Les observations issues de Spitzer et Chandra concernant le quelque peu énigmatique fond infrarouge diffus impliquent qu'il daterait bien de l'époque de la Renaissance cosmique. Surtout, il proviendrait à plus de 20 % de l'activité des premiers trous noirs.
Un Cosmic Infrared Background (CIB), que l'on ne doit pas confondre avec le rayonnement de fond cosmologique (CMB), le fameux rayonnement fossile encore appelé rayonnement de fond diffus cosmologique, a été prédit par James Peebles à la fin des années 1960. Prenant au sérieux la théorie du Big Bang après la découverte du rayonnement fossile en 1965, Peebles en avait déduit qu'en raison de la formation intense des premières étoiles et galaxies il devait exister un autre rayonnement plus ou moins isotrope, dans le domaine de l'infrarouge, et non plus des micro-ondes. Ce CIB aurait été émis par des milliards de galaxies éparpillées dans l'univers à des milliards d'années-lumière, suite à la naissance effrénée des premières étoiles.
Un rayonnement de fond infrarouge détecté par Cobe
Un CIB a effectivement été détecté pour la première fois presque 30 ans plus tard, grâce au célèbre Cosmic Background Explorer (Cobe), puis par le télescope Spitzer. Toutefois, certains pensent qu'il ne s'agit pas vraiment du CIB prédit par Peebles. Le fond diffus infrarouge observé actuellement ne serait pas d'origine cosmologique, selon eux. Il semble pourtant que ces récentes observations combinées de Chandra (domaine des rayons X) et de Spitzer (domaine infrarouge), soient toujours favorables à l'interprétation initiale de Peebles.
Il y aurait toutefois une différence, comme l'explique un groupe d'astrophysiciens et de cosmologistes dans un article déposé sur arxiv. Une part non négligeable du CIB proviendrait en fait des émissions infrarouge accompagnant l'accrétion de matière par des trous noirs, qui existaient au moment où les premières étoiles et galaxies de formaient dans l'univers.
Déjà en 2005, Alexander Kashlinsky, astrophysicien au Goddard Space Flight Center de la Nasa, qui étudie la nature du CIB avec ses collègues depuis des années, avait commencé à voir des traces du CIB dans les données de Spitzer. Soustrayant à nouveau des observations brutes du télescope les sources connues de rayonnement infrarouge issues des étoiles et des galaxies proches, les chercheurs avaient abouti, en 2012, à la conclusion que le CIB semblait bel et bien d'origine cosmologique. Ces dernières observations provenaient d'une région de la voûte céleste bien connue, déjà observée par Hubble par exemple. Il s'agissait de l'Extended Groth Strip, une mince bande sur la voûte céleste non loin des constellations de la Grande Ourse et du Bouvier.
Des corrélations entre fluctuations X et infrarouge
Or, en 2007, Chandra avait été utilisé pour rechercher, dans cette même région, des sources lointaines de rayons X. Là aussi, les astrophysiciens ont entrepris de soustraire les sources connues d'avant-plans des données brutes de Chandra, pour accéder à ces sources lointaines.
Le résultat a été, non pas la découverte, mais l'observation du Cosmic X-ray Background (CXB). Le CXB est en effet connu et étudié depuis 1962, et la carte plus détaillée de la partie de ce fond, qui doit correspondre à des sources et à des distances cosmologiques, devait permettre de chercher des corrélations avec la carte du CIB dans l'Extended Groth Strip.
Il aura au total fallu cinq ans aux astrophysiciens pour traiter les données, et chercher si des anisotropies dans le CXB et le CIB fluctuaient de manière similaire. Tel était bien le cas. Cela a conforté les chercheurs dans leur croyance qu'au moins une partie du CIB devait son origine, non pas à une population intergalactique d'étoiles arrachées aux galaxies en interaction, mais bien à des sources lointaines particulièrement actives quelques centaines de millions d'années après le Big Bang.
Une fenêtre sur les âges sombres et la Renaissance cosmique
Mais ce qui a surtout surpris les chercheurs, c'est l'importance de la population de sources cosmologiques du CIB corrélées à celles du CXB. Les rayons X observés sont d'une telle nature que l'on ne peut les expliquer autrement qu'en faisant appel au rayonnement de la matière accrétée par des trous noirs.
Kashlinsky a résumé les implications du travail de son équipe en ces termes : « Nos résultats impliquent que des trous noirs sont responsables d'au moins 20 % du fond diffus infrarouge, ce qui indique une activité intense de ces trous noirs se nourrissant de gaz à l'époque des premières étoiles ».
Ces résultats restent à confirmer solidement. Mais s'ils sont corrects, ils devraient donner de précieuses informations sur le rôle des trous noirs et des quasars pendant la période de formation des galaxies et quand l'univers sortait des âges sombres avec la réionisation.