Une grande partie de la vie sur Terre se cache… dans la Terre ! De longues recherches indiquent que la vie grouille dans la croûte terrestre ! C’est une véritable « Amazonie souterraine » qui n’a pas fini de surprendre les chercheurs.


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    Sous nos pieds, les mondes souterrains grouillent de vie, révèle une grande étude interdisciplinaire sur la biologie dans la croûte terrestre. Signée par quelque 1.200 chercheurs internationaux, l'étude s'est étalée sur dix années et s'achèvera dans un an. Les scientifiques ont dévoilé leurs résultats préliminaires ce lundi 10 décembre, à la veille de l'American Geophysical Union qui se déroule cette semaine, à Washington.

    Pour qualifier leurs découvertes, les membres du Deep Carbon Observatory (DCODCO) évoquent une « Amazonie souterraine » ou des « Galapagos souterraines ». « Explorer les profondeurs est comme explorer la forêt amazonienne, commente Mitch Sogin, qui copréside la communauté Deep Life de DCO. Il y a de la vie partout, et partout, il y a une abondance impressionnante d'organismes inattendus et inhabituels ».

    La grande différence, toutefois, est que cet écosystème gigantesque est encore vierge. C'est la première fois que l'Homme y fait une intrusion et tout indique qu'il n'est pas arrivé au bout de ses surprises. D'après leurs modèles développés à partir des nombreux échantillons qu'ils ont collectés à grande profondeur -- jusqu'à 2,5 kilomètres sous le plancher océanique et 5 kilomètres dans certains forages ! --, la vie y pullule. Le volumevolume total de l'écosystème est, pour l'instant, estimé entre 2 et 2,3 milliards de kilomètres cube. Approximativement, cela représente deux fois la taille de l'océan global ! Pour l'instant... car il est fort possible que ce soit bien plus vaste.

    Toujours d'après leurs premières estimations, ces formes de vie représenteraient entre 15 et 23 milliards de tonnes de carbonecarbone, c'est-à-dire 245 à 385 fois la massemasse de tous les êtres humains. Impressionnant ! Et tout cela dans des milieux très sombres, écrasés et parfois très chauds, loin, très loin de la vie en surface.

    Une nématode, un micro-organisme découvert dans une mine d'or d'Afrique du Sud et qui vit à 1,4 kilomètre sous la surface. © Gaetan Borgonie, DCO
    Une nématode, un micro-organisme découvert dans une mine d'or d'Afrique du Sud et qui vit à 1,4 kilomètre sous la surface. © Gaetan Borgonie, DCO

    Des organismes zombies dans la croûte terrestre

    « Ce sont de nouvelles branches dans l'arbre de la vie qui existent sur Terre depuis des milliards d'années, sans qu'on les ait jamais remarquées » témoigne Karen Lloyd, de l'université du Tennessee, interrogée par l'AFP. « C'est comme trouver un tout nouveau réservoir de vie sur Terre ». Ou presque comme découvrir les habitants d'une autre planète tant cette vie foisonnante, quasi-inconnue jusqu'ici, a évolué coupée de notre monde en surface, très loin du reste du vivant.

    Dans cet universunivers impitoyable, les bactériesbactéries et les archées règnent en maître : 70 % de leur population mondiale vivrait ainsi dans le sous-sol, selon leurs résultats. Et les scientifiques avertissent qu'il y a sans doute des millions d'espèces différentes qui y vivent ainsi cachées au sein de sédimentssédiments de plusieurs dizaines de millions d'années.

    « La chose la plus étrange pour moi est que certains organismes peuvent y exister pendant des millénaires, raconte la professeure agrégée. Ils sont métaboliquement actifs mais en stase, avec moins d'énergieénergie que nous ne pensions pour soutenir la vie ». Ils sont là, tapis dans les ténèbres, ne bougeant presque pas, sauf quand la Terre trembletremble. « Ici, ce qui fait démarrer les communautés, c'est la chimiosynthèsechimiosynthèse. Elles tirent leur énergie des roches quand elles s'altèrent », explique Bénédicte Menez, de l'IPGP, l'Institut de PhysiquePhysique du Globe de Paris. Mais, y a-t-il des échanges avec la vie en surface ? se demandent les chercheurs. Et aussi, comment ces microbes sont-ils arrivés là ? Est-ce qu'il y a d'autres vies encore à plus grande profondeur ?...

    Ces découvertes ont, bien sûr, des répercussions pour les exobiologistes. « Nous devons nous poser la question suivante : si la vie sur Terre peut être aussi différente de ce à quoi l'expérience nous a conduits, alors quelle étrangeté pourrait nous attendre lorsque nous explorerons la vie sur d'autres mondes ? » interroge le minéralogiste, Robert Hazen (propos recueillis par The Guardian).

    La question se pose pour notre voisine, Mars. Une récente étude a en effet indiqué que des microbes pourraient avoir trouvé refuge dans le sous-sol de Mars... Ils y trouveraient des ressources nécessaires pour y survivre. À quoi ressemblerait la vie sur Mars ? Serait-elle similaire à celle trouvée dans la croûte terrestre ?


    Le plus grand écosystème microbien du monde se cacherait dans la croûte océanique

    Article du CNRS publié le 27 janvier 2012

    Sous le fond des océans, dans la partie hydratée de la croûte océaniquecroûte océanique, prospère un gigantesque écosystème, un des plus vastes de la planète et quasiment inconnu : c'est ce que révèle l'étude d'une équipe de chercheurs français de l'Institut de physique du Globe de Paris et italiens de l'université de Modena e Reggio Emilia. Cet écosystème géant joue sans doute un rôle important aujourd'hui et, de plus, aurait pu abriter les premières formes de vie.

    Les roches du manteau terrestre, appelées péridotitespéridotites, portées à l'affleurementaffleurement au fond des océans par le jeu de la tectonique, constituent des environnements d'un intérêt majeur pour le cycle du carbone profond. Ces roches, instables en présence d'eau, ont la capacité remarquable de générer d'importantes quantités d'hydrogènehydrogène par l'hydratationhydratation des silicatessilicates qui les constituent.

    Cet hydrogène, en réduisant le CO2 provenant de l'eau de mer ou du manteau, peut conduire à la formation dite « abiotiqueabiotique » de méthane et d'hydrocarbureshydrocarbures légers. Ces produits dérivés de l'hydratation des péridotites fourniraient, en outre, l'énergie métabolique nécessaire au développement de communautés microbiennes en profondeur, loin de toute source d'énergie photosynthétique.

    Des anomaliesanomalies en H2 et CH4, soutenant des écosystèmes autotrophesautotrophes, ont été mises en évidence sur le plancher océanique, au niveau de champs hydrothermaux de basses températures, comme le spectaculaire site de Lost CityLost City situé sur le massif Atlantis près de la ride médioatlantique. Mais qu'en est-il exactement en profondeur ? Jusqu'à la récente étude publiée dans Nature Geoscience, on ne disposait pas de preuves directes de l'existence d'écosystèmes profonds nourris par les éléments volatils dérivant du manteau terrestremanteau terrestre dans les profondeurs de la lithosphèrelithosphère océanique.

    Détection de carbone d'origine biologique

    Cette étude a été menée sur des échantillons de péridotites hydratées (altérées ou encore « serpentinisées »), collectés par dragage le long de la ride médioatlantique (4-6 °N). Elles hébergent des chapelets d'hydrogrenats (cristaux de grenats hydratés) dont le cœur est fortement affecté par de la dissolution. Des investigations en microscopie électronique et spectroscopie Raman ont permis d'y détecter des accumulations de carbone organique endogèneendogène d'origine biologique.

    Ces hydrogrenats semblent donc servir de substratsubstrat à des micro-organismesmicro-organismes chimiolithoautotrophes qui utiliseraient les produits dérivés de la serpentinisation pour se développer. Le taux de maturation thermique de cette matièrematière carbonée permet de déterminer le domaine de température (entre 80 et 100 °C) où a eu lieu le processus, soit une profondeur d'occurrence dans les deux premiers kilomètres de la lithosphère océanique serpentinisée.

    Observations en microscopie électronique à balayage de niches microbiennes (hydrogrenats en bleu) au sein de pyroxènes serpentinisés, mettant en évidence des assemblages atypiques de minéraux (serpentines polyhédrales, en vert, et oxydes de fer, en rouge) intimement associés à des molécules organiques dont la signature obtenue par spectroscopie Raman atteste d’une origine biologique (reliques du « biofilm » en jaune). © IPGP (CNRS, Université Paris-Diderot, PRES Sorbonne Paris Cité)/<em>Università di Modena e Reggio Emilia</em>
    Observations en microscopie électronique à balayage de niches microbiennes (hydrogrenats en bleu) au sein de pyroxènes serpentinisés, mettant en évidence des assemblages atypiques de minéraux (serpentines polyhédrales, en vert, et oxydes de fer, en rouge) intimement associés à des molécules organiques dont la signature obtenue par spectroscopie Raman atteste d’une origine biologique (reliques du « biofilm » en jaune). © IPGP (CNRS, Université Paris-Diderot, PRES Sorbonne Paris Cité)/Università di Modena e Reggio Emilia

    Plus grand habitat microbien au monde

    Les deux tiers de la lithosphère créée le long des 60.000 km de rides océaniques sont majoritairement constitués de péridotites qui, aux dorsales lentes et ultralentes (taux d'expansion

    Se pose alors la question du rôle de ces écosystèmes profonds dans la fixation du carbone, du taux de productivité primaire associé, et des facteurs physicochimiques qui limitent cette production. Négligée jusqu'à présent dans les modèles globaux, cette vie intraterrestre semble toutefois jouer et avoir joué un rôle clé dans l'évolution de notre planète en tant que médiateur des flux élémentaires entre lithosphère, océans et atmosphèreatmosphère.

    Origine de la vie ?

    Ces nouvelles signatures du vivant reportées dans un contexte rappelant l'environnement de notre Terre Hadéenne (4,5 - 3,8 milliards d'années), ouvrent également des perspectives intéressantes autour de l'émergenceémergence de la vie sur notre planète. Pour que les premières cellules vivantes puissent apparaître à partir de CO2, de roches et d'eau, une source soutenue d'énergie est nécessaire. La serpentinisation, désormais considérée avec une attention croissante, apparaît comme un candidat de choix.

    Source naturelle d'énergie chimique, elle aurait pu fournir les premières voies biochimiques qui sous-tendent l'apparition et le développement d'écosystèmes microbiens, exploitant, plutôt que provoquant, des processus géochimiques existants. Dans cette perspective, les hydrogrenats ont dès lors pu constituer un environnement prébiotiqueprébiotique plus que favorable.