On continue à s'interroger sur l'existence des trous de ver qui permettraient de coloniser les exoplanètes proches du Système solaire en moins d'un siècle. Régulièrement, des chercheurs publient des articles sur des signatures possibles, par exemple avec des effets de microlentilles gravitationnelles qui seraient spécifiques à ces objets et différentes notamment des trous noirs. C'est un peu le cas d'un article qui fait un certain buzz actuellement, mais qui ne tranche pas la question.


au sommaire


    On se souvient des espoirs déçus de l'affaire des neutrinos qui semblaient transluminiques défiant la théorie d'EinsteinEinstein interdisant à des objets matériels de dépasser la vitesse de la lumière. Mais si l'on ne peut défier directement Einstein, on peut espérer le contourner en se basant sur des possibilités ouvertes par sa propre théorie de la relativité générale et plus probablement pas une extension de cette théorie qui permettrait, peut-être, de rendre réel le rêve du voyage interstellaire bien plus rapidement que la lumière.

    Rappelons que c'est en 1988 que le prix Nobel de physique Kip Thorne avait stupéfié le monde de la physique en publiant avec ses collègues Michael S. Morris et Ulvi Yurtsever un article démontrant que, non seulement les équations d'Einstein possédaient une solution décrivant un trou de ver traversable, mais aussi qu'il permettait de voyager dans le temps. La découverte avait été faite alors que Thorne cherchait à rendre crédible, à la demande de Carl Sagan, l'existence d'un tel objet pour son célèbre roman de science-fiction, Contact.


    Jean-Pierre Luminet nous parle des trous de ver, de leur connexion avec les trous noirs en rotation et du voyage interstellaire. © Jean-Pierre Luminet, YouTube

    Thorne allait reprendre l'idée pour sa collaboration en tant que conseiller scientifique du film du réalisateur britannique Christopher Nolan, Interstellar. L'intrigue du film ne repose pas seulement sur la physique des trous noirs mais aussi sur celle des trous de ver que l'on désigne en anglais par wormholes. C'est le grand physicienphysicien John Wheeler qui a introduit cette dénomination en 1957, dix ans avant celle de trou noir dont il est aussi à l'origine. Tout comme un tunnel creusé par un ver dans une pomme constitue un raccourci entre deux points sur la surface de cette pomme, un wormhole est un pont entre deux régions de l'espace-tempsespace-temps permettant en théorie de se rendre de l'une à l'autre dans un temps plus court, voire de voyager dans le temps.

    Une solution de type trou de ver était déjà connue d'Einstein qui en avait fait sa découverte avec son collaborateur Nathan Rosen en 1935. Mais on ne pouvait pas la traverser, en tentant de traverser le tunnel qu'elle représente dans l'espace-temps, celui-ci se ferme en fait sur le voyageur imprudent qui finit même par être détruit par une singularité de l'espace-temps.

    Une représentation d'un trou de ver qui serait traversable contrairement à un pont d'Einstein-Rosen. Une telle déformation de l'espace-temps connectant deux régions permettrait, en théorie, de voyager en n'importe quel point de l'espace et du temps instantanément ou presque. © Wikipédia, CC by 3.0
    Une représentation d'un trou de ver qui serait traversable contrairement à un pont d'Einstein-Rosen. Une telle déformation de l'espace-temps connectant deux régions permettrait, en théorie, de voyager en n'importe quel point de l'espace et du temps instantanément ou presque. © Wikipédia, CC by 3.0

    Des trous de ver plus exotiques que les ponts d'Einstein-Rosen

    Grâce à Thorne et Morris, nous savons que l'on peut envisager des trous de ver traversables pourvu que l'on puisse disposer de ce que l'on appelle de la matièrematière ou de l'énergieénergie exotiqueexotique. Certains états du vide quantique que l'on peut obtenir par effet Casimireffet Casimir ressemblent à ceux de cette matière exotique, mais il n'en existe pour le moment aucune trace dans l'UniversUnivers. En tout état de cause, les premiers calculs concernant la quantité d'énergie nécessaire pour ouvrir un trou de ver traversable indiquent qu'il faudrait disposer de bien plus de celle qui est émise par une étoileétoile comme le SoleilSoleil en une année.

    Depuis quelques années, on explore d'autres types de solutions de trous de ver, par exemple celle décrivant des trous de ver chargés qui sont des analogues des trous noirs chargés. En effet, on connaît depuis longtemps une solution des équations d'Einstein-Maxwell décrivant un trou noir avec une charge électrique et sans rotation. Il s'agit de la solution découverte indépendamment et avant 1920 par Hans Reissner et Gunnar Nordström (qui n'avaient aucune idée qu'il s'agissait d'un trou noir).

    On spécule en cosmologiecosmologie sur la possibilité de l'existence de trous noirs primordiaux nés pendant le Big Bang dans des conditions de physique des hautes énergies très exotiques, par exemple en raison de l'existence de champs scalaires responsables d'une phase d'inflation ou d'effets encore inconnus de gravitation quantiquegravitation quantique. Les trous noirs et les trous de ver étant cousins, on peut penser que des trous de ver primordiaux ont peut-être également été produits à ce moment-là. Mais comment le savoir ?

    La croix d'Einstein (Q2237+030 ou QSO 2237+0305) est un quasar à lentille gravitationnelle qui se trouve directement derrière le centre de la galaxie ZW 2237+030, appelée lentille de Huchra du nom de son découvreur, l'astronome John Huchra décédé depuis. Quatre images du même quasar distant (plus une au centre, trop sombre pour être vue) apparaissent au milieu de la galaxie de premier plan en raison d'une forte lentille gravitationnelle. Clairement, ce ne peut être un des trous de ver chargés découverts par les chercheurs chinois car on observe quatre images. © Nasa, Esa 
    La croix d'Einstein (Q2237+030 ou QSO 2237+0305) est un quasar à lentille gravitationnelle qui se trouve directement derrière le centre de la galaxie ZW 2237+030, appelée lentille de Huchra du nom de son découvreur, l'astronome John Huchra décédé depuis. Quatre images du même quasar distant (plus une au centre, trop sombre pour être vue) apparaissent au milieu de la galaxie de premier plan en raison d'une forte lentille gravitationnelle. Clairement, ce ne peut être un des trous de ver chargés découverts par les chercheurs chinois car on observe quatre images. © Nasa, Esa 

    Une population de trous noirs primordiaux pourrait se signaler par des effets de microlentilles gravitationnelles. C'est-à-dire que le champ de gravitation de ces corps massifs et compacts peut dévier la lumière comme le ferait une lentillelentille. Un trou noir passant devant une étoile pourrait donc brutalement augmenter sa luminositéluminosité par un effet de loupe. On observe des effets de lentilles gravitationnelleslentilles gravitationnelles avec des objets aussi massifs que des galaxiesgalaxies et des amas de galaxiesamas de galaxies. L'un des premiers exemples connus a été la spectaculaire croix d'Einstein.

    Depuis de nombreuses années, on se pose la question aussi de l'observabilité d'un effet de microlentille gravitationnelle avec des trous de ver. Plusieurs articles à ce sujet ont été publiés dont un tout nouveau récemment, que l'on peut consulter sur arXiv.

    L'équipe de chercheurs chinois derrière cette publication dans Physical Review Letters a considéré une nouvelle solution de type wormhole avec une charge électrique et une massemasse négative, du genre donc de celle pouvant provenir d'une nouvelle physique pendant le Big BangBig Bang.

    Les physiciens ont trouvé que ce type de trou de ver ne devrait pas démultiplier les images d'une source lumineuse plus de trois fois et qu'au total, l'effet d'amplification de la lumière d'une étoile devant laquelle se déplacerait ce trou de ver serait de 100 000 fois.

    La publication reçoit actuellement une certaine publicité, mais n'a finalement rien de révolutionnaire. Toutefois, elle illustre le fait que l'on peut toujours penser que certains effets de microlentille gravitationnelle pourraient être tellement spécifiques à certains trous de ver, par exemple ceux qui pourraient faire d'Interstellar une réalité, que l'on pourrait finalement mettre en évidence leur existence.


    L'écume de l'espace-temps (16) : Voyages temporels, trous de ver et horizons chronologiques. © Jean-Pierre Luminet