Apollo Fusion envisagerait de recourir au mercure comme propulseur pour les microsatellites. Neurotoxique extrêmement puissant, celui-ci est susceptible de retomber sur Terre et de polluer l’environnement et la chaîne alimentaire. Cette initiative suscite un tollé chez ses concurrents, qui lui demandent expressément de renoncer à ses projets.


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    SpaceXSpaceX, Virgin GalacticVirgin Galactic, Astranis, Rocket Lab... Les startups spatiales pullulent dans la Silicon ValleySilicon Valley. Leur eldorado : le marché des microsatellites lancés sous forme de constellation et destinés à des missions de surveillance ou de communication. Parmi ces nouvelles pépites, figure également ApolloApollo Fusion, une startup créée en 2016 par Mike Cassidy, l'ancien directeur de Loon (le programme de  GoogleGoogle pour une connexion InternetInternet via des ballons à haute altitude) et Ben Longmier, un professeur en ingénierie aérospatiale de l'université du Michigan et spécialiste de la physique des plasmas.

    Un système de propulsion « révolutionnaire »

    Lancée au départ pour concevoir des miniréacteurs nucléaires mobilesmobiles, l'entreprise s'est rapidement tournée vers le marché du lancement de satellites, bien plus juteux. Et elle n'a pas traîné : en décembre 2017, la startup a annoncé une « innovation majeure » dans la mise au point d'un système de propulsion électrique permettant de multiplier par trois la force d'impulsion pour la même quantité de carburant par rapport aux technologies existantes. De quoi économiser 250.000 dollars par satellite, d'après Apollo. « Les systèmes de propulsion actuels occupent jusqu'à 30 % de volume des satellites », explique Ben Longmier, qui promet un moteur capable de maintenir un satellite en orbiteorbite à 350 km d'altitude durant cinq à sept ans.

    Le mercure, un puissant neurotoxique

    Derrière cette annonce tonitruante se cacherait toutefois un secret beaucoup moins avouable, selon des révélations de Bloomberg. Apollo Fusion travaillerait en effet sur des propulseurspropulseurs ioniques fonctionnant au mercuremercure, un composé considéré comme hautement toxique. Une fois dans l'environnement, il entre dans la chaîne alimentaire et s'accumule dans le corps. Même à très faible dose, le mercure provoque de graves effets sur le système nerveux, la thyroïdethyroïde, les reinsreins, les poumonspoumons, le système immunitairesystème immunitaire, les yeuxyeux, les gencives et la peau. Il peut entraîner des pertes de mémoire ou des troubles du langage, et les dommages qu'il cause au cerveaucerveau sont irréversibles, notamment chez les jeunes enfants.

    Dans un moteur ionique, le gaz ionisé est transformé en plasma pour produire une accélération de plusieurs centaines de kilomètres par seconde. © IFPiLM
    Dans un moteur ionique, le gaz ionisé est transformé en plasma pour produire une accélération de plusieurs centaines de kilomètres par seconde. © IFPiLM

    Les moteurs ioniques, de plus en plus utilisés pour la propulsion électrique des petits satellites, fonctionnent avec un gazgaz qui s'ionise facilement, généralement du xénonxénon ou du kryptonkrypton, soumis à une très forte tension pour être transformé en plasma. Le problème, c'est que la poussée produite par ces gaz est généralement très faible. Le mercure, en comparaison, nécessite moins d'énergieénergie pour être ionisé : on peut donc utiliser moins de gaz, ce qui permet de réduire la taille du moteur. Il est surtout beaucoup moins onéreux. Dans les années 1970, la NasaNasa avait d'ailleurs déjà testé un propulseur ionique au mercure avant d'abandonner ce gaz jugé trop toxique.

    Un impact environnemental non négligeable

    Or, si d'autres compagnies venaient à adopter le mercure comme gaz de propulsion, l'impact sur l'environnement serait non négligeable, a calculé Bloomberg. Selon un cas « représentatif » présenté par Apollo Fusion, un satellite envoyé en orbite basse embarque environ 20 kgkg de gaz propulseur. Multipliez ce chiffre par 1.000 pour une constellationconstellation complète de satellites, et vous obtenez 20.000 kg, soit 20 tonnes de mercure relâchées progressivement dans l'atmosphèreatmosphère durant cinq à sept ans. Par comparaison, les États-Unis émettent 50 tonnes de mercure par an et les émissionsémissions annuellesannuelles mondiales se chiffrent à 2.000 tonnes. Et ce n'est qu'un début : selon le cabinet Euroconsult, 7.000 microsatellites de moins de 500 kg seront mis en orbite d'ici 2027.

    L’espace, un trou béant dans la réglementation sur le mercure

    « Le mercure est un élément très lourd qui ne peut pas échapper à la gravitégravité terrestre », atteste Steve Brooks, ingénieur spatial à l'université du Tennessee. Ce qui veut dire que tout le mercure envoyé dans la haute atmosphère va retomber sur Terre un jour ou l'autre. » En décembre dernier, 45 entreprises et organisations environnementales ont appelé dans une lettre à l'interdiction du mercure dans le domaine spatial. Parmi les signataires figurent notamment les petits concurrents d'Apollo Fusion comme Gregory Wyler, fondateur de la société OneWebOneWeb, ou encore Gwynne Shotwell, à la tête de SpaceX. « Le mercure est peut-être meilleur marché, mais Apollo néglige les coûts, les risques et l'impact que ferait peser une nouvelle source de mercure pour l'environnement et la santé », met en garde Michael Bender, le fondateur du Mercury Policy Project, une organisation qui promeut l'élimination de l'usage du mercure.

    Quelque 7.000 microsatellites devraient être mis en orbite d’ici 2027. © BISA
    Quelque 7.000 microsatellites devraient être mis en orbite d’ici 2027. © BISA

    Car l'espace échappe pour l'instant à la convention de MinamataMinamata, adoptée en 2013 sous l'égide de l'ONU et ratifiée par plus de 100 pays dont l'Union européenne et les États-Unis. Celle-ci vise à réglementer l'offre et la demande de mercure. Elle interdit notamment depuis 2017 l'ouverture de nouvelles mines et l'utilisation du mercure dans les processus industriels et dans une série de produits (relais électriques, batteries, lampes fluocompactes, amalgamesamalgames dentaires, thermomètresthermomètres, produits cosmétiques...).

    Selon Bloomberg, Apollo Fusion aurait déjà signé un contrat avec un client et serait en discussion avec « au moins deux autres ». Interrogé par le journal, Reid Hoffman, un investisseur qui siège au conseil d'administration de la startup, se borne à affirmer que la compagnie travaille sur « différentes technologies » et « qu'aucune décision n'a encore été prise ».