages en 2027

    Une origine biologique pour l’ammoniac ?

    Bien que la source d'ammoniac soit pour l'instant inconnue, les scientifiques prédisent que sa présence pourrait impliquer une production biologique, n'ayant pu l'expliquer par d'autres processus non biologiques comme le volcanismevolcanisme ou la foudrefoudre. De plus, l'ammoniac (NH3) comporte de l'hydrogènehydrogène, qui n'est présent qu'en très faibles quantités dans l'atmosphère de Vénus : un gazgaz qui n'appartient pas à son environnement est facilement suspecté d'être lié à des processus biologiques.

    Si l'ammoniac vénusien est bien produit par une forme de vie quelconque, les scientifiques ayant participé à l'étude poussent leur modèle encore plus loin : la réaction produisant de l'ammoniac la plus économique d'un point de vue énergétique produirait également du dioxygène, permettant d'expliquer la détection d'O2 dans les couches nuageuses.

    Ce modèle démontre donc la possibilité de processus chimiques expliquant largement les anomalies détectées dans l'atmosphère vénusienne, mais impliquant également une source biologique capable de produire de l'ammoniac, rendant au passage les conditions plus favorables à la survie d'une quelconque forme de vie. En somme, cette étude suggère que la vie pourrait créer son propre environnement sur Vénus. Cette hypothèse est séduisante, et les scientifiques ont dressé une liste de signatures chimiques sur lesquelles de futures missions dans les nuages de Vénus (dont les missions Venus Life Finder) devraient se concentrer pour tenter de la vérifier.