Des chercheurs ont réalisé une nouvelle estimation de la quantité d'énergie noire et de matière noire qu'abrite notre Univers. Leur nouvelle méthode, bien plus précise que pour les évaluations précédentes, apporte une nouvelle valeur de la constante cosmologique, et accentue la tension d'Hubble.


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    Depuis le Big Bang, l'Univers s'étend : on dit qu'il est en expansion. Mais, en plus de cela, cette expansion s'accélère ! Un phénomène découvert en 1998 par des équipes internationales de scientifiques alors qu'elles étudiaient l'évolution de cette expansion à partir d'explosions d'étoiles. En regardant la lumière émise par d'autres plus lointaines, appelées supernovas, les équipes ont constaté une accélération de cette expansion. Pour interpréter ce résultat, il a ensuite été conclu qu'une mystérieuse forme d'énergie en était la cause : l'énergie noire, aussi appelée énergie sombre.

    Introuvable pour le moment, elle ne cesse d'être traquée depuis des décennies. Certains modèles supposent même qu'elle n'existerait pas, et que ce seraient les équations cosmologiques qui seraient à revoir ! Une nouvelle étude publiée dans The Astrophysical Journal s'est aussi penchée sur l'énergie noire, mais cette fois sur un autre aspect : l'évaluation exacte de la proportion qu'elle occupe dans l'univers. Leur analyse, appelée Panthéon+, correspond à l'amélioration de méthodes pré-existantes mais avec, cette fois-ci, plus de données et une meilleure méthodologie, donc moins d'incertitudes avec un résultat « 17 fois plus contraignant que les précédentes évaluations en 1998 », explique à Futura Dillon Brout, premier auteur de l'étude, et chercheur au Harvard & Smithsonian Center for Astrophysics.

    L'expansion de l'Univers depuis le Big Bang et sa phase d'accélération actuelle. © Nasa
    L'expansion de l'Univers depuis le Big Bang et sa phase d'accélération actuelle. © Nasa

    Seulement un tiers de matière dans l'univers

    Pour cela, les chercheurs ont utilisé des supernovas de type Ia, appelées supernovas thermonucléaires. Elles correspondent à l'explosion d'étoiles déjà mortes -- des naines blanchesnaines blanches --, qui se trouvent dans un système binairesystème binaire. Lorsqu'une étoile peu massive, de moins de 10 massesmasses solaires, épuise son carburant, elle se contracte et se change en naine blanche. Si elle se trouve dans un système binaire, donc avec une autre étoile, elle aspire petit à petit la matièrematière de sa compagne. Elle devient alors de plus en plus massive, jusqu'à ce qu'elle atteigne une masse critique, connue des scientifiques, d'environ 1,4 masse solaire. À ce moment-là, les réactions nucléairesréactions nucléaires s'emballent, et une violente explosion se produit.

    Grâce aux conditions précises dans lesquelles ces supernovas thermonucléaires se produisent, leur courbe de luminositéluminosité intrinsèque est toujours la même. Elles sont ainsi considérées comme des « chandelles standardschandelles standards », des objets dont on peut déterminer la distance à partir de la mesure de luminosité apparente comparée à la luminosité absolue. Il est aussi possible de remonter à leur décalage vers le rougedécalage vers le rouge qui indique à quelle vitessevitesse elles s'éloignent. Ces supernovas ont d'ailleurs fourni la première preuve de l'accélération de l'expansion de l'Univers ! Elles sont de plus visibles à plus de 10 milliards d'années-lumièreannées-lumière, éclipsant même la luminosité de galaxiesgalaxies.

    L'étoile naine blanche déchire son étoile compagne alors qu'elle attire sa matière : celle-ci forme un disque d'accrétion autour de la naine blanche. © Helena Uthas, Université de Durham
    L'étoile naine blanche déchire son étoile compagne alors qu'elle attire sa matière : celle-ci forme un disque d'accrétion autour de la naine blanche. © Helena Uthas, Université de Durham

    Les chercheurs ont utilisé 1.500 de ces astresastres, puis ont combiné « les estimations de distance avec des estimations de "décalage vers le rouge" qui sont un indicateur de la vitesse de récession, provenant de l'expansion de l'espace lui-même, explique le chercheur. En raison de la vitesse finie de la lumière, pour les supernovaesupernovae à différentes distances, nous voyons l'expansion de l'Univers à différents moments de l'histoire de l'Univers. Le taux de cette expansion au fil du temps sera différent pour différentes quantités d'énergie noire (causant une expansion plus rapide) et de matière noirematière noire (ralentissant l'expansion), de sorte que nos mesures peuvent contraindre les deux ».

    Cela leur a permis de remonter jusqu'à la quantité exacte de matière et d'énergie qui compose notre Univers : 66,2 % d'énergie noire, pour seulement 33,8 % de matière, essentiellement de matière noire. Des résultats qui confirment les mesures précédentes ! « Avec ces résultats de Pantheon+, nous sommes en mesure d'imposer les contraintes les plus précises sur la dynamique et l'histoire de l'Univers à ce jour, s'est enthousiasmé Dillon Brout. Nous avons passé au peigne fin les données et pouvons maintenant dire avec plus de confiance que jamais comment l'univers a évolué au fil des éons et que les meilleures théories actuelles sur l'énergie noire et la matière noire tiennent bon. »

    La tension d'Hubble augmente encore

    Mais si ce résultat enthousiasme une partie de la communauté scientifique, il la divise aussi. « À bien des égards, cette dernière analyse Panthéon+ est l'aboutissement de plus de deux décennies d'efforts diligents d'observateurs et de théoriciens du monde entier pour déchiffrer l'essence du cosmoscosmos », déclare Adam Riess, colauréat du prix Nobel de physiquephysique en 2011 pour la découverte de l'accélération de l'expansion de l'Universaccélération de l'expansion de l'Univers. En effet, elle fournit aussi, par une collaboration avec l'équipe SH0ES, une valeur plus précise de la constante de Hubble, notée H0, qui caractérise le taux d'expansion actuel de l'Univers. Estimée à 73,4 km/s/Mpc avec 1,3 % d'incertitude, elle signifie que, pour chaque mégaparsec, soit 3,26 millions d'années-lumière, l'espace lui-même s'étend de 264 240 kilomètres par heure.

    Le satellite Planck, devant le fond diffus cosmologique, émis 380 000 ans environ après le Big Bang. © Nasa, ESA
    Le satellite Planck, devant le fond diffus cosmologique, émis 380 000 ans environ après le Big Bang. © Nasa, ESA

    Or, lorsque cette constante est calculée non pas en se basant sur la distance avec d'autres astres, mais sur le fond diffusdiffus cosmologique, la valeur trouvée pour la constante de Hubbleconstante de Hubble est inférieure, aux alentours de 67 km/s/Mpc. Par définition, la constante de Hubble ne peut avoir qu'une seule valeur mais, pour le moment, aucune explication de cet écart entre les deux mesures n'a été trouvée. C'est le problème appelé « tension de Hubble », qui a été aggravé par leur dernière étude, expliquent les chercheurs. En effet, leur nouvelle valeur laisse peu de place au hasard, plus exactement une seule chance sur un million. 

    « Nous pensions qu'il serait possible de trouver des indices sur une nouvelle solution à ces problèmes dans notre ensemble de données, mais au lieu de cela, nous constatons que nos données excluent bon nombre de ces options et que les divergences profondes restent aussi tenaces que jamais, a conclu Dillon Brout. Nous avons constaté que les théories proposées pour résoudre la tension de Hubble qui prédisent que des changements se produiront dans l'Univers récent sont largement exclues car elles devraient être si grandes que nous les verrions dans nos données, ce que nous ne faisons pas. C'est pourquoi de nombreuses théories plausibles et plus récentes ont commencé à se concentrer sur la modification de la physique du tout premier Univers, très peu de temps après le big bangbig bang ».


    Deux tiers de l’univers sont constitués d’énergie noire

    Article de Céline DeluzarcheCéline Deluzarche, publié le 30/09/2020

    Des scientifiques ont réussi à obtenir l'estimation la plus précise jamais réalisée de la quantité totale de matière dans l'Univers, en calculant la masse de centaines d'amas de galaxiesamas de galaxies. Un procédé vieux de 90 ans et pourtant plus fiable que les estimations purement théoriques.

    Les astrophysiciensastrophysiciens savent depuis longtemps que l'Univers se compose d'environ 5 % de matière constituée d'atomesatomes, que l'on peut observer, et d'environ 27 % de matière noire, une mystérieuse forme de matière qui expliquerait l'attraction gravitationnelle « manquante ». Les 68 % restants seraient constitués d'une non moins mystérieuse « énergie noire », une force répulsive opposée à la gravitégravité et qui expliquerait l'expansion de l'Univers.

    Une équipe d'astrophysiciens confirme aujourd'hui ces chiffres et apporte l'estimation la plus précise de la quantité de matière dans l'univers : 31,5 % (plus ou moins 1,3 %), les 68,5 % restants étant donc de l'énergie noire. « C'est la continuation d'un long processus qui a permis depuis 100 ans de progressivement devenir de plus en plus précis », se félicite à l'AFP Gillian Wilson, la coautrice de l'étude publiée lundi dans The Astrophysical Journal.

    31,5 % de l’Univers est constitué de matière, dont environ 80 % est de la matière noire invisible. Mohamed Abdullah, UC Riverside
    31,5 % de l’Univers est constitué de matière, dont environ 80 % est de la matière noire invisible. Mohamed Abdullah, UC Riverside

    L’équivalent de six atomes d’hydrogène par mètre cube

    « Pour mettre cette quantité de matière en contexte, si toute la matière de l'Univers était répartie uniformément dans l'espace, cela correspondrait à une densité de masse moyenne égale à seulement six atomes d'hydrogènehydrogène par mètre cube, explique Mohamed Abdullah, principal auteur de ces travaux. Cependant, puisque nous savons que 80 % de la matière est en fait de la matière noire, la majeure partie de cette matière n'est pas constituée d'atomes d'hydrogène mais plutôt d'un type de matière que les cosmologistes ne comprennent pas encore ».

    Pour prévenir à ce résultat, les chercheurs se sont appuyés sur une technique inventée dans les années 1930 par l'astronomeastronome suisse Fritz Zwicky, un des pionniers de la cosmologiecosmologie qui fut le premier à faire l'hypothèse de l'existence de la matière noire. Il avait remarqué que la masse gravitationnelle des galaxies de l'amas ComaComa ne suffisait pas à les maintenir ensemble ; il avait alors suggéré l'existence d'une matière invisible. Sa théorie jugée trop disruptive tombera aux oubliettes jusqu'en 1970 et sera remise en avant avec l'astronome américaine Vera Rubin qui apportera une observation plus précise.

    Voir aussi

    Avec la disparition de Vera Rubin, la matière noire est orpheline

    Mesurer la masse des amas de galaxies

    L'étude publiée aujourd'hui reprend donc ce procédé, qui consiste à observer les orbitesorbites des galaxies à l'intérieur des amas. En calculant la force gravitationnelleforce gravitationnelle de chaque amas, il est possible d'en déduire leur masse et donc la quantité d'énergie noire. La difficulté est de mesurer précisément la masse des amas de galaxies, étant donné qu'ils sont souvent trop sombres pour être détectés par les télescopestélescopes.

    Pour contourner ce problème, les scientifiques ont créé un outil baptisé GalWCat19 cataloguant 1.800 amas de galaxies à partir du Sloan Digital Sky Survey (SDSS, un relevé d'objets célestes établi à partir des observations du télescope de l'observatoire d'ApacheApache Point au Nouveau-Mexique). Ils ont ensuite comparé un échantillon de 756 amas avec celui des simulations numériquessimulations numériques pour obtenir un résultat le plus proche possible de la réalité.

    « Le grand avantage de cette technique est qu'elle permet de déterminer la masse de chaque amas individuellement plutôt que de se baser sur des méthodes statistiques indirectes, explique Anatoly Klypin, co-auteur de l'article. Nos observations sont en ligne avec celles obtenues par d'autres évaluations théoriques basées sur le fond diffus cosmologiquefond diffus cosmologique, l'oscillation acoustique baryonique et les supernovae. »

    À quoi va ressemble la mort de l’univers ?

    À quoi va servir cette nouvelle évaluation ? « La quantité de matière noire et d'énergie noire nous renseigne sur le destin de l’Univers », explique Gillian Wilson. L'hypothèse dominante est celle de la mort thermique de l’univers (Big FreezeBig Freeze) où les étoiles puis les galaxies transforment une partie de leur masse en énergie, ce qui contribue à réchauffer l'espace.

    Lorsque la température de l'univers deviendra uniforme, il sera donc impossible pour un astre de se former. Une échéance que nous devrions connaître dans 20 milliards d'année environ. Il n'en reste pas moins que la matière noire, comme l'énergie noire, n'a jamais pu être observée d'aucune manière que ce soit et reste pour l'instant au stade de la théorie.