La musique adoucit les mœurs, mais elle peut aussi soigner. C’est l’idée qui est au cœur de Mila Learn, un jeu vidéo sérieux développé par une jeune pousse française pour aider les enfants atteints de dyslexie. François Vonthron, cofondateur de Mila, issu de l’École polytechnique, expose à Futura les principes et bénéfices de cette approche novatrice.


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    Longtemps sous-estimés et mal diagnostiqués, les troubles spécifiques des apprentissages, les fameux « dys » (dyslexie, dysphasie, dysorthographiedysorthographie, dyscalculiedyscalculie, dyspraxiedyspraxie...), font désormais l'objet d'une attention et d'une prise en charge plus étroites. Selon l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HPHP), près de 600.000 enfants et adolescents en France sont touchés par des troubles du neurodéveloppement. Parmi eux, entre 3 et 5 % des jeunes de moins de 18 ans sont atteints de dyslexiedyslexie. En ce moment, le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital Pitié-Salpêtrière AP-HP, dirigé par le professeur David Cohen, mène une étude randomisée inédite en France. Il s'agit d'évaluer l'efficacité d'un jeu vidéo sur les capacités de lecture des enfants souffrant de dyslexie. Mais il ne s'agit de n'importe quel jeu vidéo.

    « Mila Learn » est ce que l'on appelle un jeu sérieux (en anglais serious game) qui combine un fond « sérieux » avec une forme ludique. En l'occurrence, il s'agit d'aider les enfants atteints de troubles spécifiques d'apprentissage et du langage (Tsal), en particulier de dyslexie. Le jeu vidéo repose sur un universunivers féérique dans lequel la musique joue un rôle clé dans la rééducation neurologique. Concentration, motricité, mémoire et rythme sont stimulés de concert à travers l'aventure que propose Mila Learn. Pour rendre l'expérience plus attractive, les concepteurs ont fait appel à des artistes et des titres connus et appréciés des jeunes tels que Big Flo et Oli, Kids United ou encore Le livre de la Jungle.

    Pour démontrer la validité scientifique de son approche, Mila a donc entamé cette étude cliniqueétude clinique. Nous avons échangé avec François Vonthron, cofondateur de Mila, une start-up, issue de l'École polytechnique, fondée en 2018. Pour ce musicien de formation, passionné par les mathématiques, aider les enfants sans les stigmatiser est le moteur de sa démarche.

    François Vonthron, cofondateur de Mila. © Mila
    François Vonthron, cofondateur de Mila. © Mila

    Futura : Comment est venue l’idée de faire un lien entre la musique et la rééducation pour les troubles spécifiques d'apprentissage et du langage (Tsl) ?

    François Vonthron : L'idée d'utiliser la musique dans la rééducation neurologique n'est pas neuve, elle a environ une trentaine d'années. Elle a notamment été utilisée dans le traitement de la maladie de Parkinsonmaladie de Parkinson et de la douleurdouleur en général. En ce qui concerne les troubles du langage, depuis 20 ans, de nombreux chercheurs en neurologieneurologie et neuropsychologie planchent sur l'impact de la musique pour des rééducations neurologiques chez les enfants.

    Mila Learn est le fruit de la réunion de deux projets : d'une part, un projet du CNRS à Marseille conduit par le laboratoire de neurosciences cognitives du professeur Michel Habib sur l'usage de la musique avec les enfants dyslexiques qui a débouché sur l'élaboration de protocoles donnant des résultats vraiment satisfaisants ; d'autre part, notre projet à l'École polytechnique orienté sur la data science et la manière d'utiliser les données pour créer des études scientifiques avec des échantillons plus larges.  

    Mila intervient donc sur la partie mathématiques et data science. Mais qu’est-ce qui vous a amené sur le terrain des troubles « dys » ?

    François Vonthron : Je suis musicien de formation et passionné par les maths et l'ingénierie. Pendant de nombreuses années, j'ai collaboré à des projets d'apprentissage scolaire par le biais de la musique. C'est un sujet qui me passionne. En entamant mes études, j'ai voulu me spécialiser sur des sujets mathématiques, musique et cognitioncognition. C'est ainsi que je suis arrivé dans la sphère de la santé.

    L'interface de Mila Learn. © Mila
    L'interface de Mila Learn. © Mila

    Vous expliquez que « les personnes atteintes de Tsal ont en effet des difficultés pour estimer les changements d’amplitude de l’enveloppe sonore dans le temps, dans le traitement des durées courtes mais aussi dans le traitement de l’information rythmique. » Pouvez-vous donner quelques exemples sur la manière dont cela se manifeste dans le quotidien de l’enfant et les difficultés que cela occasionne ?

    François Vonthron : Pour ces enfants, c'est le processus d'apprentissage de la lecture qui va être compliqué. Quand on lit, on fait appel à du lexique déjà stocké avec un processus cognitif très faible. Pour ces enfants qui ne disposent pas encore de stock lexical, il y a un processus d'apprentissage qui suppose de découper les mots en phonèmesphonèmes pour les décoder. C'est dans ce travail de rapprochement entre le phonème et le sens que le manque d'interconnexions au niveau de ces deux zones du cerveau va créer une perturbation. Par exemple, l'enfant va confondre les « ba » et les « pa ».

    Cela se traduit par de grandes difficultés de lecture à l'école. C'est un problème qui est fondamentalement neurologique et demande beaucoup d'accompagnement, de rééducation très spécifique. Le corolaire de cela, c'est que ces enfants ont souvent une estime de soi dégradée par des années de stigmatisation et de mise en échec. C'est un point crucial qui est au cœur de notre travail pour rendre Mila Learn accessible, ludique et surtout non stigmatisant.

    Sur quelles bases scientifiques repose le développement de Mila Learn ?

    François Vonthron : On vise surtout une zone du cerveaucerveau que l'on appelle le faisceau arqué qui relie les deux zones à l'œuvre dans ce processus d'encodage pour la lecture. Le faisceau nerveux est la matièrematière blanche qui permet à tout être humain d'avoir un encodage rapide et une interconnexion. Il a été démontré que ce faisceau est sous-développé chez les enfants atteints de troubles dys. C'est un marqueur anatomique. Ce dont on s'est rendu compte, c'est que l'apprentissage de la musique passe par ce même faisceau arqué. C'est pour cette raison que les enfants dyslexiques sont très souvent mauvais en rythme car c'est le même processus cognitif qui est à l'œuvre.

    On observe une corrélation directe entre l’apprentissage rythmique chez ces enfants et l’impact sur l’apprentissage de la lecture

    Les travaux se sont basés sur cette problématique pour élaborer un apprentissage rythmique assez spécifique qui vient faire travailler le faisceau arqué de façon répétée. Pour simplifier, l'idée est de procéder à la manière de la kinésithérapie pour la rééducation d'un ligament croisé que l'on va chercher à muscler.

    Grâce à une stimulationstimulation rythmique cognitive, on pratique un apprentissage assez spécifique et intensif qui va stimuler les mêmes zones du cerveau chez l'enfant que celles qu'il utilise pour l'apprentissage de la lecture. On observe une corrélation directe entre l'apprentissage rythmique chez ces enfants et l'impact sur l'apprentissage de la lecture. Cela a été démontré par plusieurs études, notamment à Marseille, mais aussi aux États-Unis et au Canada.

    Qu’est-ce que l'intégration intermodalitaire qui est au cœur de votre méthode de rééducation ?

    François Vonthron : L'intégration intermodalitaire, c'est le fait d'arriver, dans le même exercice, à prendre en compte les dimensions auditives et rythmiques et les dimensions motrices et langagières. Un entrainement rythmique simple a un impact bien moindre si on ne l'associe pas à du langage et à du geste. Arriver à associer des gestes et des sons est au cœur de cette intégration intermodalitaire. Cette exigence est pour nous un avantage dans le développement de Mila Learn car cela nous a permis de donner une véritable profondeur au jeu en exploitant cette dimension multimodale.

    Mila Learn peut-il avoir une efficacité quelle que soit la sévérité du trouble ?

    François Vonthron. Si on se base sur l'écart type par rapport à la moyenne nationale qui sert à mesurer le trouble dys de l'enfant, on constaterait une amélioration avec l'usage de Mila Learn. Par exemple, un enfant qui part à -20 écart type va se rapprocher plus vite qu'un enfant qui part à -3 -4 écart type. Un enfant est considéré comme dyslexique à partie de -1,5 écart type. Plus on va avancer dans la sévérité du trouble, plus le deltadelta va être rapidement compensé par ces thérapiesthérapies. Je dois préciser que nous manquons encore de recul aujourd'hui sur ce point et que nous attendons beaucoup d'enseignements de l'étude clinique que nous avons lancée.

    Mila Learn adapte la difficulté en prenant en compte les parties précédentes. © Mila
    Mila Learn adapte la difficulté en prenant en compte les parties précédentes. © Mila

    À quelle tranche d’âge s’adresse Mila Learn ?

    François Vonthron : Principalement aux enfants de 7 à 11 ans qui sont dans la cible de notre étude clinique. Nous devrions probablement l'ouvrir aux 5-6 ans et aux 12-14 ans dans un avenir proche. Tout le défi pour nous est de parvenir à concevoir un jeu dont l'ergonomie et l'attrait conviennent à ces différentes tranches d'âge qui ont des attentes assez différentes en matière vidéoludique.

    Est-ce un jeu évolutif ?

    François Vonthron : Oui. Nous utilisons nos serveurs pour analyser les données des parties et ajuster la difficulté par un système d'elo qui prend en compte les parties précédentes ainsi que l'âge et les troubles spécifiques de l'enfant. Pour le moment, l'univers, le scénario, le parcours de jeu n'évoluent pas mais nous y travaillons.

    Dans quelles conditions faut-il utiliser Mila Learn ? Est-ce indissociable d’un suivi par un professionnel des Tsal ?

    François Vonthron : Il est important de souligner que Mila Learn est un outil complémentaire destiné à renforcer l'arsenal thérapeutique dont les professionnels de santé restent le pilier. Le jeu s'inscrit en appui d'un travail avec l’orthophoniste. L'objectif est que le jeu rentre dans le parcours de prise en charge pour ces patients pour en faire un outil autonome pour travailler à la maison en complément du suivi thérapeutique.

    Si vous êtes parents d'un enfant « dys », vous pouvez tout à fait être moteur dans l'adoption de Mila Learn. On peut utiliser le jeu spontanément et se l'approprier. En revanche, on veut éviter que des parents adoptent le jeu en s'affranchissant de tout accompagnement thérapeutique. Nous travaillons avec les professionnels pour élaborer le schéma idéal.

    Le but, c’est que le coût soit nul pour l’utilisateur

    Quel est le coût du jeu pour l’usager ?

    François Vonthron : Le but, c'est que le coût soit nul pour l'utilisateur. Nous sommes en discussion avec des assureurs et des mutuelles qui nous soutiennent financièrement dans le développement du jeu. Le prix sera fixé par le service médical rendu. Des négociations sont en cours avec la Sécurité sociale pour définir le bénéfice apporté au patient.

    Quel horizon pour le lancement de Mila Learn ?

    François Vonthron : On vise un lancement expérimental en fin d'année avec un petit groupe de 10 à 20 patients à l'issue de l'étude clinique. Le démarrage commercial à proprement parler devrait intervenir courant 2023.

    Parlez-nous de l’étude clinique qui est en cours

    François Vonthron : L'objectif de cette étude est de mesurer et démontrer l'impact positif du jeu sur les variables classiques utilisées en orthophonie sur les tests de lecture. La grande nouveauté est qu'il s'agit d'une étude nationale ouverte à tous les enfants dyslexiques dans la tranche d'âge visée. On leur envoie une tablette chez eux et ils participent pendant deux mois à un entrainement Mila Learn.

    L’étude est encore ouverte à tous les enfants dyslexiques non pris en charge en orthophonie afin d’éviter tout biais

    L'autre innovation est le recours à un placebo, comme pour les études pharmacologiques. On a créé un jeu similaire à Mila mais sans la stimulation rythmique cognitive. L'idée est que les deux groupes de testeurs soient randomisés, que les patients et les cliniciens soient aveugles, de sorte à obtenir une étude sur les standards de la médecine.

    C'est le service de pédopsychiatrie du professeur Cohen de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris qui pilote cette étude. On recrute 160 enfants. L'étude est encore ouverte à tous les enfants dyslexiques non pris en charge en orthophonie afin d'éviter tout biais. On peut candidater en ligne en suivant ce lien.