Alors que l’on parle souvent « d’explosion du Cambrien » pour décrire la phase majeure de biodiversification survenue il y a 540 millions d’années, une nouvelle étude démontre que cet événement ne peut pas être vu comme un épisode brutal et s’inscrit au contraire dans une phase de diversification lente et graduelle s’étalant sur plus de 100 millions d’années.


au sommaire


    Si la vie est apparue très tôt dans l’histoire de la Terre (on recense les premiers organismes vivants il y a environ 3,8 milliards d’années), elle est pourtant longtemps restée à un stade très primitif - 3,4 milliards d'années pour être exact. C'est seulement il y a environ 540 millions d'années que la situation va drastiquement évoluer et que la vie terrestre va connaître un véritable essor, avec une diversification sans précédent dans l'histoire de la planète. Survenue au début du Cambrien, cette étape majeure qui marque un tournant dans l'apparition et l'évolution de très nombreuses espèces est la plupart du temps référencée sous le nom « d’explosion cambrienne », laissant entendre qu'il s'agit d'un événement plutôt brutal.

    Alors que la vie a connu une évolution extrêmement rapide à partir du Cambrien (542 millions d'années), le développement a été en comparaison beaucoup plus long sur les 2 milliards d'années le précédant. © <em>United States Geological Survey</em>, Wikimedia Commons, domaine public
    Alors que la vie a connu une évolution extrêmement rapide à partir du Cambrien (542 millions d'années), le développement a été en comparaison beaucoup plus long sur les 2 milliards d'années le précédant. © United States Geological Survey, Wikimedia Commons, domaine public

    Pour une équipe de chercheurs, cette idée serait cependant erronée et ne servirait qu'à satisfaire notre besoin de borner l'évolution de la vie terrestre par plusieurs « grands événements » spectaculaires et bien définis dans le temps. Une vision trop simpliste pour ces scientifiques, qui présentent leur argumentation dans un article publié dans la revue Palaeo3.

    Une explosion qui n’en est pas une

    Si les archives fossiles attestent que les premiers animaux ont bien connu une diversification très rapide vers -541 à -485 millions d’années, cette évolution fondamentale du vivant ne pourrait tout de même pas être qualifiée « d'explosion ». Un terme apparu dans les années 1960 et qui s'est bien ancré depuis au sein de la communauté scientifique comme du grand public. Il a été rejoint dans les années 1990 par une autre terminologie, celle de la « Grande biodiversification ordovicienne », qui décrit une seconde étape de diversification massive des espèces au cours de l'Ordovicien, soit entre -485 et -443 millions d'années. Ici aussi, on fait référence à un « événement » possédant une duréedurée plutôt restreinte à l'échelle des temps géologiqueséchelle des temps géologiques.

    La biodiversification accélérée de l'Ordovicien est communément considérée comme un second événement majeur dans l'histoire de la vie terrestre. © Yang Dinghua
    La biodiversification accélérée de l'Ordovicien est communément considérée comme un second événement majeur dans l'histoire de la vie terrestre. © Yang Dinghua

    Pour Thomas Servais, de l'université de Lille, et ses collègues, ces deux « Big bangBig bang » évolutifs ne pourraient en réalité pas être clairement individualisés et feraient tout simplement partie d'une seule et unique phase de diversification, certes majeure, mais s'étalant sur le long terme, de la fin du Précambrien jusqu'à la fin du SilurienSilurien. Cette phase aurait ainsi duré au minimum 100 millions d'années. D'après leur étude sur ce développement de la biodiversitébiodiversité, aucun « événement » particulier ne se démarque en effet durant cette période.

    Un biais dans les données

    Cette démarcation qui prévalait jusqu'à présent ne résulterait que d'un biais dans les données disponibles. Les bases de donnéesbases de données en paléobiologie seraient en effet incomplètes pour la période marquant notamment la fin du Cambrien, menant à une séparationséparation fictive de deux événements qui n'appartiendraient en réalité qu'à une même tendance évolutive. Si certains groupes fossiles sont en effet très étudiés, d'autres ne font au contraire l'objet que de peu d'études. Il en va de même pour les zones géographiques. Ces études régionales ou focalisées sur un nombre restreint d'espèces auraient ainsi donné l'impression d'observer deux événements distincts. Une impression qui disparaît lorsque l'évolution de la biodiversité est considérée de manière plus globale.

    Au lieu de deux pics de diversification, il n'y aurait donc eu qu'une seule, longue et lente évolution s'étalant au début de l'ère paléozoïquepaléozoïque. Pour décrire cette période toutefois charnière dans l'histoire de la vie terrestre, les scientifiques proposent l'emploi de termes plus mesurés et moins sensationnels, notamment celui de « radiation » ou tout simplement de « biodiversification ».