Les éruptions volcaniques ont un impact sur notre climat. Et de fait, sur nos sociétés. Dans l’espoir de dater avec plus de précision les grandes éruptions du passé et de mieux comprendre ces impacts, des chercheurs ont étudié… les éclipses de Lune. Sébastien Guillet, paléoclimatologue à l’université de Genève (Suisse), nous explique pourquoi.


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    En mars 2010, l'Eyjafjöll, un volcan inconnu du grand public, entrait en éruption du côté de l'Islande. Il laissait échapper un panache de vapeur d'eau, de gazgaz et de cendres qui allait perturber le trafic aérien mondial pendant plusieurs jours. Rappelant à nos esprits qu'une éruption volcanique peut avoir des conséquences à longues distances. Là, il n'était question « que » de vols annulés. Parfois, les effets sont plus gênants. « Les grandes éruptions peuvent avoir des conséquences majeures sur le climat  en impactant les températures et les précipitations », nous explique Sébastien Guillet, paléoclimatologue à l'université de Genève (Suisse) et auteur principal d'une étude récemment publiée dans la revue Nature sur la question. Après l'éruption du Pinatubo (Philippines, 1991), les températures moyennes mondiales ont ainsi baissé de 0,5 °C pendant 18 mois. Cela peut sembler peu. Pourtant, de légères variations de température -- et de précipitations -- peuvent impacter les récoltes et parfois même contribuer à des épisodes de famines.

    Bien que l'éruption du Pinatubo soit considérée par les chercheurs comme l'une des plus importantes du XXe siècle, elle n'en reste pas moins de moindre intensité que d'autres éruptions survenues au fil du temps. Aussi est-il nécessaire de travailler sur des éruptions plus anciennes pour mieux comprendre les risques et les impacts climatiques associés à des éruptions significativement plus importantes. « L'éruption du Samalas (1257), celle du Tambora (1815) ou encore celle du Krakatoa (1883) ne sont que quelques exemples », nous raconte Franck Lavigne, professeur à l'université Paris 1 et membre du Laboratoire de Géographie PhysiquePhysique, également auteur de l'étude.

    Chercher l’information où elle se cache

    Alors les chercheurs ont eu l'idée de se plonger dans les archives historiques. Elles regorgent d'informations sur des étés frais et pluvieux, des mauvaises récoltes et même parfois des famines. Mais peut-on toujours les associer à une éruption volcanique quelque part dans le monde ? C'est ce que Sébastien Guillet et son équipe ont voulu vérifier en datant les éruptions du passé avec la plus grande précision possible. « La datation peut se faire à l'aide de carottes glaciaires. Sur les 500 voire les 2 000 dernières années, elles permettent à priori une précision de l'ordre d'un ou deux ans. Nous voulions trouver une archive indépendante qui permettrait de vérifier l'exactitude de ces datations. Et d'aller même un peu plus loin encore », nous indique le chercheur.

    Or, par le passé, des scientifiques ont montré que l'étude de la couleurcouleur des éclipses totaleséclipses totales de LuneLune peut livrer des informations importantes en la matièrematière. Des informations sur la turbiditéturbidité de l'atmosphère. Comprenez, sur la présence d'aérosolsaérosols, de cendres volcaniques. Dans la stratosphèrestratosphère, plus particulièrement. C'est là, dans la haute atmosphère, que les effets sur le climat des éruptions volcaniques semblent les plus remarquables.

    Une éruption volcanique peut rendre la Lune presque invisible lors d’une éclipse

    Comment les éclipses de Luneéclipses de Lune peuvent-elles renseigner les chercheurs sur ce point ? En principe, lorsque la Lune est éclipsée, elle prend, dans notre ciel, une teinte orange ou rouge. « Mais quand une éruption volcanique a souillé l'atmosphère un peu avant, la Lune apparait très sombre et peut même, dans certains cas, devenir complètement invisible à l'œilœil nu, comme ce fut le cas en 1992 après l'éruption du Pinatubo », nous raconte Franck Lavigne.

    Image du site Futura Sciences
    Lors d’une éclipse totale, la Lune apparaît rouge — en haut, le 20 janvier 2019. Mais si des aérosols issus d’une éruption volcanique troublent la haute atmosphère, elle peut prendre une couleur très sombre et devenir presque invisible — en bas, le 30 décembre 1982, après l’éruption du volcan El Chichon (Mexique). © <em>European Space Agency</em> et Richard Keen
    Lors d’une éclipse totale, la Lune apparaît rouge — en haut, le 20 janvier 2019. Mais si des aérosols issus d’une éruption volcanique troublent la haute atmosphère, elle peut prendre une couleur très sombre et devenir presque invisible — en bas, le 30 décembre 1982, après l’éruption du volcan El Chichon (Mexique). © European Space Agency et Richard Keen

    Des éclipses de Lune sombres qui trahissent les éruptions

    Ce sont donc ces histoires d'éclipses de Lune sombres que Sébastien Guillet a traquées dans les sources historiques du monde entier. Un travail de titantitan qu'il a débuté au cours de son master Dynarisk à l'université Paris 1 et qu'il a poursuivi pendant une dizaine d'années ensuite. « L'étude porteporte sur le Moyen Âge. Les XIIe et XIIIe siècles. Il faudra encore travailler pour étendre les données à d'autres périodes du passé », nous confie le paléoclimatologue.

    « Les dates des éclipses totales de Lune sont précisément connues. Pour chaque cas de "Lune sombre", elles nous permettent de proposer une estimation de la saisonsaison d'occurrence la plus probable de l'éruption volcanique », explique-t-il encore. C'est crucial parce que les scientifiques savent que les saisons ont une influence sur la circulation des aérosols dans l'atmosphère. Une éruption volcanique survenant au mois de janvier n'impactera pas le climat de la même manière qu'une éruption survenant au mois de juillet. Connaitre la saison d'une éruption peut donc aider les paléoclimatologues et les modélisateurs du climat à mieux comprendre, avec une plus grande précision, comment les éruptions volcaniques influent sur les températures et les précipitations.

    « Mais identifier le volcan responsable d'une "Lune sombre", nous n'en sommes pas encore là, reconnait Sébastien Guillet. Les scientifiques travaillent sur le sujet. Ils essaient de comparer des matériaux prélevés sur les volcans du monde à ceux trouvés dans les carottes de glacecarottes de glace, comme cela a été fait avec succès pour identifier l'éruption du volcan Samalas en 1257, la plus importante des 2 000 dernières années. Mais il reste, là aussi, énormément de travail à faire ».