Des scientifiques ont eu une chance très rare en assistant à une véritable expérience de la nature : la stérilisation d’une source hydrothermale par une éruption volcanique. L'étude de la recolonisation du site a permis de découvrir des sortes de super-autoroutes sous-marines, grâce auxquelles des larves parcourent des distances étonnantes.

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    Dans les sources hydrothermales, les émigrants se révèlent être des voyageurs au long cours. © Nicole Rager-Fuller / National Science Foundation

    Dans les sources hydrothermales, les émigrants se révèlent être des voyageurs au long cours. © Nicole Rager-Fuller / National Science Foundation

    Lors de leur découverte en 1977, les sources hydrothermales ont soulevé de nombreuses questions. Comment des organismes peuvent-ils survivre dans les conditions extrêmes de ces manifestations du volcanisme sous marin, où l'eau de mer chauffée à plusieurs centaines de degrés et chargée d'éléments toxiques s'échappe en panaches ? La vie terrestre y est-elle apparue ? Comment ces milieux transitoires, isolés et éloignés par des dizaines voire des centaines de kilomètres sont-ils colonisés par les êtres vivants ?

    C'est pour répondre à cette dernière question que l'équipe dirigée par Lauren Mullineaux s'est rendue au niveau des zones hydrothermales de la dorsale est-Pacifique. Les scientifiques y ont étudié les larves et les juvéniles, formes privilégiées de dissémination des organismes marins, ainsi que les courant marins qui les charrient.

    C'est alors qu'une opportunité extraordinaire s'est présentée à l'équipe d'océanographes de la Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI) : « Nous avons eu une surprise, explique Lauren Mullineaux. Une éruption sur les fonds marins a été détectée sur notre site d'étude, avec des changements topographiques et une énorme perturbation des communautés écologiques. L'éruption était, en essence, une expérimentation d'origine naturelle ».

    La vie ayant été éliminée du site, il ne restait plus qu'à réinstaller les instruments pour observer la recolonisation de la source hydrothermale. En outre, comme cette source avait été étudiée avant l'éruption, il était possible de comparer les nouvelles communautés avec celles disparues.

    Les LGV (larves à grandes vitesses) des océans

    Et là, ce fut la surprise. Contrairement aux théories, ce ne furent pas des larves des sources les plus proches qui colonisèrent le site revirginisé. Ainsi, deux des espèces pionnières qui sont arrivées sur le site étaient des gastéropodes, Lepetodrilus tevnianus et Ctenopelta porifera. Or, comme l'explique Lauren Mullineaux dans les PNAS, « Ctenopelta n'avait jamais été observée avant sur le site étudié, et la population connue la plus proche se trouve à 350 kilomètres plus au nord ».

    Par ailleurs, l'ordre d'arrivée des larves influence fortement les communautés qui s'établissent autour des évents thermaux. Les espèces des nouvelles communautés du site étudié se sont ainsi révélées bien différentes de celles antérieures à l'éruption.

    Un échantillon des larves qui ont recolonisé la source hydrothermale depuis des zones lointaines. © S. Beaulieu, S. Mills et D. Adams

    Un échantillon des larves qui ont recolonisé la source hydrothermale depuis des zones lointaines. © S. Beaulieu, S. Mills et D. Adams

    Si la forme larvaire est le moyen de propagation de nombreux organismes marins, les larves demeurent de piètres nageuses. Comment des larves d'une duréedurée de vie d'une trentaine de jours ont-elles pu parcourir 350 kilomètres ?

    La solution pourrait résider dans le récent modèle du projet Ladder (LArval Dispersal on the Deep East Pacific Rise) du WHOI et du Lamont-Doherty Earth Observatory (LDEO). Selon ce modèle, les larves pourraient emprunter des courants qui parcourent le fond des océans à de grandes vitessesvitesses (jusqu'à 10 m/s), telles de super-autoroutes sous-marines.

    Toutefois, l'hypothèse n'est pas suffisante pour expliquer les 350 kilomètres parcourus en une trentaine de jours. « Soit les larves utilisent d'autres systèmes de transport, soit elles vivent plus longtemps que nous ne le pensions » explique Lauren Mullineaux. Peut-être de très grands tourbillonstourbillons accélèrent-ils leur voyage. Ou bien, avance-t-elle, ces larves sont capables de réduire leur métabolismemétabolisme pour étendre leur durée de vie.

    Quoiqu'il en soit, l'existence de ces autoroutes de dispersion des larves s'est révélée inattendue. Les capacités de recolonisation qu'elles offrent permettent aussi d'envisager sous un nouveau jour les projets d'exploitation minière des sources hydrothermales, riches en métauxmétaux. En effet, ce type d'exploitation serait très destructeur et affecterait profondément l'écosystèmeécosystème de ces sources. La possibilité que ces écosystèmes puissent se régénérer plus facilement qu'on ne le pensait pourrait réduire cet impact.