Chaleur, vent et sécheresse. En cette fin de semaine, tous les facteurs devraient être réunis dans le sud-est de la France pour faire monter le risque de feux de forêt à son niveau le plus haut. L’occasion pour Nicolas Martin, spécialiste des forêts méditerranéennes à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAe d’Avignon), de nous expliquer pourquoi.


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    Il y a quelques jours, MétéoMétéo France publiait ses prévisions pour l'été météorologique -- qui couvre exactement les mois de juin, juillet et août -- à venir. Un été qui s'annonce plus sec que la normale. Notamment sur la moitié sud du pays. Le tout après le 3e printemps le plus sec jamais enregistré en France métropolitaine. Et dans une situation de sécheresse déjà préoccupante sur certaines régions.

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    Avec une plus grande probabilité encore, cet été 2022 devrait être chaud. Il ne manquera alors plus que le vent pour que les trois conditions météorologiques qui influencent le plus la propagation des feux de forêt soient réunies. C'est ce qui pourrait se produire dans le sud-est de la France dès ce week-end.

    « Au départ, il faut un déclencheur. Il est généralement d'origine humaine. De la négligence, le plus souvent, comme un mégot de cigarette jeté en bordure de route », nous fait remarquer Nicolas Martin, spécialiste des forêts méditerranéennes à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAe). Puis, il faut du vent, pour pousser les flammes. Mais entre les deux, il faut un combustiblecombustible asséché. À la suite d'un manque de précipitations, bien sûr. « Lorsque les sols ou les sous-sols sont secs, les racines ne disposent pas d'assez d'eau pour nourrir les feuilles des arbres. »

    Car, rappelons-le, une forêt, ça consomme énormément d'eau. « Pour un arbre mature, il s'agit de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de litres par jour pendant la période de végétation, quand les conditions sont favorables et qu'il y a de l'eau dans les sols », nous précise Nicolas Martin. La raison pour laquelle « l'idée que les arbres pourraient aider à lutter contre la sécheresse des sols est plutôt fausse ».

    Les arbres ne peuvent pas aider à lutter contre la sécheresse des sols, mais le couvert forestier permet de maintenir des températures plus fraîches en abritant du soleil et en transpirant. Les arbres refroidissent ainsi l’air ambiant et cela peut être utile en ville, notamment, pour lutter contre les îlots de chaleur. © Blue Planet Studio, Adobe Stock
    Les arbres ne peuvent pas aider à lutter contre la sécheresse des sols, mais le couvert forestier permet de maintenir des températures plus fraîches en abritant du soleil et en transpirant. Les arbres refroidissent ainsi l’air ambiant et cela peut être utile en ville, notamment, pour lutter contre les îlots de chaleur. © Blue Planet Studio, Adobe Stock

    Le rôle de la sécheresse de l’air

    Les arbres sont donc sensibles au manque de précipitations. Mais aussi la chaleurchaleur. Elle joue sur une grandeur que les spécialistes appellent l'humidité relative de l'atmosphèreatmosphère.

    « La réalité physiquephysique, c'est que les arbres transpirent. L'eau transite depuis le sol jusqu'à l'atmosphère à travers l'arbre, que l'on peut voir comme un réseau de tuyaux verticaux. Il se crée une tension au niveau des feuilles de l'arbre, qui permet de prélever l'eau des sols et des sous-sols. Toutefois, l'eau est liée au sol. Ainsi moins il reste d'eau dans les sols, plus cette tension doit être forte. De la même manière, moins il y a d'humidité dans l'atmosphère -- c'est ce qui se produit lorsqu'il fait chaud et sec --, plus, là aussi, la tension est forte. Lors d'une sécheresse, ou pire, quand une sécheresse est associée à une vaguevague de chaleur, cette tension peut ainsi devenir extrême. L'eau passe progressivement en phase gazeuse, un phénomène appelé « la cavitationcavitation ». Les canaux de l'arbre, destinés à être gorgés d'eau, se remplissent alors d'airair. C'est l'embolieembolie. Les feuilles sont de plus en plus difficilement alimentées et se dessèchent », nous explique Nicolas Martin.

    Le saviez-vous ?

    Le niveau de sécheresse du combustible peut se mesurer en grammes d’eau par grammes de matière sèche (bois, feuilles, etc.). Une feuille mature d’un chêne, par exemple, c’est environ 1 gramme d’eau (gH2O) par gramme de matière sèche (gMS). Cela peut aller jusqu’à 3 à 4 gH2O/gMS pour une feuille tendre. En cas de sécheresse, le niveau peut descendre à 0,5 gH2O/gMS. Lorsque la feuille meurt, le niveau n’est plus que de 0,1 gH2O/gMS. Elle devient extrêmement inflammable.

    Et finalement lorsque les feuilles dessèchent, elles fournissent le combustible idéal et abondant qui déclenchera un feufeu à la moindre étincelle.

    Des tours permettent aux pompiers de surveiller les forêts et de repérer d’éventuels départs de feu. © Blue Planet Studio, Adobe Stock
    Des tours permettent aux pompiers de surveiller les forêts et de repérer d’éventuels départs de feu. © Blue Planet Studio, Adobe Stock

    La prévention pour limiter les feux de forêt

    Le changement climatiquechangement climatique est désormais en cours depuis plusieurs dizaines d'années. Et des études montrent que le danger d'incendie a augmenté depuis les années 1990. « Pourtant, en France, le nombre et la surface des incendies ont globalement diminué. Notamment grâce à l'investissement fort dans les forces de lutte et de préventionprévention », nous explique Nicolas Martin. Les missions de Défense de la forêt française contre les incendies (DFCI) ont joué un grand rôle. « D'après les bases de donnéesbases de données d'incendie, l'effet a été spectaculaire après les années 1990. Une exception notable est celle de l'année 2003, une année où il a fait extrêmement chaud et sec. Il y a eu un échappement avec plusieurs grands feux qui n'ont pas pu être arrêtés. Des surfaces énormes ont été perdues, largement supérieures aux surfaces brûlées les autres années. »

    Les moyens injectés dans la prévention ont aussi été importants. Il s'agit par exemple des coupures de combustible, du débroussaillage des sous-boisbois et des bordures de routes et abords de maisons. « Les politiques de DFCI organisent des patrouilles dans les massifs pour détecter de façon précoce les départs de feu. » Car, très logiquement, plus on intervient tôt, plus les chances d'éteindre rapidement l'incendie sont grandes. Les DFCI, notamment du sud de la France, mesurent aussi régulièrement la teneur en eau des arbustes dans les forêts. Une manière de fixer précisément le niveau de risque. Et, le cas échéant, de déployer des forces de lutte ou de prépositionner des canadairs.

    « Toutes ces mesures ont montré leur efficacité. Mais les modèles montrent aussi que, dans un contexte de changement climatique qui augmente le risque d'occurrence des feux de forêt, et avec le niveau de prévention et de lutte actuel, les équipes pourraient se retrouver déborder et les surfaces brûlées pourraient de nouveau partir à la hausse », nous fait remarquer le spécialiste des forêts méditerranéennes d'INRAe.

    Le risque de dépérissement des forêts

    Et ce risque ne serait pas le seul à planer sur nos forêts. Des sécheresses sévères comme elles annoncées dans les années à venir si nous ne parvenons pas à contrôler le changement climatique peuvent aussi être à l'origine d'un dépérissement des massifs. « On l'a déjà vu ces dernières années », se rappelle pour nous le chercheur. Le mécanisme est toujours celui évoqué plus haut. Lorsque l'arbre manque d'eau, les organes métaboliques de l'arbre -- les feuilles -- meurent. Les organes de survie -- les bourgeonsbourgeons -- dessèchent également. « Mais il faut des sécheresses très intenses comme celle que l'Europe a connue en 2003 ou en 2018. Le manque d'eau a été à l'origine d'une forte mortalité du côté des sapinssapins, des épicéas ou encore des hêtreshêtres. »

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    L'ennui, c'est que les sécheresses, même si elles ne sont pas suffisamment fortes pour provoquer le dessèchement d'une forêt, peuvent les affaiblir. « Le dépérissement sera graduel. D'autant que les arbres deviennent alors plus susceptibles aux pathogènespathogènes. Les scolytes, par exemple. En 2019-2020, nous avons eu à déplorer des centaines d'hectares d'épicéas morts sur pied après deux ou trois sécheresses d'affilée et une attaque de scolyte », nous raconte Nicolas Martin.

    Parmi les solutions, bien sûr, la réduction drastique de nos émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre. Pour limiter le changement climatique responsable d'une augmentation du nombre et de la sévérité des sécheresses. « Nous n'avons pas totalement la main là-dessus, note le chercheur. Mais nous devons être leader pour montrer que c'est possible, donner l'exemple et faire en sorte que les autres pays nous suivent ! »

    Importer en France des sapins venus de Grèce ou de Turquie semble séduisant. Mais cela pose des questions environnementales plus larges que celle de la sécheresse. © Lev Paraskevopoulos, Adobe Stock
    Importer en France des sapins venus de Grèce ou de Turquie semble séduisant. Mais cela pose des questions environnementales plus larges que celle de la sécheresse. © Lev Paraskevopoulos, Adobe Stock

    S’adapter à la sécheresse

    La variabilité génétiquegénétique naturelle est souvent évoquée comme une solution. La variabilité intraspécifique. En essayant d'identifier les endroits probablement riches en ressources les plus tolérantes au manque d'eau. Sélectionner des graines dans ces régions pourrait aider à enrichir d'autres régions qui seront plus exposées dans le futur. Nicolas Martin cite pour nous l'exemple du hêtre qui présente « une très grande répartition spatiale et une forte diversité génétique. On en trouve du sud de l'Europe jusqu'au nord. Avec des hêtres qui ont probablement des niveaux de tolérance différents ». Le potentiel intrinsèque semble intéressant, mais les chercheurs ignorent encore à quel point. Et l'opération pourrait nuire à la productivité de la forêt. « Il y a souvent un compromis à la résistancerésistance à la sécheresse qui passe par une moindre productivité. »

    Le changement d'espècesespèces peut aussi être envisagé. Remplacer des espèces natives par des espèces exotiquesexotiques plus résistantes. « Ça peut sembler séduisant, mais cela reste très controversé, parce qu'il est très difficile d'anticiper les conséquences écologiques d'un changement d'espèces pour les autres fonctions de la forêt (biodiversitébiodiversité, réseau trophique etc.). » Pour les insectesinsectes ou les oiseaux, les habitats changent. Et parfois, dans les régions les plus exposées, cela suppose un véritable bouleversement. Avec le risque, en plus, d'importer avec les arbres, de nouveaux pathogènes, par exemple.

    Une autre adaptation envisagée est celle de l'éclaircie des peuplements. « En retirant des individus, on allègeallège naturellement le bilan hydrique du massif », nous explique Nicolas Martin. De quoi peut-être diminuer l'exposition au stress hydriquestress hydrique. « D'après certains modèles, cela fonctionne. Mais dans la pratique, on observe parfois des effets contraires. Le dépérissement semble augmenter dans certains contextes d'éclaircie accrue. Probablement parce que couper des arbres casse la continuité des couverts forestiers et altère le micro-climatclimat. Après une coupe, la lumièrelumière et à la chaleur peuvent augmenter au voisinage des houppiers autrefois abritées. » Il semblerait donc que la pratique est bonne pour lutter contre la sécheresse des sols, mais pas pour combattre la sécheresse de l'atmosphère. Au contraire, même ! « Cela pose aussi des problèmes de régénération en exposant les jeunes pousses à des rayonnements et des températures qu'elles peinent à supporter. »

    La diversité dans les peuplements pourrait également être mise à contribution. Dans les Landes, par exemple, les forêts de production de pins maritimespins maritimes sont monospécifiquesmonospécifiques. « En France, c'est le cas de 85 % des plantations. Un héritage historique et une question de rentabilité », nous précise le chercheur. Mais le principe est aujourd'hui critiqué. Car les monoculturesmonocultures sont plus fragiles que les peuplements mélangées. « Un pathogène peut suffire à tout anéantir. » Et à l'inverse, donc, les chercheurs se demandent si la diversité ne pourrait pas aider les peuplements à mieux résister à la sécheresse. « Concernant les pathogènes ou la biodiversité, le bénéfice est clair. Concernant le manque d'eau, la réponse n'est pas univoque. Selon les espèces et les associations, les effets peuvent en effet être positifs ou neutres. Voire même négatifs. » Les travaux sont en cours.

    Pas de solution unique, mais des solutions adaptées à chaque situation

    « Aucune solution n'est parfaite. Mais tout un éventail s'offre à nous aujourd'hui. Ces options peuvent d'ores et déjà être mises en œuvre. La recherche travaille à les solidifier et de les formaliser. Compte tenu de l'ampleur du changement climatique et des autres enjeux sociétaux autour de la forêt et du bois (autonomieautonomie énergétique et en matériaux, etc.), on serait tenté d'agir vite en appliquant universellement des solutions profitables économiquement. Cela serait négliger alors que cela peut avoir des conséquences désastreuses sur d'autres services », conclut pour nous Nicolas Martin.