Ce 30 mars 2010 aucun mini-trou noir n’a avalé la Terre lorsque des collisions de protons à des énergies de 7 TeV se sont enfin produites dans les détecteurs principaux équipant la machine la plus complexe jamais construite dans toute l’histoire de l’humanité : le Large Hadron Collider. Une ère nouvelle pour la physique s’ouvre peut-être, qui nous permettrait de mieux comprendre d’où nous venons et où nous allons.

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    30 ans ! C'est presque la durée qui nous sépare des premières réflexions sur la constructionconstruction d'un grand collisionneur de hadrons capable d'élucider l'origine des masses des particules du modèle standard, en particulier celle des bosons de jauge du modèle électrofaibles, les particules décrivant les forces nucléaires intervenant, entre autres, dans les processus de désintégration radioactives des noyaux.

    La décision de construire ce grand collisionneur de hadrons, un Large Hadron ColliderLarge Hadron Collider ou LHC, a été officialisée en 1994 cependant. Ce projet pharaonique, puisqu'il a coûté plusieurs milliards d'euros et qu'il s'est matérialisé par un tunnel de 27 kilomètres de circonférence contenant une machine équipée de milliers d'aimantsaimants supraconducteurssupraconducteurs refroidis en dessous de 2 kelvinskelvins, avait connu un premier succès le 10 septembre 2008. Ce jour-là, un premier faisceau au LHC composé de protonsprotons accomplissait une boucle complète.

    D'autres faisceaux suivirent bientôt mais une douche froide frappa les chercheurs le 19 septembre 2008 lorsqu'un un incident se produisit au niveau des connexions de certains aimants, entrainant une importante fuite d'héliumhélium. Un délai supplémentaire nécessitant d'examiner de plus près la machine s'imposa.

    Cela ne pouvait pas décourager les chercheurs car depuis les années 1980, et bien que la quête du fameux boson de Higgsboson de Higgs, dont on pense qu'il est bien à l'origine des masses des particules de la nature, soit de la plus haute importance, les chercheurs ont réalisé que bien d'autres découvertes seraient peut-être réalisées avec les détecteurs du LHC.

    On sait en effet aujourd'hui qu'il doit exister de la matièrematière dans l'UniversUnivers qui ne ressemble en rien aux particules composant notre corps, les planètes et les étoilesétoiles. Ces particules de matière dite noire, car n'émettant pas de la lumièrelumière, semblent incontournables pour expliquer, non seulement les propriétés des galaxiesgalaxies et des amas de galaxiesamas de galaxies, mais aussi leur existence même.

    Ces dernières années, des preuves de l'existence de la matière noire sont en effet devenues de plus en plus convaincantes et les tentatives de s'en passer en modifiant la loi de la gravitationgravitation de NewtonNewton à grand échelle, comme avec la théorie TeVeS, ont rencontré de grandes difficultés.

    Ces particules ont dû être produites au tout début du Big BangBig Bang et le LHC est en mesure de récréer les conditions très énergétiques qui régnaient lorsque l'Univers observable était beaucoup plus chaud et dense, il y a 13,75 milliards d'années.

    Il y aurait plus fantastique encore qu'une composante de matière noirematière noire, invisible, dominant l'Univers...

    Des théories comme celle des supercordes imposent l'existence de dimensions spatiales supplémentaires et rendent crédibles celle d'Univers parallèles. Là aussi, certaines de ces théories prédisent de nouvelles particules qui pourraient être produites dans les collisions de protons du LHC à des énergiesénergies de 7 TeV.

    Le plus spectaculaire est que l'on pourrait même produire des mini-trous noirstrous noirs.... ce qui n'a pas été sans causer des inquiétudes. Mais, comme nous l'avait expliqué Aurélien Barrau, le risque de voir la Terre avalée par un mini-trou noir imprudemment créé au CernCern est bel et bien inexistant.

    Devant des perspectives aussi fantastiques on peut comprendre l'excitation grandissante chez les physiciensphysiciens à l'approche des premières collisions à 7 TeV qui étaient prévues pour la matinée du 30 mars 2010.

    Pourtant, nul ne pouvait ignorer la leçon du 19 septembre 2008. Si des faisceaux à 3,5 TeV circulaient bien depuis quelque temps dans le LHC, d'autres problèmes pouvaient survenir avec une machine aussi complexe.

    Tout semblait pourtant aller pour le mieux ce matin du mardi 30 mars 2010 quand des instabilités présentes dans les faisceaux contraignirent les chercheurs à retarder l'heure des collisions qui pouvaient initialement se produire dès 7 heures du matin.

    Ce genre d'incident, bien que désagréable, n'est pas rare, et une seconde tentative pour de nouveaux faisceaux à 3,5 TeV chacun démarra rapidement... pour s'interrompre elle aussi à cause d'un problème dans le nouveau système de protection du LHC, destiné à prévenir les incidents similaires à celui de septembre 2008. Des éléments du new quench-protection system (nQPS), croyant détecter un problème, avaient en effet interféré avec le fonctionnement de la machine.

    Un nouveau délai de quelques heures s'ajouta donc au premier.

    Cliquer pour agrandir. Dans la salle de contrôle d'Atlas, la tension est clairement visible à l'approche des collisions des faisceaux de protons à 7 TeV. Crédits : Heinz Pernegger, Doris Burckhart-Cern

    Cliquer pour agrandir. Dans la salle de contrôle d'Atlas, la tension est clairement visible à l'approche des collisions des faisceaux de protons à 7 TeV. Crédits : Heinz Pernegger, Doris Burckhart-Cern

    L'énergie des nouveaux faisceaux monta jusqu'à atteindre 3,5 TeV et, vers 12 h 30, la nouvelle qu'une tentative de collisions aurait lieu dans environ 30 minutes circula entre les équipes présentes dans les salles de contrôles des quatre grands détecteurs équipant le LHC, à savoir LHCb, Alice, Atlas et CMS.

    La tension était palpable sur le visage de certains membres de la collaboration Atlas au fur et à mesure que les écrans indiquaient que les ingénieurs diminuaient lentement mais sûrement la distance séparant les faisceaux .

    Puis l'instant tant attendu arriva quelques minutes avant 13 h...

    Cliquez pour agrandir. Enfin ! Bien visible sur les écrans d'Atlas, l'arrivée des premières collisions est applaudie par les chercheurs. Crédits : Heinz Pernegger, Doris Burckhart-Cern.

    Cliquez pour agrandir. Enfin ! Bien visible sur les écrans d'Atlas, l'arrivée des premières collisions est applaudie par les chercheurs. Crédits : Heinz Pernegger, Doris Burckhart-Cern.

    Les chercheurs purent enfin faire éclater leur joie et savourer les résultats de plus de 10 années d'un travail long et pénible pour certains d'entre eux. De véritables feux d'artifices apparaissaient sur les écrans, constitués des trajectoires des particules les plus intéressantes dans les détecteurs, reconstituées par les puissants moyens informatiques du Cern.

    Cliquer pour agrandir. Les ordinateurs permettent de reconstituer les feux d'artifice des trajectoires des particules produites par les collisions dans les entrailles du détecteur géant Atlas, le 30 mars 2010. Crédits : Claudia Marcelloni-Cern.

    Cliquer pour agrandir. Les ordinateurs permettent de reconstituer les feux d'artifice des trajectoires des particules produites par les collisions dans les entrailles du détecteur géant Atlas, le 30 mars 2010. Crédits : Claudia Marcelloni-Cern.

    Ces moments historiques furent bien sûr enregistrés par des photos mais les générations futures et ceux qui n'ont pas assisté à cet événement peuvent aussi profiter de vidéos, comme celle prise dans la chambre de contrôle d'Atlas que voici.


    L'enthousiasme des physiciens dans la salle de contrôle d'Atlas lorsque les premières collisions à 7 TeV se sont produites vers 13 h le 30 mars 2010. Crédit : Cern.
    Cliquer pour agrandir. L'enthousiasme est aussi de mise dans la salle de contrôle du détecteur LHCb. Les membres de cette collaboration vont pouvoir tenter de comprendre l'origine de la violation CP et tenter d'expliquer pourquoi il n'y a quasiment pas d'antimatière dans l'Univers observable. Crédits : Mike Struit-Cern

    Cliquer pour agrandir. L'enthousiasme est aussi de mise dans la salle de contrôle du détecteur LHCb. Les membres de cette collaboration vont pouvoir tenter de comprendre l'origine de la violation CP et tenter d'expliquer pourquoi il n'y a quasiment pas d'antimatière dans l'Univers observable. Crédits : Mike Struit-Cern

    Premières expériences de physique

    Il ne s'agissait pas seulement de réaliser les premières collisions à 7 TeV, ce qui est en soi un record mondial qu'aucune autre machine n'est en mesure d'égaler. Cette journée a aussi lancé les premières prises de données qui serviront aux physiciens. Au moment où vous lisez ces lignes, les chercheurs sont toujours occupés à provoquer des collisions, une tâche qui devrait se poursuivre 7 jours sur 7 et 24 h sur 24 ou presque pendant 18 à 24 mois.

    Cliquer pour agrandir. Sur les écrans du détecteur CMS, on voit clairement aussi les trajectoires en jaune des particules chargées, courbées par un puissant champ magnétique. Crédits : Marzena Lapka-Cern

    Cliquer pour agrandir. Sur les écrans du détecteur CMS, on voit clairement aussi les trajectoires en jaune des particules chargées, courbées par un puissant champ magnétique. Crédits : Marzena Lapka-Cern

    Pour le moment, il s'agit surtout de vérifier que les détecteurs fonctionnent parfaitement bien et qu'ils sont capables de retrouver avec précision les caractéristiques des particules et des réactions les produisant dans le cadre du modèle standard déjà connu. Ce processus de calibration devrait durer quelques mois encore.

    Cependant, même s'il ne faut pas s'attendre à des découvertes pendant cette période, il n'est pas exclu qu'après, et même pendant l'année 2010, la vision que nous avons du monde soit bouleversée par les chercheurs du LHC. Nous aurons l'occasion de revenir sur ces questions très bientôt. En attendant, vous pouvez toujours suivre ce qui se passe au LHC en direct ou presque.