La star des laboratoires, CRISPR-Cas9 s’invite sous les feux des projecteurs. Tête d’affiche d’un blockbuster américain, Rampage : Hors de contrôle, les célèbres « ciseaux moléculaires » révolutionnaires deviennent capables de tout, mais surtout du pire. Ils transforment d’innocents animaux en véritables machines à tuer de taille démesurée. CRISPR-Cas9 peut-il vraiment créer des monstres ?

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    Dans le film Rampage : Hors de contrôle, le système CRISPR-Cas9CRISPR-Cas9 joue, bien malgré lui, le rôle d'une arme pour les méchants. Ces derniers perdent le contrôle d'un mystérieux agent pathogènepathogène basé sur CRISPR-Cas9, qui infecte malencontreusement un gorillegorille, un loup et un crocodilecrocodile. Les malheureux subissent alors des mutations soudaines et violentes, qui les transforment respectivement en un féroce « King-Kong », en un loup géant avec des ailes et en une sorte d'énorme dinosauredinosaure.

    Ces étonnants monstres sanguinaires sèment un indescriptible chaos partout sur leur chemin. Et au passage, ils poussent les sciences dans leurs plus profonds retranchements. Mais y a-t-il une onceonce de vraisemblance dans tout cela ? La technologie CRISPR-Cas9 a-t-elle simplement endossé un rôle ingrat, qui ne lui fait pas justice, pour assurer le spectacle ?


    La technologie révolutionnaire CRISPR-Cas9 fait son entrée au cinéma aux côtés de Dwayne « The Rock » Johnson, dont il transforme le meilleur ami (un gorille) en une immense bête féroce. © Warner Bros. France, YouTube

    Un outil d’édition génomique universel

    Bien avant son apparition au cinéma, le système CRISPR-Cas9 était bel et bien une arme... pour les bactériesbactéries. Il est adapté d'un mécanisme de défense qui détruit les ADNADN étrangers, notamment ceux des bactériophagesbactériophages. Aujourd'hui, le système CRISPR-Cas9 est une technologie d'édition génomiqueédition génomique, comprenant la fameuse protéineprotéine appelée Cas9, capable de couper l'ADN, et un ARNARN-guide, chargé d'indiquer à la protéine l'endroit qu'elle doit couper.

    En général, on laisse ensuite les mécanismes de réparation de l'ADN faire leur travail : ils pourront générer, ou pas, une mutation sur un ou quelques nucléotidesnucléotides. Mutation qui aurait pu se produire naturellement, sauf que cela aurait pris des milliers d'années d'évolution. « En pratique, lorsqu'on analyse un génomegénome modifié par CRISPR-Cas9, on ne peut pas savoir si la différence observée est d'origine naturelle ou générée par l'Homme », indique à Futura Didier Boichard, directeur de recherche à l'Inra et spécialiste en génétiquegénétique animale.

    Ce GIF animé montre CRISPR-Cas9 en pleine action, en train de couper l’ADN. La flèche violette indique les fluctuations du système CRISPR-Cas9. La flèche bleue, apparaissant à droite à la fin de l’animation, indique les produits du clivage. © Kanazawa University, 2017

    Ce GIF animé montre CRISPR-Cas9 en pleine action, en train de couper l’ADN. La flèche violette indique les fluctuations du système CRISPR-Cas9. La flèche bleue, apparaissant à droite à la fin de l’animation, indique les produits du clivage. © Kanazawa University, 2017

    L'édition génomique de ce type n'était auparavant possible que chez la souris, à partir des cellules souches embryonnairescellules souches embryonnaires. CRISPR-Cas9 universalise ce processus à toutes les espècesespèces : végétaux, drosophilesdrosophiles, primatesprimates et même humains ! Embryons humains, pour être exact. Et la précision est nécessaire car il faut bien avoir en tête que la technologie CRISPR-Cas9 crée des organismes génétiquement modifiésorganismes génétiquement modifiés en intervenant sur l'embryonembryon au stade d'une cellule, et non sur l'adulte. Les composants de CRISPR-Cas9 y sont introduits soit par micro-injection, grâce à un capillaire fin comme une aiguille, soit par électroporation - une méthode qui perce la cellule via des chocs électriques.

    Pour transformer des animaux adultes, il faudrait avoir accès à toutes les cellules du corps simultanément. « C'est infaisable », déclare à Futura Suzy Markossian, ingénieure d'étude à l'Inra travaillant à l'Institut de génomique fonctionnelle de Lyon. « Imaginons que CRISPR-Cas9 soit dans une substance que l'on puisse inhaler [c'est le cas dans le film], cela va toucher essentiellement les cellules pulmonaires. »

    CRISPR-Cas9 peut-il engendrer les mutations vues dans le film ?

    Dans le film Rampage, CRISPR-Cas9 agit de façon obscure et effrayante sur des individus adultes. Du jour au lendemain, littéralement, les animaux voient leur musculature augmenter et leur taille décupler jusqu'à atteindre une dizaine de mètres de hauteur. Cela paraît d'autant plus improbable que les pauvres bêtes n'y survivraient pas. « Un animal n'est pas fait pour subir des changements aussi violents », remarque Didier Boichard, qui ajoute « que trop de contraintes métaboliques et énergétiques s'opposent à une croissance instantanée ».

    Au niveau cellulaire, en revanche, la technologie CRISPR-Cas9 peut effectivement agir très vite. « Une fois qu'on a introduit les composants dans la cellule, Cas9 aura coupé le génome et il y aura eu réparation dans les 24 heures », précise Suzy Markossian. Après quoi, il faudra immanquablement attendre que l'organisme muté grandisse à son rythme. Cependant, on peut envisager d'accélérer significativement ce processus : une entreprise de biotechnologiebiotechnologie a ainsi produit des saumons transgéniques qui grandissent deux fois plus vite que la normale, soit en 18 mois au lieu de trois ans, en introduisant dans leur génome un gènegène codant pour l'hormonehormone de croissance provenant d'une autre espèce de saumonsaumon.

    Mais ces saumons ne font qu'arriver à leur taille adulte plus rapidement, sans devenir prodigieusement grands, contrairement au gorille et au loup géants figurant dans Rampage. « Cela m'a évoqué le gigantismegigantisme, propose toutefois Suzy Markossian à Futura. On pourrait surexprimer le gène de l'hormone de croissance avec CRISPR-Cas9. Cela a déjà été fait dans les années 1980 par les techniques de génie génétiquegénie génétique classiques pour obtenir des souris “géantes”. »

    La surexpression du gène codant pour l’hormone de croissance chez des souris transgéniques leur a fait doubler de taille. © Charles Babinet, Dominique Morello, <em>Médecine/Sciences</em>, 1986

    La surexpression du gène codant pour l’hormone de croissance chez des souris transgéniques leur a fait doubler de taille. © Charles Babinet, Dominique Morello, Médecine/Sciences, 1986

    « Pour faire des animaux plus musclés, poursuit Didier Boichard, on peut imaginer casser le gène de la myostatine. » Cette hormone inhibe en effet le développement musculaire. En ciblant ce gène avec la technologie CRISPR-Cas9, des scientifiques ont justement créé des chiens deux fois plus musclés que la normale. On peut noter, cependant, que des mutations de ce gène existent naturellement chez certains animaux et même chez certains athlètes, et qu'il est possible de les reproduire par d'autres méthodes que CRISPR-Cas9.

    Mais, toutes ces modifications paraissent bien modestes par rapport à celles présentées dans le film, surtout en ce qui concerne l'extraordinaire loup volant. « Cela m'a rappelé une mutation naturelle chez la mouche drosophile qui conduit à avoir une paire d'ailes en plus », confie Suzy Markossian. Ce phénomène bien connu provient d'une mutation sur le gène ultrabithorax, que CRISPR-Cas9 pourrait théoriquement reproduire chez une autre espèce. Mais modifier ce seul gène ne suffira pas, car « un loup n'a pas le programme génétique pour créer des ailes », rappelle-t-elle. « Il faut sans doute transformer simultanément des centaines ou des milliers de sites pour cibler des caractères aussi complexes que la morphologiemorphologie et la taille », explique Didier Boichard.

    Les ciseaux génétiques représentent-ils un danger ?

    Créer les monstres de Rampage semble donc définitivement hors de portée de CRISPR-Cas9. Pour autant, le film ne ment pas lorsqu'il annonce sans préambule aux spectateurs, à peine une seconde après le début, que l'édition génomique a été décrite comme arme de destruction massive par le gouvernement américain en 2016.

    « CRISPR-Cas9 rentre dans un ensemble de biotechnologies susceptibles d'être détournées à des fins de bioterrorismebioterrorisme, reconnaît Suzy Markossian, mais je ne pense pas que cela ajoute un risque supplémentaire par rapport à la biologie de synthèse et à la culture des virusculture des virus et des bactéries pathogènes. On peut envisager en effet que le système CRISPR-Cas9 soit utilisé pour modifier des micro-organismesmicro-organismes afin de les rendre pathogènes ou résistants aux antibiotiquesantibiotiques », précise-t-elle. « Le danger est plutôt au niveau bactérien ou viral qu'au niveau animal », souligne également Didier Boichard.

    Au final, l'apparition de CRISPR-Cas9 au cinéma sous cette forme inquiétante ne surprend guère Suzy Markossian : « toute découverte scientifique assez révolutionnaire va développer l'imaginaire de chacun et générer des espoirs et des craintes ». Elle regrette cependant que les aspects positifs de la technologie ne soient pas mentionnés comme « corriger les mutations humaines, faciliter l'agricultureagriculture dans les pays affectés par la sécheressesécheresse, ou améliorer nos connaissances sur le fonctionnement de nos gènes, tout simplement ».

    Mais malgré ses incohérences, ​Rampage : Hors de contrôle​ a le mérite de mettre en avant cette technologie de pointe et de susciter des réflexions autour de ses utilisations, plutôt que de la laisser hermétiquement enfermée entre les mursmurs des laboratoires.

    Rampage : Hors de contrôle, réalisé par Brad Peyton, est sorti au cinéma le 2 mai 2018.

    Chronique SF