Déjà connue pour sa formidable richesse en fossiles du Paléozoïque, la montagne Noire, dans l’Hérault, vient de livrer un nouveau secret. C’est un couple de paléontologues amateurs qui a fait cette découverte exceptionnelle : un gisement fossilifère datant de 470 millions d’années, présentant une diversité inédite d’organismes à corps mous. Un nouveau site majeur qui nous en apprend plus sur les écosystèmes marins du début de l’Ordovicien.


au sommaire


    Le début de l'Ordovicien, il y a environ 488-471 millions d'années, marque une période importante dans l'histoire de la vie terrestre. Les espèces, qui ne sont alors encore qu'exclusivement marines, connaissent en effet une phase de diversification majeure, à l'image de ce qui s'est produit quelques dizaines de millions d'années plus tôt, durant le Cambrien.

    Partez à la rencontre du « génie fou » William Buckland, découvreur du tout premier dinosaure, dans Chasseurs de Science ! © Futura

    Trilobites, brachiopodes, ophiures, crinoïdes ou encore bivalvesbivalves se mettent à proliférer dans les mers peu profondes du supercontinentsupercontinent GondwanaGondwana, dont fait partie l'Europe actuelle. Les séries fossilifères sont nombreuses de part le monde à témoigner de cette faunefaune ordovicienne, dominée semble-t-il par des organismes à coquillecoquille ou carapace. Mais ce tableau est-il représentatif de ce que fut la réalité dans les mers il y a 470 millions d'années ?

    Faune typique de l'Ordovicien (450 millions d'années) : ophiures, cystoïdes, étoiles de mer et trilobites. Fossiles retrouvés à Arfoud, au Maroc, et exposés au Musée cantonal de géologie de Lausanne, en Suisse. © RomanDeckert, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 4.0
    Faune typique de l'Ordovicien (450 millions d'années) : ophiures, cystoïdes, étoiles de mer et trilobites. Fossiles retrouvés à Arfoud, au Maroc, et exposés au Musée cantonal de géologie de Lausanne, en Suisse. © RomanDeckert, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

    Une découverte majeure réalisée par un couple d’amateurs passionnés de paléontologie

    Sur certains sites, des fossilesfossiles d'organismes à corps mous ont en effet été retrouvés, suggérant que les écosystèmesécosystèmes de l'Ordovicien étaient bien plus complexes et diversifiés qu'on ne le pensait. Ces sites à préservation exceptionnelle restent cependant très rares en raison de la difficulté à fossiliser ce type d’organisme, et si l'on en compte une trentaine pour l'Ordovicien, seule une poignée datant du tout début de cette période géologique ont été découverts à ce jour.

    Alors quand Eric et Sylvie Monceret, paléontologuespaléontologues amateurs, contactent Bertrand Lefebvre, chercheur au Laboratoire de géologiegéologie de Lyon, pour lui présenter des photos de fossiles étranges découverts sur un affleurementaffleurement dans le massif de la montagne Noire (Hérault), cela fait l'effet d'un électrochocélectrochoc. Car si l'on retrouve bien la faune habituelle de l'Ordovicien, sont également discernables de nombreux fossiles que le chercheur identifie comme ceux, bien plus rares, d'éponges, d'alguesalgues et d'organismes vermiformes. Connaissant bien le couple de passionnés, Bertrand Lefebvre comprend immédiatement qu'il s'agit là d'une découverte sérieuse et potentiellement majeure.

    Fossiles extrêmement rares d'éponges et d'algues retrouvés sur le site de Cabrières, dans l'Hérault et datant de 470 millions d'années. © Saleh et al. 2024, <em>Nature Ecology and Evolution</em>
    Fossiles extrêmement rares d'éponges et d'algues retrouvés sur le site de Cabrières, dans l'Hérault et datant de 470 millions d'années. © Saleh et al. 2024, Nature Ecology and Evolution

    Présence rare de fossiles d’organismes à corps mous

    La montagne Noire, située au sud du Massif central, est déjà connue depuis longtemps pour ses nombreux sites fossilifèressites fossilifères qui couvrent toutes les périodes allant du NéoprotérozoïqueNéoprotérozoïque supérieur (600 millions d'années) au CarbonifèreCarbonifère inférieur (318 millions d'années). La région est donc particulièrement emblématique pour les géologuesgéologues et les paléontologues. Mais c'est bien la première fois qu'un tel assemblage, avec préservation d'organismes à corps mous du début de l'Ordovicien, y est découvert.

    Une équipe de chercheurs se rend donc sur place pour juger de l'importance du site. « Il faut saluer le travail formidable d'Eric et Sylvie, confie Bertrand Lefebvre. Les affleurements sont très discrets, cachés dans une forêt, en dehors des sentiers. On ne tombe pas dessus par hasard. Cette découverte exceptionnelle est le résultat d'un important travail de terrain. » Et même une fois les affleurements trouvés, il faut avoir l'œilœil d'un expert pour identifier ces fossiles très discrets d'algues et d'éponges. « Nous savons que nous pouvons compter, dans cette région, sur une communauté d'amateurs passionnés, dont les connaissances du terrain et de la géologie locale sont fines et précieuses pour nous. »

    Une grande biodiversité qui remet en question l’hypothèse d’une extinction à la fin du Cambrien

    Le site de Cabrières va alors être passé une première fois au crible en 2023. Plus de 400 fossiles datant de 470 millions d'années vont être découverts, témoignant d'une diversité insoupçonnée pour cette période du début de l'Ordovicien. Les fossiles d'algues sont notamment très bien représentés, ce qui est totalement inhabituel et permet de compléter le tableau d'un écosystème qui était jusqu'à présent très parcellaire. « C'est un site exceptionnel, il en existe très peu d'autres dans le monde, explique Bertrand Lefebvre. D'autant plus qu'il représente l'environnement le plus proche du pôle Sud jamais observé pour cette époque. » Le site de Cabrières serait ainsi représentatif d'une faune polaire unique. Il y a 470 millions d'années, la France était en effet située dans la partie la plus au sud du supercontinent Gondwana, massé autour du pôle.   

    Configuration des plaques tectoniques au début de l'Ordovicien, 470 Ma © Kent G. Budge, Wikimedia Commons, cc0
    Configuration des plaques tectoniques au début de l'Ordovicien, 470 Ma © Kent G. Budge, Wikimedia Commons, cc0

    Les résultats de cette première étude ont été publiés dans la revue Nature Ecology and Evolution. Ils remettent d'ailleurs en question l'hypothèse d'une extinction de masseextinction de masse entre la fin du Cambrien et le début de l'Ordovicien. « Cette idée d'une extinction à la fin du Cambrien reposait jusqu'à présent sur le fait que l'on semblait observer un appauvrissement de la biodiversitébiodiversité au début de l'Ordovicien, notamment au niveau des populations d'organismes à corps mous. Mais plus on avance, plus on se rend compte qu'il ne s'agirait en fait que d'un biais d'observation. Le site de Cabrières révèle que ces organismes étaient bien présents à l'Ordovicien inférieur et très diversifiés, ce qui contredit l'idée d'une extinction. Nous penchons de plus en plus pour un continuum évolutif entre le Cambrien et l'Ordovicien. » Pas d'extinction donc, et deux grandes phases de diversification qui n’en seraient en réalité qu’une seule.

    Faune plus classique de l'Ordovicien découverte sur le site de Cabrières. © Saleh et al. 2024, <em>Nature Ecology and Evolution</em>
    Faune plus classique de l'Ordovicien découverte sur le site de Cabrières. © Saleh et al. 2024, Nature Ecology and Evolution

    Un site fossilifère majeur qui fera référence

    Pour le chercheur, le site de Cabrières fera très certainement référence dans le futur et devrait nourrir la recherche scientifique pendant une bonne dizaine d'années. « Il se peut d'ailleurs qu'on ne soit pas au bout de nos surprises, car il semblerait que le site soit plus vaste qu'il n'y paraît à l'heure actuelle. Il va falloir fouiller le coin ! ». Étudiants en géosciences ? Il y a du boulot pour vous en perspective !