Trois mois après le survol historique de Pluton, l'équipe de la mission New Horizons vient de publier une première description de la planète naine dans la revue Science. L'incroyable complexité géologique de ce petit monde de 2.370 km de diamètre donne beaucoup de travail aux chercheurs. Par ailleurs, une des dernières images envoyées par la sonde dévoile des petits trous à la surface de la plaine Spoutnik.
Le cœur de Pluton ou la région Tombaugh Le « cœur de Pluton » est une région glacée en forme de cœur et d'environ 2.000 km de large. Elle a été baptisée « région Tombaugh », du nom de Clyde Tombaugh, découvreur de Pluton en 1930 (et décédé en 1997). Le lobe ouest (à gauche de l'image) est formé de glace de monoxyde de carbone (CO) et comprend la plaine Spoutnik. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
La plaine Spoutnik, une des plus jeunes du Système solaire La plaine Spoutnik (du nom du premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik 1, lancé en 1957 par l'URSS), dépourvue de cratères, est une des plus jeunes du Système solaire : elle ne peut avoir plus de cent millions d'années. Des structures de 20 km environ sont entourées par des sortes de sillons, comportant par endroits de la matière sombre. On ne sait pas comment elles ont été formées. Peut-être par sublimation de glace, comme un sol de boue se craquelle après l'évaporation de l'eau. L'image a été acquise le 14 juillet par le télescope Lorri à 77.000 km de distance. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le vent de Pluton Sur la plaine Spoutnik, le télescope Lorri a repéré des formes noires sur la glace blanche, flanquées de sortes d'ombres allongées. Il s'agirait en fait de poussières emportées par le vent de l'atmosphère ténue de Pluton (un millionième de la pression terrestre). De ces taches (wind streaks sur l'image), on peut déduire la possible direction du vent (Inferred wind direction). La barre d'échelle représente 20 miles, soit 32 km. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Les deux lobes du cœur de Pluton Les deux lobes de la plaine Spoutnik vus à 450.000 km. La partie ouest (à gauche) est recouverte par une couche de glace plus épaisse qu'à l'est. Il est vraisemblable que le lobe ouest soit une sorte de réservoir et que la glace se déplace vers l'est (par l'action du vent, peut-être). Résolution : 2,2 km/pixel. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Des glaces en mouvement Au nord de la plaine Spoutnik, la glace d'azote (Nitrogen ice flow) glisse vers la région rocailleuse et cratérisée (Rugged cratered terrain). En amont, la couverture de glace est craquelée, formant des structures polygonales (Polygonal cells). La barre d'échelle indique 32 km. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Les montagnes de glace de Pluton À 77.000 km de distance, le télescope Lorri a observé d'étonnantes montagnes d'environ 3.500 m de hauteur. Elles sont faites... d'eau glacée. Les glaces d'azote et de méthane, communes sur Pluton, sont trop fragiles pour former de telles structures. Les planétologues s'interrogent sur la source d'énergie qui peut maintenir une telle activité géologique. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Les montagnes de la plaine Spoutnik Au sud de la plaine glacée Spoutnik, avec ses structures polygonales (Polygons), et au nord de la région Cthulhu, se dressent de hautes montagnes, nommées en l'honneur des deux vainqueurs de l'Everest : les monts Norgay et les monts Hillary. La couche de glace y est plus fine (thin ice sheet) et emplit un cratère (infilled crater). La barre d'échelle indique 64 km. © Nasa/JHUAPL/SwRI
De curieuses montagnes au bord d'une plaine de glace Des montagnes de glaces vues par Lorri à 77.000 km de distance, en bordure ouest de la plaine Spoutnik, de formes très variées et d'une hauteur de 1 à 1,5 km. Sans doute sont-elles faites de glace d'eau, tandis que la neige blanche est de la glace de monoxyde de carbone. Les surfaces sombres sont peut-être des dépôts de tholines. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le ciel bleu de Pluton L'atmosphère de Pluton vue en contre-jour par la caméra multispectrale MVIC de l'instrument Ralph. Les couleurs ont été reconstituées pour donner à peu près ce qu'aurait vu un œil humain. La couleur bleue viendrait de poussières faites de tholines, molécules très réactives contenant du carbone et de l'azote. © Nasa/JHUAPL/SwRI
La drôle d'atmosphère de Pluton Le vent solaire (Solar wind) heurte l'atmosphère de Pluton, qui s'étend loin du sol, produisant une onde de choc (Shock). Ce vent solaire est ralenti et dévié (Slowed and deflected solar wind). Derrière, une partie de l'atmosphère, essentiellement faite d'azote, s'échappe dans l'espace (Pluto's escaping nitrogen atmosphere). Ce schéma a été réalisé grâce aux données recueillies par l'instrument Swap (Solar Wind Around Pluto). © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le Soleil révèle l'atmosphère de Pluton L'atmosphère de Pluton paraît structurée en deux couches, visualisées ici par la coloration (fausse) : la première au-dessus de la surface (en rouge-orange) jusqu'à 50 km et la seconde à 83 km (en vert), avec une zone de transition entre les deux. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Le pôle noir du satellite Charon Vu le 13 juillet 2015 à 466.000 km, le satellite Charon (1.207 km de diamètre) montre un visage diversifié... et jeune. Sur cette image (compressée), on voit en effet peu de cratères. Des reliefs importants apparaissent, comme cet immense canyon d'environ un millier de kilomètres, visible en haut à droite de l'image, et profond, sans doute, de 7 à 9 km. Au pôle nord, une région sombre, aux bords flous (provisoirement baptisée Mordor par l'équipe de New Horizons, du nom d'une région fictive décrite dans le Seigneur des anneaux), est probablement un dépôt de matière carbonée. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le couple Pluton-Charon Deux images montrant Charon (à gauche) et Pluton (à droite) observés le 11 juillet à 4 millions de kilomètres. La sonde New Horizons ayant survolé, le 14 juillet, la partie claire de Pluton, ici à gauche sur la planète, cette face ne sera jamais vue en meilleure résolution. De même pour Charon. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Pluton et Charon en – fausses – couleurs Des couleurs artificielles ajoutées en fonction des informations de spectrométrie montrent les compositions des surfaces de Pluton (à gauche) et de Charon (à droite) sur deux images du 13 juillet (la distance entre les deux est en réalité bien plus grande). Le cœur de Pluton apparaît en deux lobes de teintes différentes. Sur Charon, la région sombre apparaît ici rougeâtre. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Charon n'a pas d'atmosphère Quand New Horizons est passée dans l'ombre de Charon, l'instrument Alice a analysé l'occultation de la lumière solaire. La chute et la réapparition de cette lumière (courbe rouge) sont brutales. Première conclusion : Charon n'a pas d'atmosphère détectable. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Hydre, le plus grand des petits satellites de Pluton Hydre (Hydra en anglais), repéré par le télescope spatial Hubble en 2005, n'est pas sphérique. Cette image prise par l'instrument Lorri de New Horizons à 640.000 km a permis de préciser ses dimensions : 43 x 33 km. Un pixel de l'image représente 6 km. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Nix, troisième satellite de Pluton Le télescope Lorri, à 590.000 km de distance, a pris le 13 juillet cette image de Nix, le troisième satellite de Pluton en taille, après Charon (1.200 km de diamètre) et Hydre (43 x 33 km), découvert en 2005 par le télescope spatial Hubble. Chaque pixel représente 6 km. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Les images de Pluton avant New Horizons... Des images du passé. À gauche, une cartographie réalisée en 2000 à partir de nombreuses données, dont celles de Hubble et celles venues des occultations de Pluton par Charon dans les années 1980. À droite, la meilleure représentation existant avant le survol, une cartographie réalisée grâce à l'instrument ACS installé par des astronautes sur Hubble 2002. La petite image en haut et au milieu est la photographie brute que Hubble donne de Pluton. New Horizons a complètement changé notre image de Pluton et de son monde ! © Nasa / Eliot Young, Richard Binzel, Keenan Crane, 2000 / SwRi / Montage Futura-Sciences
Pluton et le méthane gazeux En 2008, soit avant le passage de la sonde New Horizons en 2015, le spectre de Pluton avait été réalisé grâce au VLT (Very Large Telescope). Il a révélé 17 raies individuelles du méthane gazeux, permettant d'évaluer son abondance (de 0,5 % par rapport à l'azote) et sa température, environ 90 K. Cette vue d'artiste représente l'atmosphère de Pluton. À gauche se trouve Charon, principal satellite de la planète naine. © L. Calçada, ESO
Vue de la surface de Pluton avant New Horizons Les deux grandes images principales donnent un premier aperçu de la surface de Pluton. Elles ont été obtenues après traitement informatique des deux petites images du haut, réalisées en 1996 par le télescope Hubble. © Alan Stern (Southwest Research Institute), Marc Buie (Lowell Observatory), Nasa, ESA
La visite de New Horizons à l'environnement de Pluton fut express le 14 juillet dernier - la sonde survola alors la planète naine à seulement 12.500 km. Mais la somme des données engrangée est énorme et continue d'affluer au compte-gouttes (il y en a encore pour plus d'un an). Pour l'équipe scientifique de la mission qui décrypte les paysages complexes dépeints par les différents instruments de la sonde spatiale, le travail ne fait que commencer. Chaque semaine, de nouvelles images et mesures arrivent, permettant aux chercheurs de composer par petites touches un portrait, le plus complet possible, de la planète naine, située à 5 milliards de kilomètres, ainsi que de ses fidèles compagnons Charon, Nix, Hydre, Styx et Cerbère.
La sonde révèle la géodiversité de Pluton
Une première description de ce petit monde fascinant vient d'être publiée dans l'édition du 16 octobre de la revue Science. Les auteurs rappellent que, même s'ils avaient connaissance de l'hétérogénéité de Pluton qui se devinait sur les images d'Hubble, ils furent (et le sont encore) très étonnés par la diversité géologique révélée par la sonde. En ce qui concerne la région baptisée Tombaugh - le grand cœur que la Terre entière découvrit lorsque New Horizons était en approche -, nous avons appris qu'il se divise en deux ventricules, chacun arborant une composition différente. Le spectromètre Leisa (Linear Etalon Imaging Spectral Array) a ainsi détecté une dominante de glace d'azote, de méthane et de monoxyde de carbone dans le ventricule gauche, à l'ouest, à l'inverse de la région de Cthulhu, la large bande sombre qui longe l'équateur de l'astre. Curieusement, ce paysage recouvert surtout de tholins, qui lui donnent ce teint rouge sombre, présente très peu de glace de matériaux volatiles. Plusieurs traces de glace d'eau éparses ont été cependant détectées par Ralph/MVIC (Multispectral Visual Imaging Camera), délivrant ainsi les premières preuves directes de sa présence, contrairement aux observations terrestres qui en étaient incapables. Une question s'impose néanmoins : pourquoi à ces endroits-là ?
Au vu et au su des nappes de glace visqueuse d'azote et de méthane, de l'empilement de couches atmosphériques, de l'érection de chaînes de montagnes, etc., l'équipe, dirigée par Alan Stern, et nombre de géophysiciens s'interrogent naturellement sur ce qui entretient, depuis des milliards d'années, l'activité de ce corps plus petit que la Lune. Cela laisse envisager que d'autres astres de la même famille (inaugurée en 2006) qui se promènent dans la ceinture de Kuiper, comme Éris, Haumea ou Makemake, peuvent avoir des histoires aussi passionnantes à nous raconter.
Néanmoins, Triton, longtemps considéré comme un ancien objet de la ceinture de Kuiper qui s'est lié à Neptune (en quelque sorte un jumeau de Pluton), ne partage plus tant que cela de points communs avec l'ex-neuvième planète. Celle-ci s'avérant en effet « plus différente que similaire » du satellite de Neptune.
Pas de nouveaux compagnons de Pluton
Les chercheurs ont également traité des satellites naturels de Pluton dont certains, Hydre et Nix, sont aussi recouverts d'un peu de glace d'eau. Ce fut d'ailleurs une surprise pour eux car ils s'attendaient davantage à des surfaces sombres qui ne soient pas aussi réfléchissantes. Les orbites de ces deux lunes intriguent beaucoup. « Avec les données de New Horizons, nous pensons maintenant que Nix et Hydre tournent très vite et ont une rotation étrange, a déclaré le professeur Douglas Hamilton (université du Maryland) qui avait cosigné un article cet été à leur sujet dans Nature basé sur les observations depuis la Terre et à qui l'on doit la codécouverte de Cerbère en 2011, elles sont peut-être les seules lunes régulières, c'est-à-dire les satellites qui sont proches de leur planète hôte, qui ne pointent pas toujours la même face vers le corps primaire ». Une des explications avancées est la présence de Charon qui, avec Pluton, compose un système binaire. Ce dernier sèmerait le trouble.
L'équipe a en tout cas confirmé les dimensions de Nix et Hydre, évaluées auparavant depuis la Terre. Le premier mesure bien 48 sur 32 km et le second, 43 sur 32 km. Hydre présente une surface qui semble grêlée de plusieurs cratères et Nix, quant à lui, en affiche un de grande taille dont les couleurs se distinguent du reste de l'astre. Nous aurons bien sûr davantage de précisions sur la nature de ces corps célestes dans les semaines et les mois à venir, à mesure que la sonde transmettra les données de Leisa.
Avant que New Horizons n'atteigne Pluton, les scientifiques et les techniciens redoutaient que la sonde, qui avait voyagé durant neuf ans et demi jusque-là, n'entre en collision avec un petit objet, gravitant dans le système binaire, qui leur aurait échappé. Fort heureusement, rien de tel ne fut détecté. Ni avant, quand la planète naine était en vue, ni après, en passant les images collectées au peigne fin. Du moins, rien qui mesure plus de 1,5 km... « Ce qui est cinq fois plus petit que la plus petite lune de Pluton, Styx », souligne Hamilton, qui fut très impliqué des mois durant dans la recherche d'un éventuel obstacle sur le chemin de la sonde. « Nous n'avons aucune nouvelle lune, ni anneaux, ni débris en orbite autour de Pluton. »
La plaine Spoutnik criblée de petits trous
Parmi les nouvelles images (prises le 14 juillet, mais reçues à la mi-octobre) figure une vue détaillée d'une portion d'environ 210 km de large de la grande étendue nommée Spoutnik, la moitié gauche du cœur. On y découvre notamment grâce au télescope Lorri de New Horizons des petits trous, plus ou moins alignés entre les cellules, mais aussi une multitude d'autres groupés un peu plus loin dans cette vaste plaine qui, par ailleurs, est loin d'être lisse. Larges de plusieurs centaines de mètres, ces puits ont une profondeur estimée à quelques dizaines de mètres. Pour l'instant, les chercheurs expliquent leur présence par la sublimation des glaces volatiles comme l'azote, mais ne comprennent pas encore leur distribution.
« Pluton est étrange, dans le bon sens du terme, commente Hal Weaver, membre de l'équipe scientifique de la mission. Les puits et la façon dont ils sont alignés, fournissent des preuves de la glace en mouvement et de l'échange de matériaux volatiles entre la surface et l'atmosphère, aussi l'équipe travaille dur pour comprendre quels processus physiques sont à l'œuvre ici ».
À noter qu'une fois encore, sur cette image dont la résolution atteint 250 mètres, il n'y a nulle trace de cratères. Il s'agit vraiment de terrains jeunes. Et même très jeunes.
« Le système de Pluton nous a surpris de plusieurs façons, surtout parce qu'il nous enseigne que les petites planètes peuvent rester actives des milliards d'années après leur formation, a déclaré le directeur de la mission Alan Stern dans le communiqué du JHUAPL. Nous avons aussi reçu des leçons importantes par le degré de complexité géologique qu'affichent Pluton et Charon. »