« Globice Réunion » est une ONG scientifique fondée à La Réunion en 2001 et qui, depuis cette date, mène de nombreux programmes scientifiques pour approfondir la connaissance sur les espèces de cétacés présentes à la Réunion et plus globalement dans l’océan Indien. Elle a lancé le programme de suivi satellitaire Miromen pour obtenir une vision globale des mouvements des baleines à bosse sur l’ensemble de leur cycle migratoire, enjeu primordial pour protéger l’espèce à long terme. Partez en immersion pour percer le mystère de la migration des baleines. Immersion totale avec l'écoute de leur chant extraordinaire !


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    Parmi nos axes de recherche, le suivi des baleines à bosse fréquentant la zone de reproduction qu'est La Réunion est un enjeu majeur. Depuis la fin de la chasse industrielle, les populations de baleine à bosse se reconstituent en effet sur l'ensemble de la planète. Dans l'hémisphère Sud, cette réalité est palpable depuis une vingtaine d'années. Alors que le XXe siècle avait été dévastateur pour ces mammifères marins, le moratoire décidé en 1982, et entré en vigueur en 1986, a eu des effets rapides sur leur capacité à perpétuer l'espèce et restaurer ses effectifs. Il est délicat d'évaluer la taille des populations, mais on estime généralement qu'elles sont passées de quelque 5 000 individus à la fin du siècle dernier à plus de 50 000 individus dans l'hémisphère Sud.

    Couple mère et son baleineau avec escorte le long des côtes de La Réunion. © Alexis Maucourant, tous droits réservés 
    Couple mère et son baleineau avec escorte le long des côtes de La Réunion. © Alexis Maucourant, tous droits réservés 

    Des baleines à bosse de plus en plus nombreuses à La Réunion

    Chaque année, les baleines à bosse qui se nourrissent de krill en Antarctique migrent vers les zones tropicales pour se reproduire et mettre bas durant l'hiverhiver austral, de juin à octobre. Puis retournent vers le continent blanc via un voyage d'environ 5 000 kilomètres. À La Réunion, la fréquentation des côtes est très contrastée selon les années. Si la tendance est nettement à la hausse depuis deux décennies, chaque saisonsaison présente un profil de fréquentation différent et les individus comptabilisés d'après les photographiesphotographies de leur nageoire caudale varient de quelques individus au record de 417, établi en 2022 !

    Saut caractéristique d'une baleine à bosse. © Adrien Fajeau, tous droits réservés 
    Saut caractéristique d'une baleine à bosse. © Adrien Fajeau, tous droits réservés 

    Cette variabilité interannuelle demeure mystérieuse et plusieurs hypothèses peuvent être formulées pour tenter de la comprendre. Celle qui retient l'attention de Globice depuis plusieurs années est le lien qui peut exister entre les conditions de nourrissage en Antarctique et leur capacité à migrer jusqu'aux eaux tropicales. Afin d'évaluer ce lien, grâce à des modèles statistiques intégrant différentes variables environnementales, il est indispensable d'avoir une idée plus précise des zones d'alimentation utilisées par les baleines et de mieux comprendre les mouvementsmouvements migratoires.

    Suivre le trajet retour des baleines à bosse vers l’Antarctique

    « Globice Réunion » avait monté un premier programme de suivi satellitaire en 2013. Celui-ci, dénommé MIROMEN (Migration Routes of Megaptera NovaeangliaeMegaptera Novaeangliae) avait vocation à mieux comprendre les déplacements de baleines à bosse pendant la saison de reproduction. Miromen avait permis des découvertes majeures grâce au suivi des individus équipés, et notamment l'identification d'un haut niveau de connexion entre La Réunion et Madagascar. Ce programme de suivi satellitaire avait également permis de révéler l'utilisation des monts sous-marinssous-marins et du plateau océanique des Mascareignes par les baleines à bosse comme sites de reproduction. Toutefois, la duréedurée de fixation des balises n'avait pas été suffisamment longue pour pouvoir tracer les trajets retours vers l'Antarctique.

    L'équipe de « tagging » Miromen II en approche d'une baleine à bosse sur le bateau de l'Office français de biodiversité qui a assuré les manœuvres d'approche. © Adrian Fajeau, tous droits réservés 
    L'équipe de « tagging » Miromen II en approche d'une baleine à bosse sur le bateau de l'Office français de biodiversité qui a assuré les manœuvres d'approche. © Adrian Fajeau, tous droits réservés 

    Fort de cette première expérience et dans l'objectif de décrypter les routes migratoires entre les sites de reproduction de l'océan Indien et les sites de nourrissage en Antarctique, « Globice Réunion » a lancé l'opération Miromen II. Cette nouvelle campagne de suivi satellitaire, menée en partenariat avec l'Office français de la biodiversitébiodiversité (OFB) et la NOAA (National Oceanic and Atmospheric AdministrationNational Oceanic and Atmospheric Administration), visait à équiper quinze baleines à bosse de balises Argos. Elle a été financée par l'Europe, la région Réunion et la DEAL Réunion dans le cadre du programme opérationnel FEDER 2014-2020.

     <br>Une baleine à bosse quelques secondes avant de frapper la surface de l'eau avec sa mâchoire. © Adrien Fajeau, tous droits réservés 
     
    Une baleine à bosse quelques secondes avant de frapper la surface de l'eau avec sa mâchoire. © Adrien Fajeau, tous droits réservés 

    Une première phase de Miromen II eu lieu en 2019 avec le marquage d'une baleine à bosse, baptisée « Ousanousava », dont la trajectoire a pu être suivie depuis la pose de la balise le 3 septembre 2019 à La Réunion jusqu'au 8 janvier 2021 en Antarctique, soit pendant quatre mois. Mais la crise sanitairecrise sanitaire des années 2020 et 2021 et le faible nombre d'individus dans les eaux réunionnaises ces deux dernières saisons n'avaient pas permis de poser les 14 autres balises prévues dans le cadre de l'opération. La campagne de marquage a pu être relancée en 2022.

    Une opération sensible et très encadrée, approuvée par la NOAA

    Les protocolesprotocoles comme le matériel utilisé sont éprouvés par la NOAA, qui effectue un suivi des individus équipés pour améliorer en continu le matériel et réduire autant que possible l'impact sur les animaux. D'après les résultats collectés jusqu'à présent, si l'ancrage des balises reste invasifinvasif (balise implantée dans la couche de graisse), ses conséquences sur les baleines à bosse sont faibles et n'impliquent pas d'effet à long terme sur les individus (reproduction, survie, etc.).

    L'ancrage de la balise se fait quasi simultanément avec la prise de biopsie. © Bernard Rota, tous droits réservés 
    L'ancrage de la balise se fait quasi simultanément avec la prise de biopsie. © Bernard Rota, tous droits réservés 

    La balise est implantée dans le lard épais de l'animal, juste en dessous de la nageoire dorsale et émet un signal capté par les satellites en orbiteorbite lorsque la baleine est en surface. Au bout de quelques semaines ou mois, la baleine finit par « rejeter » l'équipement (à la manière dont nous pouvons rejeter des corps étrangers, comme des échardes). Il arrive parfois que les balises se détachent prématurément ou soient endommagées lors d'interactions entre les animaux, par exemple au cours de scènes d'accouplementaccouplement ou de compétition, lorsque les baleines se frottent l'une contre l'autre.

    La baleine à bosse étant une espèce protégée, la mise en œuvre de Miromen II fait l'objet d'une dérogation du ministère de la Transition écologique et d'une autorisation du ministère de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation basée sur l'avis favorable de l'opération par un comité d'éthique animale.

    11 baleines à bosse équipées d’une balise Argos

    Achevée le 12 septembre 2022, la campagne de pose a permis d'implanterimplanter une balise ArgosArgos sur 11 individus adultes. Malgré le nombre important de baleines observées cette année, les conditions météorologiques ont rendu les opérations difficiles et délicates à réaliser à proximité des côtes et sur le secteur ouest, très fréquenté par les usagers.

    Un jeune baleineau dont on aperçoit les fanons. © Eric Gentelet, tous droits réservés 
    Un jeune baleineau dont on aperçoit les fanons. © Eric Gentelet, tous droits réservés 

    La pose de ces balises s'est accompagnée de prélèvements cutanéscutanés afin de déterminer le sexe de l'animal et procéder à son identification génétiquegénétique. Une identification photographique de chaque baleine suivie a également été réalisée.

    Les trajectoires empruntées par ces 11 individus sont cartographiées au rythme de la réceptionréception et du traitement du signal émis par les balises vers les satellites. Ces données sont accessibles à tous sur le site de « Globice Réunion ».

    En moyenne, la durée de fixation des balises était de 60 jours, avec un record obtenu pour la baleine nommée « Lendormi », qui a pu être suivie pendant presque cinq mois, de La Réunion jusqu'en Antarctique. Ainsi, les deux individus suivis jusqu'en Antarctique (Ousanousava en 2019 et Lendormi en 2022) ont pris la même direction et se sont dirigés vers la Baie de Prydz, où les eaux sont particulièrement riches en krill. Les suivis satellitaires montrent que cette baie est également utilisée comme zone d'alimentation par les baleines à bosse de l'Est de l'Australie. Ainsi, il est fort probable que les baleines de l'Ouest et de l'Est de l'océan Indien partagent les mêmes sites d'alimentation, ce qui n'avait encore jamais été démontré.

    Frappe de caudale d'une baleine à bosse. © Eric Gentelet, tous droits réservés
    Frappe de caudale d'une baleine à bosse. © Eric Gentelet, tous droits réservés

    Un autre résultat intéressant révélé par ces suivis est l'utilisation prolongée aux abords de l'archipelarchipel de Crozet, dans la zone sub-Antarctique. Quatre des 12 baleines suivies en 2019-2022 ont convergé vers cette zone, y demeurant pendant plusieurs semaines à plusieurs mois ! Les déplacements relativement stationnaires sur cette zone connue comme étant très productive nous laissent penser que les baleines se sont dirigées vers cette zone pour se nourrir. Bien qu'ils restent à confirmer, ces résultats semblent indiquer que certaines baleines s'alimentent à mi-chemin entre La Réunion et l'Antarctique, dans les eaux de la Réserve naturelle des TerresTerres australes françaises.

    De multiples retombées

    Tout comme le programme MIROMEN I, MIROMEN II s'intègre dans une dynamique régionale de suivi satellitaire des mouvements migratoires des baleines à bosse de l'océan Indien occidental. Les opérations de déploiement de balises Argos (Mayotte et Comores en 2011-2013 par Megaptera ; Madagascar en 2012-2014 par la WCS, Cétamada et le CNPS ; La Réunion en 2013 par Globice ; Tanzanie par la WCS en 2013) font l'objet de travaux de recherches partagés, coordonnés dans le cadre du Consortium IndoCet (www.indocet.org). Ces opérations ont nourri le rapport Protecting Blue Corridors, publié le 17 février 2022 par le WWFWWF qui, pour la première fois, permet de visualiser les traces satellitaires de 845 baleines migratrices dans le monde.

    Amorce d'un saut vrillé de baleine à bosse. © Vincent Quiquempoix, tous droits réservés 
    Amorce d'un saut vrillé de baleine à bosse. © Vincent Quiquempoix, tous droits réservés 

    Les retombées de Miromen II sont potentiellement nombreuses et synergiques avec les programmes scientifiques conduits par Globice pour approfondir la connaissance et la préservation des baleines à bosse. Les données de suivis satellitaires complètent notamment les suivis visant à évaluer les niveaux de connexion entre les populations, basées sur les méthodes de photo-identification et l'acoustique (comparaison de la structure et de la diffusiondiffusion du chantchant à l'échelle de l'océan Indien). Ces résultats sont également largement diffusés auprès du grand public, et notamment auprès des enfants lors d'interventions scolaires et à travers le « Campus Cétacés MobileMobile », le container aménagé de Globice se déplace partout et invite chacun à découvrir les cétacés, afin de comprendre comment nous les étudions, et réaliser l'ampleur des mystères qu'il reste à découvrir !