Les cosmologistes sont de plus en plus perplexes depuis quelques années face à un désaccord progressivement et solidement établi entre les résultats de deux mesures de la vitesse de l'expansion du cosmos observable. Faut-il revoir le Modèle cosmologique standard avec une nouvelle physique ? Oui, selon deux physiciens des particules qui suggèrent une transposition juste avant l'émission du rayonnement fossile de l'équivalent de l'ébullition d'un liquide mais dans un champ pouvant décrire une énergie noire. Explications.


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    Lorsque Futura avait fêté ses 20 ans, l'astrophysicienne Françoise CombesFrançoise Combes, professeure au Collège de France, connue pour ses recherches sur les galaxies et la matière noirematière noire, avait attiré l'attention à cette occasion sur une énigme de la cosmologie actuelle basée sur la matière noire froide (CDM, cold dark matter en anglais) et avec une constante cosmologique Lambda (L ou Λ) que l'on peut décrire comme une forme d'énergie noire.

    On sait depuis presque 20 ans que l'expansion de l'Univers observable est en cours d'accélération depuis quelques milliards d'années alors que les premiers modèles cosmologiques envisagés à partir de la découverte du rayonnement fossile et, pour faire simple, à la fin des années 1970 en se basant sur d'autres observations et mesures en astrophysiqueastrophysique à cette époque, prévoyaient une décélération de l'expansion après une phase de Big BangBig Bang chaude du CosmosCosmos primordial.

    On peut décrire l'expansion en utilisant une loi faisant intervenir ce que l'on appelle la constante de Hubble-Lemaître. Cette loi et sa constante relient la distance à la Voie lactéeVoie lactée d'une galaxie à son décalage spectral vers le rouge. Françoise Combes nous avait alors expliqué que « cette fameuse constante a beaucoup varié au cours du XXe siècle, alors que les distances des galaxies sont mal connues. Elle variait entre 50 et 100km/s/Mpc, ce qui avait un grand impact sur l'âge de l'Univers : en effet plus H0 est grand, plus l'âge de l'Univers est petit.  

    Au point que certaines étoilesétoiles devenaient plus vieilles que l'Univers !

    Au fil du temps, et des progrès des télescopestélescopes, un nouvel indicateur de distance, une nouvelle chandelle standardchandelle standard, a vu le jour sous la forme des supernovaesupernovae de type Ia : elles permettent de déterminer les distances bien plus loin que les Céphéides, car elles sont très brillantes. En mesurant la duréedurée de leur courbe de lumièrelumière, il est possible d'en déduire leur luminositéluminosité intrinsèque, et donc leur distance. Surprise : ces supernovae étaient beaucoup plus éloignées que prévu par leur décalage spectral. C'est ainsi qu'a été découverte l'accélération de l'expansion en 1998 (Prix Nobel 2011), qui rend compatible l'âge de l'Univers avec l'âge des étoiles.

    Pendant près de 20 ans, toutes les observations (fond cosmologique avec WMAPWMAP, PlanckPlanck, lentilles gravitationnelleslentilles gravitationnelles, SNIa, etc), sont tombées d'accord pour établir le modèle de convergence de l'Univers, avec 30 % de matière, 70 % d'énergie noire, et une constante H0 = 70km/s/Mpc. Depuis ces dernières années, toutefois, une tension se développe entre la valeur de H0 mesurée localement (Céphéides et autres chandelles standard) et celle déduite du modèle de cosmologiecosmologie LCDM, avec la physiquephysique de l'univers primordial :  H0=73 d'un côté, 66 km/s/Mpc de l'autre.

    Est-ce que cela vient de la masse des neutrinos ? de la quintessence, de l'énergie noire ? ou d'une autre physique ? »


    Depuis 13,7 milliards d’années, l’Univers n’a cessé d’évoluer. Contrairement à ce que nous disent nos yeux lorsque l’on contemple le ciel, ce qui le compose est loin d’être statique. Les physiciens disposent des observations à différents âges de l’Univers et réalisent des simulations dans lesquelles ils rejouent sa formation et son évolution. Il semblerait que la matière noire ait joué un grand rôle depuis le début de l’Univers jusqu’à la formation des grandes structures observées aujourd’hui. © CEA Recherche

    Une transition de phase du premier ordre qui change le rayonnement fossile

    Depuis quelques années, deux physiciensphysiciens des particules, Martin S. Sloth du Centre de cosmologie et de phénoménologie de la physique des particules de l'Université du Danemark du Sud (University of SouthernSouthern Denmarken ou USD anglais) et Florian Niedermann de l'Institut nordique de physique théorique (Nordita) à Stockholm, développe une théorie qui pourrait permettre de réconcilier les observations.

    Un communiqué de l'USD expose aujourd'hui en partie cette théorie dont la dernière publication faite à ce sujet par les deux chercheurs est en accès libre sur arXiv tout autant que dans le journal Physics Letters B.

    On peut la résumer de façon énigmatique en expliquant que leur théorie fait intervenir une transition de phasetransition de phase de premier ordre dans l'énergie noire et, en l'occurrence, l'équivalent de l'ébullition d'un gazgaz initialement surchauffé qui brutalement se met à former des bulles de liquideliquide qui vont fusionner jusqu'à ce que le gaz devienne complètement liquide.

    Tout ceci sera éclairci plus loin en lisant cet article (précisons tout de même qu'une transition de phase du premier ordre est du type de celle d'un changement d'état entre gaz et liquide alors qu'une transition du second ordre est la perte d'aimantationsaimantations spontanée d'un aimantaimant chauffé, ces notions avaient été introduites avec leurs définitions précises par Paul Ehrenfest).

    Mais, avant d'aller plus loin, il faut rappeler que la présence d'une énergie noire causant l'accélération du cosmos observable fait souvent intervenir la présence d'un champ scalaire similaire à celui du bosonboson de Brout-Englert-Higgs (BEH). On s'est également servi de champ analogue pour décrire pendant le Big Bang une phase d'inflation quelques milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes de milliardièmes de seconde environ après un hypothétique temps zéro, phase d'inflation où ce champ aurait également subi une transition de phase du premier ordre formant ce que l'on appelle des bulles de faux vide.

    Le champ du boson BEH aurait manifesté le même phénomène un peu plus tard mais n'entrainant qu'une faible dilatationdilatation de l'espace contrairement au champ appelé inflatoninflaton, responsable de l'expansion exponentielle rapide, violente et importante de l'inflation.  


    Une présentation de la physique de l'inflation avec ses bulles. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © PBS Space Time

    Martin  Sloth et Florian Niedermann proposent de faire intervenir un nouveau champ scalaire (similaire aux fameux champs des hypothétiques axions) pour l'énergie noire (dark energy en anglais) qui aurait lui aussi subi une transition du premier ordre mais à des énergies bien plus faibles -- tout juste capables de ioniser un atomeatome -- pendant le Big Bang et bien plus tard, presque 380 000 ans après lui, en fait juste avant la fameuse phase de recombinaisonrecombinaison qui a vu l'apparition des premiers atomes et la naissance du rayonnement fossile.

    Cette New early dark energy (Nede) aurait donc légèrement modifier le rayonnement fossile et c'est parce que nous n'aurions pas tenu compte de ce phénomène que la valeur de la constate de HubbleHubble tirée de l'étude du rayonnement fossile nous apparait comme en désaccord avec celle tirée de l'étude des supernovae.

    Une analogue de la transition de phase électrofaible et de l'inflation

    Maintenant pour rendre plus clair tout ce que nous venons de dire, reprenons tout du début y compris également des explications que Futura avait donné dans un précédent article sur une tout autre question.

    Si l'on remonte le cours du temps en direction d'un hypothétique instant zéro de l'Univers observable, on finit par arriver à une brève période de l'histoire de l'Univers appelée recombinaison. Elle s'est produite environ 380 000 ans après la naissance du Cosmos observable, lorsque sa température est devenue suffisamment basse (environ 4 000 K) pour que les électronsélectrons soient capturés par les noyaux des atomes sans en être aussitôt arrachés par l'énergie des photonsphotons baignant dans l'univers primitif. Si l'on remonte plus loin, en dessous de la première seconde, avant que ne se produise en quelques minutes la nucléosynthèsenucléosynthèse à l'origine des éléments légers, on rencontre un autre événement marquant de la morphogénèse du cosmos.

    Dans le cadre de certains modèles unifiés des interactions en théorie quantique des champs, on est conduit à introduire plusieurs champs de Brout-Englert-Higgs pour donner une masse aux bosons des théories de jauge. Souvent, ces champs se comportent de la façon qui est décrite sur ce schéma. À très haute température, l'intensité d'un champ de Higgs dans le vide, notée Φ, est nulle, mais il existe une densité d'énergie dans le vide V(Φ) qui, à ce moment-là, n’est pas nulle. Lorsque la température décroît dans l'Univers primitif, le champ Φ se met à croître et, passée une certaine valeur, cette densité s'annule. Le phénomène s'accompagne de la formation de bulles de vrai vide (<em>bubble nucleation</em>), lequel peut être rempli d'autres particules comme des photons ou des quarks et des leptons. © DAMTP
    Dans le cadre de certains modèles unifiés des interactions en théorie quantique des champs, on est conduit à introduire plusieurs champs de Brout-Englert-Higgs pour donner une masse aux bosons des théories de jauge. Souvent, ces champs se comportent de la façon qui est décrite sur ce schéma. À très haute température, l'intensité d'un champ de Higgs dans le vide, notée Φ, est nulle, mais il existe une densité d'énergie dans le vide V(Φ) qui, à ce moment-là, n’est pas nulle. Lorsque la température décroît dans l'Univers primitif, le champ Φ se met à croître et, passée une certaine valeur, cette densité s'annule. Le phénomène s'accompagne de la formation de bulles de vrai vide (bubble nucleation), lequel peut être rempli d'autres particules comme des photons ou des quarks et des leptons. © DAMTP

    Environ un millionième de seconde après le début de l'expansion de l'univers, sa température est si élevée que protonsprotons et neutronsneutrons commencent tout juste à exister. Avant, on trouve à leur place un plasma de quarks et de gluons à l'état libre, un QGP (pour |2232fe4e357bdaf8916b6bee4984bef6|-gluonsgluons plasma en anglais). Le passage de ce plasma à un gaz de nucléonsnucléons peut se comparer à la formation de gouttes de liquide à partir d'un gaz. En l'occurrence, il s'est alors produit une transition de phase dite de premier ordre.

    Les bulles de vrai vide (<em>true vacuum</em>), montrées dans le schéma précédent, grossissent dans le faux vide (<em>false vacuum</em>) et finissent par entrer en collision. Ces collisions provoquent la formation d'ondes gravitationnelles et aussi d'ondes sonores dans le fluide de particules de l'univers primordial. © DAMTP
    Les bulles de vrai vide (true vacuum), montrées dans le schéma précédent, grossissent dans le faux vide (false vacuum) et finissent par entrer en collision. Ces collisions provoquent la formation d'ondes gravitationnelles et aussi d'ondes sonores dans le fluide de particules de l'univers primordial. © DAMTP

    Nous savons maintenant que ce n'était pas la première transition de phase survenue pendant l'histoire de l'Univers primordial. La découverte du boson de Brout-Englert-Higgs implique que le mécanisme du même nom (que l'on trouve à la base de l'acquisition des massesmasses des bosons intermédiaires W et Z du modèle standardmodèle standard, et aussi probablement des quarks et des leptonsleptons) a été à l'origine d'une autre transition de phase lorsque le Cosmos observable n'était âgé que d'un centième de milliardième de seconde environ (10-11 s). La température y était de l'ordre de 1015 K, soit 100 millions de fois plus élevée qu'au cœur du SoleilSoleil.


    Des images de la simulation de l'apparition de bulles de vrai vide au moment de la transition électrofaible. Elles coalescent de façon chaotique, ce qui génère des ondes sonores (qui ne sont pas celles que l'on écoute). Ces ondes génèrent à leur tour des ondes gravitationnelles. © New Scientist, YouTube

    Des bulles dans le champ de Brout-Englert-Higgs

    À ce moment-là, l'intensité du champ de Brout-Englert-Higgs du modèle électrofaible est en train de changer de valeur. Elle était nulle à des périodes encore plus anciennes de l'Univers, et elle se met alors à croître rapidement. Si l'on peut considérer le champ de Brout-Englert-Higgs aujourd'hui autour de nous comme une sorte de fluide visqueux dans lequel les particules baignent (et acquièrent en quelque sorte de la masse, parce que ce fluide s'oppose à leurs mouvementsmouvements libres), alors ce champ de Brout-Englert-Higgs primitif de valeur nulle est l'équivalent d'un gaz dans lequel apparaissent des bulles de liquide.

    Ces bulles grossissent rapidement et entrent en collision les unes avec les autres. Elles finissent par coalescer un peu comme le montre l'animation ci-dessus.

    Un phénomène similaire mais bien moins énergétique se serait alors produit juste avant la recombinaison avec la Nede.