Depuis quelques jours maintenant, la presse qualifie unanimement d’ « historique » l’accord signé à Kigali (Rwanda) par la communauté internationale en vue de planifier la disparition progressive des hydrofluorocarbures, les désormais fameux HFC. Mais en quoi consiste exactement cet accord ? Les réponses avec notre interview exclusive de Denis Clodic, membre du Comité technique du programme des Nations unies pour l’Environnement.

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    « Globalement, c'est une très bonne nouvelle », assure Denis Clodic, membre du Comité technique du programme des Nations unies pour l'Environnementprogramme des Nations unies pour l'Environnement depuis 1994. Cette bonne nouvelle, c'est l'annonce de la conclusion à Kigali (Rwanda) d'un accord s'attaquant aux hydrofluorocarbures, désormais connus sous le nom de HFC.

    Les HFC sont aujourd'hui essentiellement utilisés dans des applicationsapplications de froid commercial et dans les installations de réfrigération et de climatisationclimatisation individuelles. Mais ils apparaissent également dans les aérosols et les mousses d’isolation. Selon une étude de l'université de Berkeley, leurs émissionsémissions progressent de 10 à 15 % chaque année, à mesure notamment que les pays en développement s'équipent de systèmes de climatisation.

    C’est pour remplacer les CFC qui endommageaient la couche d’ozone que les HFC ont été mis sur le marché. © studio23, Shutterstock

    C’est pour remplacer les CFC qui endommageaient la couche d’ozone que les HFC ont été mis sur le marché. © studio23, Shutterstock

    Les HFC pour remplacer les CFC

    Pour mieux comprendre le contexte dans lequel a été signé cet accord, revenons quelques décennies en arrière. Dans les années 1970, les scientifiques ont découvert que certaines substances, en particulier les chlorofluorocarboneschlorofluorocarbones -- les CFC largement répandus dans les aérosols -- appauvrissent la couche d’ozone et (ils s'y intéresseront plus tard) qu'elles présentent un Pouvoir de Réchauffement GlobalRéchauffement Global -- ou GWP en anglais -- tournant autour des 10.000. Cela signifie ni plus ni moins que ces gaz à effet de serre sont 10.000 fois plus puissants que le dioxyde de carbone (CO2), qui avait déjà une bien triste réputation !

    Des centaines de millions de dollars sont bientôt investis dans la recherche et le développement de fluides frigorigènesfluides frigorigènes de substitution. Rapidement, les industriels jettent alors leur dévolu sur les HFC. Car ceux-ci s'avèrent inoffensifs pour la couche d'ozone. Pourtant -- et c'est ce qui nous chiffonne aujourd'hui --, les HFC se posent eux aussi comme de puissants gaz à effet de serre. Leur GWP moyen se situe autour de 1.000. Et il y a moins de dix ans encore, le gérant écologique des produits fluorés de DuPont affirmait qu'« il n'existe pas, du moins en ce qui concerne les produits réfrigérants, de substitut viable ».

    Des HFO et des fluides naturels comme substituts

    Depuis, heureusement, les choses ont changé et des solutions technologiques alternatives à ces gaz ont été trouvées, en tête desquelles, les hydrofluoro-oléfines, encore désignées par l'acronyme HFO. Ces fluides frigorigènes dits de quatrième génération sont constitués de moléculesmolécules non saturées qui comptent au moins une liaison carbonecarbone-carbone double. Des molécules particulièrement réactives dans l'atmosphère. Leur courte duréedurée de vie leur offre un GWP proche de 1 ! Et, « les HFO ont passé avec succès de nombreux tests de toxicitétoxicité. Nous n'aurons pas de mauvaise surprise de ce côté », affirme Denis Clodic.

    Les fluides frigorigènes dits naturels (ammoniacammoniac, CO2 et hydrocarbureshydrocarbures), quant à eux, malgré leur relative dangerosité -- liée à leur inflammabilité notamment -- et leur manque d'efficacité, présentent également un faible GWP. « Suite à l'accord de Kigali, estime Denis Clodic, ils devraient connaître une extension, même si elle doit rester modérée. »

    Car en matièrematière de réfrigérant, la solution unique n'existe pas. Différents fluides frigorigènes seront mis en œuvre pour répondre aux besoins spécifiques de différentes applications « et même de différentes régions du globe », souligne Denis Clodic. Ainsi dans la réfrigération domestique, par exemple, la charge reste faible et les caractéristiques des hydrocarbures répondent aux normes de sécurité imposées. Quant au CO2, il présente des qualités intéressantes pour les applications basses températures comme la réfrigération commerciale dite négative. Lorsque le climat est trop chaud, des solutions hybrideshybrides CO2/HFO peuvent être imaginées.

    Des HFO, les R-1234yf, sont d’ores et déjà utilisés dans les systèmes de climatisation de nos voitures. © Alexandru Nika, Shutterstock

    Des HFO, les R-1234yf, sont d’ores et déjà utilisés dans les systèmes de climatisation de nos voitures. © Alexandru Nika, Shutterstock

    Produire du froid autrement

    Une fois le tour des fluides frigorigènes de substitution fait se pose la question de la possibilité d'envisager des solutions qui permettraient de produire du froid autrement. « Je ne crois pas que les solutions dites de froid alternatif, comme la réfrigération magnétique -- qui repose sur la propriété que présentent certains matériaux de refroidir lorsqu'on les désaimante --, prendront des parts de marché significatives », déclare Denis Clodic. « Les industriels se retrouvent désormais face à des choix cruciaux et ils vont se livrer une bataille des prix farouche. Mais il ne faut pas s'attendre à de grandes ruptures techniques. »

    Les HFO sont en effet déjà employés pour certaines applications comme la climatisation automobileautomobile ou les moussesmousses d'isolationisolation. Ils s'accordent par ailleurs parfaitement avec les équipements existants. D'autant que les ingénieurs vont pouvoir imaginer de les mélanger avec des HFC. « Car l'accord ne prévoit pas l'élimination pure et simple des HFC, mais seulement l'abandon de ceux dont le GWP est le plus élevé », souligne Denis Clodic. « Et pour les consommateurs finaux que nous sommes, le changement restera totalement transparenttransparent. » Si ce n'est qu'il contribuera peut-être à nous aider à mieux respirer.

    Un accord qui définit clairement le calendrier

    Pour revenir enfin sur l'accord de Kigali, rappelons que l'idée de l'élimination des HFC ne date pas d'hier. Dès 2009, une proposition d'amendementamendement au Protocole de MontréalProtocole de Montréal envisageait leur suppression. Aujourd'hui, le calendrier établi par l'accord de Kigali est le suivant :

    • Les pays dits développés devront réduire leur consommation de HFC de 10 % par rapport au niveau de 2011-2013 d'ici 2019 et de 85 % d'ici 2036.
    • Les pays en développement, comme la Chine, entameront la transition à partir de 2024. Une réduction de 10 % -- par rapport au niveau de 2020-2022 -- devra être atteinte en 2029 et une autre de 80 %, en 2045.
    • Un dernier groupe de pays, parmi lesquels l'Inde ou l'Irak, commencera le gelgel de la production en 2028. Une diminution de 10 % -- par rapport au niveau de 2024-2026 -- est attendue pour 2032 et une autre de 85 % pour 2047.
    L’élimination des HCF aidera à lutter contre le réchauffement climatique, mais ne fera pas tout. © Tom Wang, Shutterstock

    L’élimination des HCF aidera à lutter contre le réchauffement climatique, mais ne fera pas tout. © Tom Wang, Shutterstock

    Une avancée dans la lutte contre le réchauffement climatique

    Ainsi, le calendrier prévoit l'élimination de 1,7 milliard de tonnes d'équivalent CO2 d'ici 2030. C'est l'équivalent des émissions annuelles du Japon qui seraient ainsi rayées des tablettes. Et d'ici 2050, ce ne sont pas moins de 72 milliards de tonnes d'équivalent CO2 qui devraient ainsi disparaître, soit pas moins de deux années d'émissions mondiales.

    L'élimination des HFC à fort GWP pourrait, selon une étude de l'Intitute for governance and sustainable development, réduire le réchauffement climatique de 0,5 °C d'ici 2100. De quoi réaliser le quart de l'objectif fixé par le pacte de Paris de contenir la hausse de la température en deçà de 2 °C. Pourtant, « cela reste sans commune mesure avec les résultats que nous pourrions obtenir en acceptant de revoir enfin les bases de notre système énergétique », conclut Denis Clodic.