En adaptant aux ultrasons une technique optique qui valut à ses auteurs un prix Nobel en 2014, des chercheurs de l'institut Langevin ont mis au point un procédé nouveau pour visualiser en trois dimensions des tissus vivants avec une résolution exceptionnelle, supérieure à la limite théorique. En témoignent ces images de l'activité vasculaire du cerveau de rat. Les applications sont aussi nombreuses que prometteuses, pour détecter des cancers, des maladies cardiovasculaires et neurologiques.

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    Accéder aux détails microscopiques de la matièrematière vivante représente encore aujourd'hui un défi difficile à relever. Quelle que soit la technique utilisée, les chercheurs se heurtent à un obstacle de taille : plus la longueur d'ondelongueur d'onde est petite, plus l'absorption et la diffusiondiffusion des ondes dans les tissus sont importantes, diminuant le pouvoir de pénétration du signal. Il faut donc choisir entre pouvoir de pénétration et résolutionrésolution de l'image. Pourtant, depuis une vingtaine d'années, des progrès considérables ont été réalisés en imagerie par ultrasons particulièrement adaptée à l'imagerie préclinique et clinique, dont l'équipe de Mickaël Tanter est une des pionnières. Ces scientifiques ont mis au point un échographe ultrarapide, qui équipe déjà de nombreux hôpitaux dans le monde. Mais cette fois, ils ont poussé la technique encore plus loin, atteignant une résolution spatiale inégalée en imagerie médicale : celle du micromètremicromètre (µm), soit 1 millième de millimètre.

    Tout commence en 2009, lorsque Mickaël Tanter donne une conférence sur l'imagerie par ultrasonsultrasons aux États-Unis et assiste à la présentation d'une nouvelle technique de microscopie optique à fluorescence avec une résolution meilleure que la limite de diffractiondiffraction, barrière pourtant supposée infranchissable. L'invention de cette technique optique vaudra d'ailleurs à ses inventeurs le prix Nobel de chimie en 2014. Le chercheur français comprend que le concept des opticiensopticiens et chimistes américains, limité à une imagerie de surface, pourrait être transposé dans le monde des ondes ultrasonores en utilisant un des échographes ultrarapides de son laboratoire. Dès son retour en France, il propose à son collègue OlivierOlivier Couture, chercheur CNRS dans son équipe, de s'en inspirer pour développer leur propre technique à base d'ultrasons.

    Les chercheurs décident alors d'utiliser un agent de contrastecontraste, ici des microbulles de 3 µm de diamètre déjà employées dans le domaine médical. Après plusieurs années de recherche en collaboration avec une équipe de neurobiologie (ESPCI/CNRS) dirigée par Zsolt Lenkei, directeur de recherche Inserm, ils parviennent à injecter ces multitudes de microbulles dans une veine d'un rat.

    La cadence ultrarapide d'acquisition de 5.000 images par seconde permet d'extraire de manière très précise le signal individuel provenant de chaque microbulle du bruit de l'ensemble des signaux rétrodiffusés. Leurs positions uniques peuvent alors être localisées individuellement par ultrasons avec une précision micrométrique lors de leur passage dans le cerveau.

    Visualisation de la vascularisation d'un cerveau de rat, sur différents plans, après injection de microbulles par imagerie doppler ultrasensible. Recherche à paraître dans <em>NeuroImage</em> en janvier 2016. © Errico <em>et al.</em> 2016, <em>NeuroImage</em>

    Visualisation de la vascularisation d'un cerveau de rat, sur différents plans, après injection de microbulles par imagerie doppler ultrasensible. Recherche à paraître dans NeuroImage en janvier 2016. © Errico et al. 2016, NeuroImage

    Une résolution permettant de nombreuses applications médicales

    En retraçant la position exacte de chaque bulle à chaque instant, les chercheurs ont réussi à reconstituer une cartographie complète du système vasculaire cérébral du rat vivant en quelques dizaines de secondes. Les détails sont tels qu'ils peuvent dissocier des vaisseaux sanguins séparés de quelques micromètres, alors que la résolution était jusqu'ici de l'ordre du millimètre et limitée par la diffraction. Plus encore, la vitessevitesse d'écoulement du sang est également mesurée très précisément à chaque instant avec une très grande dynamique allant de quelques dizaines de centimètres par seconde dans les gros vaisseaux jusqu'à moins d'1 mm/s dans les plus petits vaisseaux du système vasculaire.

    Le gain en résolution est énorme, d'un facteur 20 en moyenne, d'autant plus que la technique est non invasive et rapide, ce qui est très important pour le confort du patient. « Nous pensons être à l'aubeaube d'une nouvelle révolution dans le domaine de l'imagerie médicale, confie Mickaël Tanter. En quelques dizaines de secondes, nous pouvons déjà recueillir des millions de signatures de nos microbulles et atteindre des résolutions microscopiques à plusieurs centimètres de profondeur. Nous pensons pouvoir encore accélérer cette technique pour réaliser ces images en une à deux secondes ouvrant ainsi la voie à l'imagerie fonctionnelle en super-résolution ».

    La technique sera prochainement évaluée chez l'Homme, en particulier pour visualiser la microvascularisation hépatique chez des patients atteints de tumeurs du foie, ou encore pour l'imagerie transcrânienne très haute résolution du réseau vasculaire cérébral chez l'adulte. Les applicationsapplications potentielles sont très nombreuses, y compris la détection précoce de cancers dont la microvascularisation est à ce jour impossible à détecter. En fait, n'importe quel organe pourra être imagé en 3D à l'échelle microscopique et à l'aide d'un appareil très peu volumineux.

    Alors que la plupart des techniques actuelles de microscopie s'appuient sur des approches optiques limitées à une imagerie en surface, ce sont finalement les ultrasons qui viennent résoudre pour la première fois la question de l'imagerie microscopique en profondeur dans les organes. Ces résultats sont présentés dans Nature.