L'événement était attendu depuis presque 20 ans : Iseult, l'IRM le plus puissant du monde grâce à l'intensité record de son champ magnétique, a livré ses premières images du cerveau humain au CEA, comme l'a révélé une conférence de presse. Une nouvelle ère pour les neurosciences et la médecine du cerveau vient de s'ouvrir avec l'obtention d'images d'une résolution époustouflante, qui devraient nous permettre de mieux comprendre son fonctionnement et, espérons-le, de mieux soigner certaines maladies neurodégénératives, comme Alzheimer et la sclérose en plaques, ou psychiatriques comme la dépression.


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    Dans le biopic sur Oppenheimer, on voit à plusieurs reprises le physicienphysicien Isidor Isaac Rabi. En 1938, il a fait la découverte du phénomène de résonance magnétique nucléairerésonance magnétique nucléaire (RMN) pour lequel il recevra le prix Nobel de physiquephysique en 1944. Il est rendu possible par le fait que tout comme l'ont réalisé en 1925 les physiciens George Uhlenbeck et Samuel Goudsmit pour les électronsélectrons, les protonsprotons et les neutronsneutrons des noyaux ont un moment cinétiquemoment cinétique, un spinspin, comme s'il s'agissait de petites toupies en rotation, des toupies magnétiques même.

    En 1946, Felix BlochFelix Bloch et Edward Purcell (son cours sur l'électromagnétisme est remarquable), en explorant eux aussi le monde quantique, utilisent la découverte de Rabi pour poser les bases actuelles des applicationsapplications de la RMN, bases qui permettront à Paul Lauterbur et Peter MansfieldPeter Mansfield de créer le domaine de l'imagerie par résonance magnétiqueimagerie par résonance magnétique (IRM) au cours des années 1970.

    Connaissez-vous Anatoli Bugorski, dont la tête s'est un jour retrouvée prise dans un accélérateur de particules ? Découvrez sa fascinante et terrible histoire dans Chasseurs de Science. © Futura

    Bloch et Purcell décrocheront le Nobel de physique en 1952, Lauterbur et Mansfield en 2003. L'IRM permet en particulier de former des images en médecine à partir du phénomène de résonance magnétique avec les noyaux d'hydrogènehydrogène des moléculesmolécules d'eau (une description du phénomène en question se trouve dans les cours de Feynman). Le corps humain étant en grande partie formé d'eau, il n'est pas étonnant que ce soit cette molécule que cible l'IRM.


    Les ingénieurs chercheurs du CEA ont conçu l’aimant IRM le plus puissant du monde. Destiné à l’exploration du cerveau humain, il atteint un champ magnétique de 11,7 teslas. Quels sont les enjeux en imagerie médicale ? Comment atteindre un champ magnétique aussi puissant ? Découvrez au cours de cette animation son principe de fonctionnement et les attentes en neuroimagerie. © CEA

    Des images 10 fois plus précises par IRM en seulement quatre minutes

    Le dernier avataravatar spectaculaire de l'IRM se trouve à NeuroSpin, un centre de neuroimagerie cérébrale par résonance magnétique nucléaire (IRM) en champ intense dirigé par le neuroscientifique Stanislas Dehaene et un département de l'Institut des sciences du vivant Frédéric Joliot du Centre d'études CEA Paris-Saclay.

    Il s'agit d'une étoileétoile montante baptisée Iseult, aboutissement d'un partenariat franco-allemand qui a nécessité plus de 20 ans de recherche, mobilisant environ 200 ingénieurs et chercheurs du CEA. Futura vous en a déjà parlé dans le précédent article ci-dessous et ce matin du 2 avril 2024, une conférence de presse en présence de Sylvie Retailleau, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, avec Anne-Isabelle Etienvre, directrice de la recherche fondamentale au CEA et Nicolas Boulant, responsable du projet Iseult et directeur de recherche au CEA, a été l'occasion de dévoiler pour la première fois au monde une série d'images de cerveau obtenue par IRM avec un champ magnétiquechamp magnétique inégalé de 11,7 teslasteslas.

    Pour mémoire, les dispositifs d'IRM des hôpitaux n'atteignent que 1,5 à 3 teslas. Iseult permet d'obtenir des images avec une résolutionrésolution 10 fois plus élevée que ces dispositifs, soit un dixième de millimètre. Alors qu'il suffit de quatre minutes pour atteindre ce résultat avec Iseult, il faudrait plusieurs heures avec un IRM classique, ce qui est impossible car le patient soumis à un IRM ne doit pas bouger pour assurer l'obtention d'une image de qualité.

    Iseult fonctionne grâce à la technologie des aimantsaimants supraconducteurssupraconducteurs, une technologie dont le CEA est passé maître en prenant part à la constructionconstruction du LHCLHC, qui lui aussi nécessite ce type d'aimant, ainsi qu'au développement de tokamak comme Tore-Supra pour la recherche sur la fusion contrôléefusion contrôlée.


    Le CEA dévoile pour la première fois au monde une série d’images de cerveau obtenue avec le scanner IRM Iseult. Ce succès marque la concrétisation du projet Iseult dont l’objectif était de construire le scanner IRM le plus puissant au monde pour pouvoir imager à un niveau de résolution jamais atteint le cerveau humain, sain ou pathologique, et découvrir de nouveaux détails sur son anatomie, ses connexions et son activité. Les détails qui seront obtenus auront des applications en recherche médicale. Les informations anatomiques ultra-fines participeront à établir un meilleur diagnostic et une meilleure prise en charge des maladies neurodégénératives telles qu'Alzheimer ou Parkinson. Iseult va faciliter la détection de signaux faibles, peu exploités à bas champ tel que celui du lithium, médicament utilisé pour traiter les troubles bipolaires ; il sera ainsi possible d’évaluer précisément sa distribution dans le cerveau et de mieux comprendre son efficacité, et ceux de petites molécules activement impliquées dans le métabolisme cérébral, comme le glucose et le glutamate ; ce type d’informations contribuera à la caractérisation de nombreuses pathologies cérébrales (gliome, neurodégénérescence…). © CEA

    Iseult, un outil pour la recherche fondamentale en neurosciences

    Précisons tout de suite que l'outil Iseult est destiné à la recherche fondamentale en médecine et neurosciences. Les patients n'en bénéficieront pas et il ne s'agit pas d'un prototype de machine que l'on déploiera dans les hôpitaux. Il n'est quand même pas interdit de rêver à cet égard, mais la technologie employée est délicate, difficilement miniaturisable, de sorte qu'il n'est pour l'instant pas évident d'imaginer qu'Iseult deviendra aussi répandu que les IRM actuels.

    Les découvertes que l'on peut espérer avec Iseult sont cependant susceptibles d'aider à traiter certaines maladies neurodégénératives ou psychiatriques, en particulier ParkinsonParkinson et AlzheimerAlzheimer ou encore la bipolarité et schizophrénie. La résolution atteinte avec Iseult pourrait notamment indiquer à l'avance l'apparition de ces maladies au stade débutant en découvrant des modifications du cerveau jusqu'ici trop petites pour les IRM dont on dispose.

    Iseult est donc un outil pour comprendre la structure fine, le fonctionnement et les pathologiespathologies du cerveau.

    Les images révélées aujourd'hui sont celles des cerveaux de 20 volontaires en bonne santé, mais un travail d'étude les a précédés pour s'assurer que l'intensité du champ magnétique n'avait pas d'effets négatifs.

    Il existe encore bien des mystères sur le fonctionnement du cerveau et la façon dont il traite les informations avec si peu d'énergieénergie, des mystères dont le décryptage pourrait nous aider à concevoir des ordinateursordinateurs conscients, bien que cette possibilité soit mise en doute par certains chercheurs comme le prix Nobel Roger Penrose. On aura probablement des surprises ou des confirmations de certaines idées à ce sujet. On se souvient que l’IRM avait permis de constater que des zones du cerveau qui sont actives quand on fait des mathématiques sont aussi celles qui le sont chez les artistes avec une émotion.

    Coupe sagittale du cerveau (traversant le cerveau d’avant en arrière). Cette coupe permet de voir de façon très fine et détaillée le cervelet avec ses nombreuses ramifications. Le cervelet est impliqué dans le contrôle de la fonction motrice et pourrait avoir un rôle dans le contrôle cognitif et émotionnel. Des anomalies de structure pourraient être associées à des troubles psychiatriques telles que la schizophrénie, les troubles bipolaires… Son étude avec l’IRM à 11,7 teslas devrait permettre d’apporter un regard nouveau sur cette région et son rôle dans ces maladies. © CEA
    Coupe sagittale du cerveau (traversant le cerveau d’avant en arrière). Cette coupe permet de voir de façon très fine et détaillée le cervelet avec ses nombreuses ramifications. Le cervelet est impliqué dans le contrôle de la fonction motrice et pourrait avoir un rôle dans le contrôle cognitif et émotionnel. Des anomalies de structure pourraient être associées à des troubles psychiatriques telles que la schizophrénie, les troubles bipolaires… Son étude avec l’IRM à 11,7 teslas devrait permettre d’apporter un regard nouveau sur cette région et son rôle dans ces maladies. © CEA
    Coupes axiales de cerveau humain, à temps d’acquisition identique, mais avec une intensité différente du champ magnétique. À 3 T, aimant d’IRM couramment utilisé dans les centres hospitaliers, et à 7 T, (seules trois machines en France et une centaine dans le monde), la précision et la netteté sont moindres. À 3 T, un nuage « granuleux » empêche de délimiter clairement les structures anatomiques du cerveau. À 7 T, lorsque l’on zoome, le niveau de détail à cette résolution est amoindri. À 11,7 teslas, l’IRM Iseult, le seul actuellement en fonctionnement au monde à cette intensité, fournit un réservoir de signaux et de contrastes entre les tissus biologiques qui permet une exploration plus fine du cerveau humain. © CEA  <br> 
    Coupes axiales de cerveau humain, à temps d’acquisition identique, mais avec une intensité différente du champ magnétique. À 3 T, aimant d’IRM couramment utilisé dans les centres hospitaliers, et à 7 T, (seules trois machines en France et une centaine dans le monde), la précision et la netteté sont moindres. À 3 T, un nuage « granuleux » empêche de délimiter clairement les structures anatomiques du cerveau. À 7 T, lorsque l’on zoome, le niveau de détail à cette résolution est amoindri. À 11,7 teslas, l’IRM Iseult, le seul actuellement en fonctionnement au monde à cette intensité, fournit un réservoir de signaux et de contrastes entre les tissus biologiques qui permet une exploration plus fine du cerveau humain. © CEA
     

    Le saviez-vous ?

    Voici quelques chiffres clés donnés par le communiqué de presse du CEA concernant Iseult :

    • 11,7 teslas (T), son champ magnétique (1,5 et 3 T pour les IRM en service dans les hôpitaux) ;
    • 132 tonnes, 5 mètres de long, 5 mètres de diamètre ;
    • 182 kilomètres de fils supraconducteurs ;
    • 1 500 ampères circulant dans la bobine ;
    • aimant refroidi à -271,35 °C grâce à 7 500 litres d’hélium liquide ;
    • 90 cetimètres d’ouverture centrale ;
    • 5 heures pour une montée en courant.

     Le cerveau et l'IRM. © Institut des sciences du vivant Frédéric-Joliot, CEA

    L'IRM le plus puissant du monde dévoile ses premières images d'une précision inégalée

    Article de Julie KernJulie Kern publié le 09/10/2021

    Le site de Saclay du CEA abrite l'IRM le plus puissant du monde. Construit dans le cadre du projet Yseult, il a livré ses premières images ; pas d'un cerveau ou d'un autre organe du corps humain, mais d'un potimarronpotimarron ! À terme, cette prouesse technologique sera mise au service de la recherche sur le cerveau et son fonctionnement.

    Le potimarron photographié par l'IRM le plus puissant du monde à NeuroSpin, plateforme d'imagerie du CEA à Saclay. © CEA
    Le potimarron photographié par l'IRM le plus puissant du monde à NeuroSpin, plateforme d'imagerie du CEA à Saclay. © CEA

    Cent trente-deux tonnes, cinq mètres de long, cinq mètres de diamètre extérieur pour 90 centimètres de diamètre intérieur. Les dimensions de l'IRM le plus puissant du monde, mis au point par le CEA dans le cadre du projet Iseult, sont impressionnantes. Sa puissance l'est encore plus, son aimant développe un champ magnétique nominal de 11,7 teslas. C'est beaucoup plus que les IRM hospitaliers classiques (1,5 ou 3 teslas). Ce bijou technologique est destiné à percer les mystères du cerveau et de son fonctionnement, mais avant de réaliser la première imagerie par résonance magnétique (IRM) sur un être humain, les scientifiques ont acquis des images à partir d'une cucurbitacée.

    Une résolution d'image jamais obtenue

    Jamais un potimarron n'a été photographié avec un tel niveau de précision. Le champ magnétique nominal généré par l'aimant permet d'atteindre une résolution de 400 micronsmicrons dans les trois dimensions. Des premières images prometteuses qui présagent de belles découvertes sur le cerveau humain. Il a fallu 20 ans de travail aux équipes de recherche du CEA et à leurs partenaires pour arriver à ce résultat. L'aimant a été mis au point à Belfort, dans l'usine Alstom, aujourd'hui General Electric. Ce dernier est alimenté par un courant électriquecourant électrique très intense : 1.500 ampèresampères, et refroidi par de l'héliumhélium superfluidesuperfluide à -271,35 °C. Il est installé à NeuroSpin, la plateforme de neuroimagerie du site de Paris-Saclay. 

     

    Voir aussi

    L’imagerie médicale : à quoi ressemble le chirurgien du futur ?

    L'IRM du projet Yseult permettra d'obtenir des images du cerveau 10 fois plus précises que celles qui sont produites à ce jour. Les scientifiques doivent encore mettre au point une méthodologie pour que l'IRM fonctionne de façon optimale ainsi que l'aval des autorités sanitaires avant que le premier volontaire ne s'allonge entre ses parois. D'ici là, peut-être que d'autres cucurbitacées seront utilisées pour éprouver les réglages.