Et de trois ! En analysant de nouveau des images radar de la surface de Vénus prises à des dates différentes lors de la mission Magellan au début des années 1990, des planétologues pensent avoir débusqué de nouvelles preuves sérieuses de l'émission de laves par les volcans de Vénus, en l'occurrence en deux endroits. Les prochaines missions vers cette planète pourraient définitivement clore la question de l'existence d'un volcanisme encore actif en assistant en direct à de nouvelles éruptions dans les régions aujourd'hui identifiées comme en éruption il y a presque 30 ans.


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    Haroun Tazieff a une fois expliqué dans un de ses livres que quand il a commencé à étudier la géologiegéologie, le volcanismevolcanisme était généralement considéré comme un phénomène mineur sur Terre. Il allait contribuer à changer cette vision des choses et l'on sait maintenant qu'il est non seulement fondamental sur notre Planète comme expression de sa géodynamique avec la tectonique des plaques, mais aussi dans le Système solaire.

    On peut penser qu'avec les regrettés Maurice et Katia Krafft, remis sur le devant de la scène il y a deux ans avec des documentaires, il rêvait d'admirer les éruptions volcaniques sur Io, la lune de JupiterJupiter. Sans doute aussi, pensaient-ils aux temps où les volcansvolcans martiens et lunaires étaient eux aussi actifs et, après-tout, nous ne sommes pas sûrs que certains d'entre eux ne puissent pas reprendre vie sous les yeuxyeux de l'humanité.

    On peut penser également que s'ils étaient toujours avec nous ils seraient enthousiasmés de prendre connaissance d'un article aujourd'hui publié dans Nature Astronomy et qui renforce fortement la croyance qu'il existe un autre volcanisme actif que sur IoIo et la Terre, celui de VénusVénus - que l'on appelle parfois la sœur de la Terre en raison de sa taille et de sa masse comparables à celles de notre Planète bleue. Des éruptions pourraient même être en cours actuellement comme on peut s'en convaincre en lisant sur X (ex-TwitterTwitter) le post de l'astrophysicienastrophysicien Stephen Kane.

    En 2020, un autre indice en ce sens avait également été avancé et Futura avait demandé à l'époque l'avis de la célèbre planétologue et volcanologuevolcanologue de la Nasa Rosaly Lopes. Nous avions expliqué à ce moment-là qu'en tant que membre de la mission GalileoGalileo autour de Jupiter, elle a été responsable des observations en infrarouge de sa lune volcanique, Io, de 1996 à 2001, y découvrant 71 volcans actifs, un record pour un volcanologue. Elle avait rejoint ensuite la mission Cassini pour étudier en particulier la géologie et l'habitabilité potentielle de TitanTitan. On lui doit plusieurs livres sur les volcans, dont un préfacé par Arthur Clarke.


    Une interview de Rosaly Lopes, planétologue et volcanologue au Jet Propulsion Laboratory. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa Solar System

    De Voyager à Magellan

    Voici les commentaires que Rosaly Lopes nous avait donnés en 2020 et qui nous semblent maintenant encore plus pertinents :

    « C'est très excitant ! Nous avons maintenant plusieurs indications que Vénus peut encore être volcaniquement active, ou l'était récemment. Mais nous n'en avons encore aucune preuve indiscutable. Il nous faudrait voir une signature thermique ou un changement de surface.

    Il existait également des indications que Io était volcaniquement active avant que Voyager ne découvre ses panaches, et avant que son volcanisme ne soit prédit par Peale et al. dans un article paru quelques semaines avant la rencontre avec Voyager. Avant cela, il y avait eu des observations d'une augmentation de l'émissionémission thermique sur Io et la détection de soufresoufre. Cependant, l'hypothèse de l'existence d'un volcanisme actif sur Io était considérée comme trop spéculative, donc pas acceptée jusqu'à la découverte de Voyager.

    Je pense que nous sommes beaucoup plus proches d'une acceptation d'un volcanisme actif sur Vénus, mais nous devons encore obtenir une preuve indiscutable.

    Espérons qu'une nouvelle mission retournera à Vénus dans un avenir pas trop lointain. »


    Un documentaire sur la mission Magellan en 1990. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © Nasa

    Des indices d'une activité volcanique avaient ensuite été apportés par une publication retentissante en 2023, expliquant qu'un lac de lavelave se serait formé sur Vénus il y a 30 ans !

    Mais comment était-on déjà arrivé à cette conclusion ?

    Pour le comprendre reprenons aussi ce que Futura avait déjà expliqué.

    La surface de Vénus vue par les sondes Venera et Magellan

    Tout avait commencé avec la cartographie radar de la surface de Vénus par la sonde Magellan au début des années 1990 qui avait montré qu'elle avait un très faible taux de cratérisation et beaucoup de structures volcaniques. Or, depuis les missions lunaires ApolloApollo qui ont permis de ramener des échantillons du sol lunaire et de les dater, on a pu établir une corrélation entre le taux de cratérisation d'un terrain planétaire et son âge, étant attendu que le taux de bombardement par des petits corps célestes est en baisse exponentielle, ou presque, depuis la naissance des planètes il y a environ 4,5 milliards d'années. La surface volcanique de Vénus est donc récente, quelques centaines de millions d'années tout au plus peut-être. Mais peut-être beaucoup moins, pensaient certains déjà à l'époque...

    Cette image a été obtenue à partir des données radar de la sonde Magellan qui a observé et cartographié la surface de Vénus d’août 1990 à octobre 1994. Les observations de Magellan ont permis d’établir que la surface de Vénus est globalement jeune, avec un âge moyen de quelques centaines de millions d’années tout au plus. En effet, on n’y observe que peu de cratères d’impact. On constate aussi que la surface est caractérisée par un volcanisme important, puisque toute la surface de Vénus est constituée de volcans, de coulées, de caldeiras et de dômes. Mais, au cours des quatre années qu’ont duré les observations au radar de Magellan, ni panaches de cendres ni modifications notables de la surface de Vénus n’avaient été détectés. Il y avait donc un débat sur la réalité d’une activité actuelle ou récente du volcanisme sur Vénus. © Nasa
    Cette image a été obtenue à partir des données radar de la sonde Magellan qui a observé et cartographié la surface de Vénus d’août 1990 à octobre 1994. Les observations de Magellan ont permis d’établir que la surface de Vénus est globalement jeune, avec un âge moyen de quelques centaines de millions d’années tout au plus. En effet, on n’y observe que peu de cratères d’impact. On constate aussi que la surface est caractérisée par un volcanisme important, puisque toute la surface de Vénus est constituée de volcans, de coulées, de caldeiras et de dômes. Mais, au cours des quatre années qu’ont duré les observations au radar de Magellan, ni panaches de cendres ni modifications notables de la surface de Vénus n’avaient été détectés. Il y avait donc un débat sur la réalité d’une activité actuelle ou récente du volcanisme sur Vénus. © Nasa

    Rappelons également que Vénus a été explorée dès les années 1960 par quelques missions américaines du programme Mariner. Mais ce sont les sondes russes du programme VeneraVenera qui aboutiront aux premiers résultats spectaculaires. Venera 4 fit ainsi la première étude in situ de l'atmosphèreatmosphère de Vénus (1967) tandis que Venera 7 réussit le premier atterrissage sur le sol vénusien (1970). Toutefois, il a fallu attendre la sonde Venera 13 pour obtenir les premières images spectaculaires des paysages vénusiens au début des années 1980.

    Traitée avec des moyens modernes, cette image provient initialement de celles prises sur la surface de Vénus par une sonde russe Venera. Le sol est clairement volcanique. © Don Mitchell
    Traitée avec des moyens modernes, cette image provient initialement de celles prises sur la surface de Vénus par une sonde russe Venera. Le sol est clairement volcanique. © Don Mitchell

    Sif Mons et Niobe Planitia en éruption ?

    Venons-en maintenant à préciser le contenu de l'article de Nature Astronomy. Il émane de chercheurs italiens qui ont analysé les données d'archives de la mission Magellan concernant ses cartes radar pour révéler des changements de surface. Comme l'explique un communiqué de la Nasa, ces changements indiqueraient la formation de nouvelles roches provenant de coulées de lave liées à deux volcans entrés en éruption pendant que le vaisseau spatial tournait autour de la planète au début des années 1990.

    Dans le même communiqué, l'un des auteurs de la découverte, Davide Sulcanese de l'université d'Annunzio à Pescara, en Italie, qui a dirigé l'étude explique : « En utilisant ces cartes comme guide, nos résultats montrent que Vénus pourrait être beaucoup plus active volcaniquement qu'on ne le pensait auparavant. En analysant les coulées de lave que nous avons observées à deux endroits de la planète, nous avons découvert que l'activité volcanique sur Vénus pourrait être comparable à celle sur Terre. » Les deux sites étudiés étaient le volcan SifSif Mons dans la région d'Eistla et la partie occidentale de Niobe Planitia.


    Cette vidéo met en évidence les zones de Sif Mons et Niobe Planitia sur Vénus, où des coulées de lave en cours ont été détectées. © IRSPS - Université d'Annunzio

    Des coulées de lave épaisses de 3 à 20 mètres ?

    Les planétologues ne sont pas arrivés à cette conclusion sans y avoir mûrement réfléchi. Ils ont ainsi envisagé la possibilité que les supposées coulées de lave soient en fait des micro-dunes formées à partir de sablesable soufflé par le ventvent ou encore d'effets atmosphériques susceptibles d'interférer avec le signal radar.

    Pour écarter la première possibilité, ils ont analysé les données altimétriques de Magellan pour déterminer la pente de la topographie et localiser les obstacles autour desquels la lave coulerait. Pourquoi ? Là encore, les explications sont données dans le communiqué de la Nasa et cette fois-ci par le co-auteur de l'article de Nature, Marco Mastrogiuseppe de l'université Sapienza de Rome : « Nous interprétons ces signaux comme des flux le long de pentes ou de plaines volcaniques qui peuvent dévier autour d'obstacles tels que des volcans boucliers comme un fluide. Après avoir exclu d'autres possibilités, nous avons confirmé que notre meilleure interprétation est qu'il s'agit de nouvelles coulées de lave. »

    En supposant qu'il soit possible de faire de la géologique comparée en transposant ce que l'on sait de la physiquephysique du volcanisme terrestre à Vénus, les planétologues estiment que les nouvelles roches mises en place ont en moyenne entre 3 et 20 mètres d'épaisseur. L'éruption du Sif Mons aurait produit environ 30 kilomètres carrés de roche, soit suffisamment pour remplir au moins 36 000 piscines olympiques. L'éruption du Niobe Planitia aurait, elle, produit environ 45 kilomètres carrés de roche, qui rempliraient 54 000 piscines olympiques. À titre de comparaison, l’éruption du Mauna Loa à Hawaï en 2022 a produit une coulée de lave contenant suffisamment de matièrematière pour remplir 100 000 piscines olympiques, précise la Nasa.

    Sif Mons est visible  dans cette vue simulée par ordinateur de la surface de Vénus déduite des données de Magellan. Le point de vue est situé à 360 kilomètres au nord de Sif Mons, à une hauteur de 7,5 kilomètres au-dessus des coulées de lave qui s'étendent sur des centaines de kilomètres à travers les plaines fracturées représentées au premier plan jusqu'à la base de Sif Mons. La vue est au sud. Sif Mons est un volcan d'un diamètre de 300 kilomètres et d'une hauteur de 2 kilomètres dans la moitié supérieure de l'image. Les données du radar à synthèse d'ouverture de Magellan sont combinées avec l'altimétrie radar pour produire une carte tridimensionnelle de la surface. Des couleurs simulées et une carte d'élévation numérique développée par l'<em>US Geological Survey</em> sont utilisées pour améliorer la structure à petite échelle. Les teintes simulées sont basées sur des images couleur enregistrées par les vaisseaux spatiaux soviétiques Venera 13 et 14. © Nasa, JPL
    Sif Mons est visible  dans cette vue simulée par ordinateur de la surface de Vénus déduite des données de Magellan. Le point de vue est situé à 360 kilomètres au nord de Sif Mons, à une hauteur de 7,5 kilomètres au-dessus des coulées de lave qui s'étendent sur des centaines de kilomètres à travers les plaines fracturées représentées au premier plan jusqu'à la base de Sif Mons. La vue est au sud. Sif Mons est un volcan d'un diamètre de 300 kilomètres et d'une hauteur de 2 kilomètres dans la moitié supérieure de l'image. Les données du radar à synthèse d'ouverture de Magellan sont combinées avec l'altimétrie radar pour produire une carte tridimensionnelle de la surface. Des couleurs simulées et une carte d'élévation numérique développée par l'US Geological Survey sont utilisées pour améliorer la structure à petite échelle. Les teintes simulées sont basées sur des images couleur enregistrées par les vaisseaux spatiaux soviétiques Venera 13 et 14. © Nasa, JPL
    Cette mosaïque d'images radar de Magellan pleine résolution, centrée à 12,3 degrés de latitude nord et 8,3 degrés de longitude est, montre une zone de 160 km sur 250 km dans la région d'Eistla de Vénus. Les éléments circulaires proéminents sont des dômes volcaniques de 65 kilomètres de diamètre avec des sommets larges et plats de moins d'un kilomètre de hauteur. Parfois appelés dômes « en crêpe », ils représentent une catégorie unique d'extrusions volcaniques sur Vénus formées à partir de lave visqueuse. Les fissures que l'on trouve couramment dans ces formations résultent du refroidissement et du retrait de la lave. Un flux moins visqueux a été émis du dôme nord-est vers l’autre grand dôme situé dans le coin sud-ouest de l’image. © Nasa, JPL
    Cette mosaïque d'images radar de Magellan pleine résolution, centrée à 12,3 degrés de latitude nord et 8,3 degrés de longitude est, montre une zone de 160 km sur 250 km dans la région d'Eistla de Vénus. Les éléments circulaires proéminents sont des dômes volcaniques de 65 kilomètres de diamètre avec des sommets larges et plats de moins d'un kilomètre de hauteur. Parfois appelés dômes « en crêpe », ils représentent une catégorie unique d'extrusions volcaniques sur Vénus formées à partir de lave visqueuse. Les fissures que l'on trouve couramment dans ces formations résultent du refroidissement et du retrait de la lave. Un flux moins visqueux a été émis du dôme nord-est vers l’autre grand dôme situé dans le coin sud-ouest de l’image. © Nasa, JPL

    De Magellan à Veritas

    Selon Suzanne Smrekar, scientifique principale au JPLJPL et chercheuse principale de la mission Venus Emissivity, Radio science, InSAR, Topography, And Spectroscopy (Veritas)) qui devrait être lancée au début de la prochaine décennie, « ces nouvelles découvertes de l'activité volcanique récente sur Vénus par nos collègues internationaux fournissent des preuves irréfutables du type de régions que nous devrions cibler avec Veritas lorsqu'il arrivera sur Vénus. Notre vaisseau spatial disposera d'outils d'investigation pour identifier les changements de surface qui sont bien plus complets et avec une résolutionrésolution plus élevée qu'avec les images de Magellan ».

    Veritas disposera en effet là aussi d'un radar à synthèse d'ouverturesynthèse d'ouverture de pointe et d'un spectromètrespectromètre proche infrarouge pour comprendre de quoi est faite la surface de Vénus, tout en suivant également l'activité volcanique.


    Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © The Planetary Society

    On peut espérer que l'étude du volcanisme de Vénus aidera à comprendre pourquoi elle a suivi un chemin d'évolution aussi différent de celui de la Terre.