Cette Écossaise de 71 ans ne ressent quasiment ni douleur, ni peur, ni anxiété. Son cas exceptionnel a permis à des chercheurs britanniques d’identifier une nouvelle mutation génétique, qui ouvre la voie vers des applications médicales pour traiter douleur et anxiété.


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    C'est l'histoire d'une femme qui a vécu plus de 60 ans sans s'apercevoir qu'elle n'était pas comme tout le monde, comme elle l'a affirmé :  « Il y a quelques années, je ne savais pas qu'il y avait quelque chose d'inhabituel dans le peu de douleur que je ressens. Je pensais que c'était normal. »  

    Je pensais que c'était normal

    Vers l'âge de 65 ans, elle est repérée des médecins à l'hôpital d'Inverness, en Écosse, car elle avait de l'arthrose à la hanche, avec une dégénérescence importante des tissus articulaires. Pourtant, elle n'avait pas mal. Un an plus tard, à 66 ans, elle subit une opération à la main, qui habituellement conduit à des douleurs postopératoires. Mais chez elle, rien de tout cela : elle ne se plaint d'aucune douleur.

    La patiente, replongeant dans son passé, a relaté différentes expériences illustrant son cas : par exemple, elle n'avait jamais eu besoin d'analgésiques après des opérations, comme des chirurgies dentaires ; quand elle se coupait, la plaie cicatrisait assez vite ; si elle se brûlait, elle ne ressentait pas de douleur, jusqu'à ce qu'elle s'aperçoive d'une odeur de chair brûlée... Autre preuve de son insensibilité à la douleur : d'après l'article médical paru dans le British Journal of Anaesthesia, « Elle a déclaré avoir mangé du piment Scotch-Bonnet sans aucune gêne », avec à la place « un éclat agréable » de courte duréedurée dans la bouche.

    Les chercheurs de l'UCL (University College London) et d'Oxford se sont donc intéressés à son cas et ont trouvé deux mutations intéressantes dans son génome. L'une concernait un pseudogène, appelé FAAH-OUT, dont on pensait jusqu'à présent qu'il n'était pas fonctionnel. L'autre était une mutation dans un gènegène proche, qui contrôle l'enzymeenzyme FAAH, mais cette mutation (rs324420) est répandue dans la population. Le gène FAAH (fatty-acid amide hydrolasehydrolase) est impliqué dans le signal de la douleur, la mémoire et l'humeur. Des souris qui n'ont pas FAAH ressentent moins la douleur et l'anxiété et guérissent plus rapidement de leurs plaies.

    Une insensibilité liée au système endocannabinoïde

    D'autres tests réalisés en collaboration avec l'université de Calgary au Canada ont révélé qu'elle avait dans son sang des niveaux élevés d'un neurotransmetteur, l'anandamide. Cette moléculemolécule se fixe sur des récepteurs du système endocannabinoïdesystème endocannabinoïde, CB1, des récepteurs connus aussi pour être des cibles des principes actifsprincipes actifs du cannabis. L'anandamide est normalement dégradé par l'enzyme FAAH. Pour les chercheurs, cette concentration anormale d'anandamide était le signe d'un signal élevé du système endocannabinoïde et de l'absence de fonctionnement de l'enzyme FAAH.

    Le THC est la principale molécule responsable des effets du cannabis. Il se fixe sur les récepteurs CB1 du cerveau, qui sont aussi les récepteurs de l’anandamide. © Hollygraphic, Fotolia
    Le THC est la principale molécule responsable des effets du cannabis. Il se fixe sur les récepteurs CB1 du cerveau, qui sont aussi les récepteurs de l’anandamide. © Hollygraphic, Fotolia

    Les chercheurs ont aussi testé l'humeur de cette patiente hors norme sur une échelle habituellement utilisée pour connaître l'anxiété d'un individu (Generalized Anxiety Disorder-7).  Elle a obtenu le score minimal soit 0/21. Cette éternelle optimiste a expliqué qu'elle ne paniquait jamais, même dans des situations dangereuses, comme lors d'un accidentaccident de la circulation qu'elle avait vécu récemment. Elle avait cependant des problèmes de mémoire, oubliant des mots au milieu de phrases, des troubles qui pourraient être liés au système endocannabinoïde.

    Ces travaux suggèrent que le gène FAAH-OUT, qui est muté chez cette femme, contrôle l'expression du gène FAAH. James Cox, chercheur à l'UCL, a expliqué dans un communiqué que « Nous avons constaté que cette femme avait un génotypegénotype particulier qui réduit l'activité d'un gène [ndlr : FAAH] déjà considéré comme une cible potentielle pour les traitements de la douleur et de l'anxiété. » Les chercheurs pensent qu'il est possible que d'autres personnes soient dans le même cas, étant donné que cette femme ne s'est pas rendu compte de rien d'anormal avant 60 ans. Ils encouragent les personnes insensibles à la douleur à se faire connaître.

    Cette recherche suggère de nouvelles voies pour développer des analgésiques qui cibleraient FAAH-OUT avec de nombreuses applicationsapplications médicales : « Nous espérons qu'avec le temps, nos découvertes pourraient contribuer à la recherche clinique sur la douleur et l'anxiété postopératoirespostopératoires, ainsi que sur la douleur potentiellement chronique, le trouble de stress post-traumatiquestress post-traumatique et la cicatrisationcicatrisation des plaies, éventuellement au moyen de techniques de thérapie géniquethérapie génique. » La patiente s'est réjouie que son cas puisse aider un jour à soulager des malades : « Je serais ravie si des recherches sur ma propre génétiquegénétique pouvaient aider d'autres personnes qui souffrent. »