En plus de l’action de l’acide carbonique, qui ronge lentement les roches calcaires, certaines grottes sont façonnées par la présence d’un acide bien plus puissant : l’acide sulfurique. Une nouvelle étude explique l’origine de cet acide dans le cas des vastes cavités des Pyrénées françaises.


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    Les massifs calcaires sont souvent traversés de nombreux réseaux souterrains et cavités, creusés au fil du temps par l'action de l'eau. De l'eau... mais pas seulement. Car les grottes sont en effet le résultat de l'attaque chimique des roches calcaires par les eaux de pluie légèrement chargées en acide carbonique. Et c'est bien ce dernier qui va grignoter la roche, lentement mais sûrement, jusqu'à produire d'immenses cavités souterraines. Lors de sa traversée de l'atmosphère et des couches superficielles du sol, notamment la couche végétalisée, l'eau de pluie se charge en effet en gaz carboniquegaz carbonique. Et une simple équation chimiqueéquation chimique permet de montrer que H2O + CO2 donne du H2CO3, autrement dit de l'acide carboniqueacide carbonique.

    Les grottes des Pyrénées rongées par de l’acide sulfurique

    En s'infiltrant dans les fissures des massifs calcaires, cette eau acide va ainsi doucement dissoudre la roche, agrandissant les fractures jusqu'à former des gouffres et des grottes dans laquelle des rivières souterraines vont s'écouler, participant elles aussi à l'agrandissement du réseau. Accessoirement, le calcaire dissous dans les eaux d'infiltration pourra être redéposé sur les parois des cavités sous forme de calcite, un processus menant à la formation des concrétions comme les stalagmites, stalactites ou autres draperies.

    Les grottes et leurs concrétions sont le résultat de la lente action de l'eau chargée en acide carbonique, qui dissout le calcaire. © Alexander, Adobe Stock
    Les grottes et leurs concrétions sont le résultat de la lente action de l'eau chargée en acide carbonique, qui dissout le calcaire. © Alexander, Adobe Stock

    Voilà pour la généralité. Passons au cas particulier. Car certaines grottes ne fonctionnent pas tout à fait pareil. Le principe reste cependant le même : l'eau de pluie chargée en acide carbonique s'infiltre à travers les fissures du massif. Mais il peut arriver qu'un autre acide, bien plus agressif, entre en jeu : il s'agit de l'acide sulfuriqueacide sulfurique (H2SO4). Celui-ci va permettre de dissoudre la roche 10 à 100 fois plus vite que l'acide carbonique, produisant bien plus rapidement de très vastes cavités, à l'image de celles que l'on trouve dans les Pyrénées françaises. L'analyse de certains minérauxminéraux présents dans ces immenses grottes montre en effet la présence de sulfuressulfures. C'est le cas de la mirabilite, un étrange minéralminéral en forme de fleur formant de longs cristaux blancs et fibreuxfibreux.

    Rare exemple de grands cristaux de mirabilites (sulfate de sodium) mesurant jusqu'à 50 cm de long (gouffre Nébélé, Pyrénées-Atlantiques). © Dimitri Laurent, CC BY-NC
    Rare exemple de grands cristaux de mirabilites (sulfate de sodium) mesurant jusqu'à 50 cm de long (gouffre Nébélé, Pyrénées-Atlantiques). © Dimitri Laurent, CC BY-NC

    La question de l’origine de l’acide sulfurique

    Mais d'où provient cet acide sulfurique ? Voilà une question qui taraude les scientifiques depuis longtemps. Car il peut exister deux types de sources : l'une résulte de réactions thermochimiques entre l'eau et les roches, et l'autre... de l’activité de certaines bactéries. En effet, certaines bactériesbactéries utilisent les sulfates présents dans les minéraux constituant les parois des grottes comme source d'énergieénergie. En retour, elles produisent du sulfure d'hydrogènesulfure d'hydrogène (H2S), qui va ensuite s'oxyder pour former de l'acide sulfurique.  

    Pour comprendre la formation de ces grottes, il est donc important de définir quel processus, biotique ou abiotiqueabiotique, est à l'œuvre pour la production de l'acide sulfurique. Dans une nouvelle étude, publiée dans Geology, une équipe de scientifiques français s'est donc intéressée à la quantificationquantification des différents isotopesisotopes du soufresoufre dans les concrétions de deux grottes des Pyrénées : le gouffre Nébélé et la grotte d'Azaleguy.

    Dimitri Laurent explore l'une des galeries du gouffre Nébélé dans les Pyrénées. Cette grotte aurait été façonnée par l'action de l'acide sulfurique. Les parois sont couvertes de sulfate de sodium, résultant de l'altération des roches par l'acide sulfurique. © Christophe Durlet, CC BY-NC
    Dimitri Laurent explore l'une des galeries du gouffre Nébélé dans les Pyrénées. Cette grotte aurait été façonnée par l'action de l'acide sulfurique. Les parois sont couvertes de sulfate de sodium, résultant de l'altération des roches par l'acide sulfurique. © Christophe Durlet, CC BY-NC

    Le soufre possède en effet quatre isotopes différents, qui ne sont pas présents dans les mêmes quantités en fonction des sources. Il s'agit donc de bons marqueurs pour définir l'origine de l'acide sulfurique. Les données recueillies par Dimitri Laurent et ses collègues révèlent que dans les deux grottes étudiées, l'acide sulfurique aurait une origine plutôt complexe, et multiple ! Une partie proviendrait en effet de la présence de sulfure d'hydrogène fossilefossile piégé depuis 65 millions d'années au sein des carbonates jurassiquesjurassiques dans lesquels se sont développées les grottes. « Au CrétacéCrétacé, les Pyrénées connaissent une phase d'hyper-extension crustale, associée à une hausse des températures en profondeur. Sous l'effet de la chaleurchaleur, d'anciens niveaux de roches évaporitiquesroches évaporitiques, des sulfates, réagissent alors avec les hydrocarbureshydrocarbures piégés dans les roches (notamment le CH4) pour produire du sulfure d'hydrogène. Ce gaz va alors être piégé dans les roches carbonatéesroches carbonatées environnantes datant du Jurassique », explique Dimitri Laurent, premier auteur de l'étude. Des millions d'années plus tard, la formation de la grotte avec l'altération des carbonates par l'eau de pluie chargée en acide carbonique va venir libérer ce sulfure d'hydrogène, qui va se transformer en acide sulfurique. « Il s'agit donc d'une source in situ », commente-t-il.  

    Mais les résultats isotopiques montrent également que du sulfure d'hydrogène a aussi été produit par l'action des bactéries sur les sulfates contenus dans les sources d'eaux chaudes qui résultent du lessivagelessivage des évaporites toujours présentes en profondeur. Un processus qui est, lui, toujours d'actualité.

    Cette nouvelle approche multidisciplinaire permet donc de mieux comprendre la formation de ces étonnantes grottes dans le contexte pyrénéen.