Une équipe de scientifiques bordelais a tenté d'y voir plus clair et a analysé les conséquences du premier confinement sur notre santé mentale. Ils ont mené une étude prospective publiée dans la revue Globalization and Health. Leurs résultats sont peu surprenants. 


au sommaire


    Se promener en solitaire, se retrouver entre amis ou en famille, ne pas avoir à se soucier constamment de la propreté du masque, de l'hygiène de nos mains, de l'aération de la maison ni d'avoir à s'inquiéter du lieu de travail et de la distance à laquelle se trouvent des gens qui ne vivent pas sous le même toittoit que nous... Avant que le SARS-CoV-2 ne pointe le bout de sa protéine Spike, tout cela nous paraissait anodin. Triste illustration du vieil adage qui énonce que l'on ne se rend compte de la valeur essentielle des choses que lorsqu'on les perd. 

    Il ne fait aucun doute que cette pandémie et les mesures sanitaires concomitantes ont impacté notre santé mentale. Des surveillances réalisées lors d'anciennes pandémies et d'autres études transversales plus récentes l'attestent. Désormais, il nous faut être plus précis dans l'analyse. Dans quelle mesure notre santé mentale a-t-elle été dégradée ? Avons-nous été tous égaux face à cette dégradation ? Quels sont les facteurs clés qui ont participé à ce déclin général ? Des chercheurs de l'Institut de Santé publique, d'Épidémiologie et de Développement (IPSED) affiliésaffiliés à l'université de Bordeaux et à l'Institut national pour la science et la recherche médicale (Inserm) viennent d'apporter des réponses à ces questions. Ils publient leur étude dans la revue Globalization and Health.

    Cette pandémie et les mesures sanitaires concomitantes ont impacté notre santé mentale. © Kzenon, Adobe Stock
    Cette pandémie et les mesures sanitaires concomitantes ont impacté notre santé mentale. © Kzenon, Adobe Stock

    La cohorte Mavie à la rescousse 

    C'est une pratique scientifique assez courante que de se servir de cohortes déjà constituées afin de pouvoir obtenir des données plus rapidement. C'est ce qu'ont fait les scientifiques qui ont réalisé cette étude. La cohorte Mavie a pour objectif initial d'étudier les circonstances et les causes des accidents de la vie de tous les jours. Grâce aux résultats, le but final est de formuler des préconisations et des programmes de préventionprévention innovants, qui réduiront le nombre de victimes. C'est une cohorte dont le recrutement a commencé en novembre 2014 et ce dernier est actuellement toujours en cours.

    La cohorte de base, composée de 12.419 personnes ayant donné leur consentement éclairé et ayant rempli correctement le questionnaire initial, comprend 763 enfants, 655 adolescents, 6.845 adultes et 377 personnes âgées. La partie de la cohorte ayant reçu le questionnaire « spécial confinement » pour participer à cette nouvelle étude ne se compose que de 1.237 personnes. En cause, des participants ayant refusé de recevoir e-mails et newsletters, l'exclusion des mineurs et des participants inscrits après le 1er janvier 2020, des données manquantes et des personnes qui n'ont tout simplement pas rempli le questionnaire. 

    De ce fait, les investigateurs disposaient donc déjà de données cruciales concernant des variables d'intérêts récoltées tout au long de l'étude. Voici celles qu'ils ont décidé d'inclure dans leur analyse : le sexe, l'âge, l'état matrimonial, le niveau d'études, le type de travail et le statut d'emploi, le revenu mensuel du ménage, la typologie de la zone résidentielle, la taille de la municipalité et le type de logement.

    Les outils de mesures utilisés 

    Le questionnaire « spécial confinement » se composait de quatre parties :

    • la première sur la santé mentale et physiquephysique auto-évaluée et les symptômes d'anxiété et de dépression. La santé mentale et physique a été auto-évaluée à l'aide d'une échelle allant de 1 à 10 (1 étant mauvaise santé perçue et 10 excellente santé perçue). Les symptômes de la dépression et d'anxiété respectivement ont été collectés à l'aide du questionnaire sur la santé du patient-9 ou PHQ-9 (respectivement l'échelle de l'anxiété généralisée ou GAD-7) dont les utilisations dans la population générale est validée. Les participants ont indiqué à quelle fréquence ils ont été dérangés par chaque symptôme au cours des deux dernières semaines en utilisant une échelle à quatre points allant de 0 (pas du tout) à 3 (presque tous les jours). Le score final peut varier de 0 à 27 et de de 0 à 21 respectivement. Il est généralement admis pour les deux tests que 5, 10 et 15 sont les scores seuils de dépression (respectivement d'anxiété) légère, modérée et sévère ;
    • la deuxième sur les conditions de vie et l'environnement socio-démographique à laquelle les auteurs ont ajouté la possibilité de télé-travail. 
    • la troisième sur la perception de l'épidémieépidémie et du confinement et sur leur expérience personnelle des évènements. Les questions étaient de nature à cerner leur inquiétude vis-à-vis du confinement et si eux-mêmes ou un de leurs proches avaient été touchés par la covid-19covid-19
    • et la quatrième sur les activités réalisées durant le confinement, notamment le temps passé à se renseigner sur l'épidémie. 

    Que disent les résultats ? 

    Les résultats obtenus suggèrent plusieurs choses. Premièrement, on constate une baisse (respectivement une augmentation) modeste dans la santé mentale (respectivement physique) perçue. Le score moyen est passé de 7.77 à 7.58 (respectivement de 7.44 à 7.94). Deuxièmement, du côté des symptômes dépressifs et anxieux, pas de changement notable pour la dépression mais une augmentation de 17,3 à 20,1 % de l'anxiété.

    Comment ces résultats sont-ils associés avec les autres données récoltées par les chercheurs ? Concernant la santé mentale perçue, les adultes (entre 23 et 49 ans) et les personnes très âgées (plus de 70 ans) semblent avoir été les plus vulnérables. Les personnes ne possédant pas d'espace extérieur personnel et ayant l'habitude de sortir plus de trois heures par semaine étaient également plus à risque (entre 0 et 89 % et entre 8 et 99 % respectivement) de voir leur santé mentale perçue se dégrader. En matièrematière de symptômes dépressifs et anxieux, les principaux facteurs de risquefacteurs de risque identifiés étaient le sexe, les femmes étant 18 à 168 % plus à risque que les hommes, vivre seul augmentait le risque de 16 à 172 % et avoir un espace de vie inférieur à 30 mètres carrés l'augmentait de 19 à 230 %.

    Avoir un balcon ou une terrasse et un espace de vie intérieur supérieur à 30 mètres carrés a clairement contribué à maintenir une bonne santé mentale. © Dirima, Adobe Stock
    Avoir un balcon ou une terrasse et un espace de vie intérieur supérieur à 30 mètres carrés a clairement contribué à maintenir une bonne santé mentale. © Dirima, Adobe Stock

    Laura, ayant vécu les confinements successifs et résidant dans la capitale, explique pourquoi un grand espace de vie a, selon elle, contribué à sa bonne santé mentale : « Je vis dans un 70 mètres carrés et je pense que ça a joué un rôle déterminant, notamment pour que mon conjoint et moi puissions avoir des espaces individuels afin de faire nos activités séparément. » Amaury, habitant également à Paris, a déménagé entre les deux premiers confinements. Il est catégorique : « Je suis passé d'un studio de 20m² à un 2 pièces de 32m² et j'ai constaté une baisse dans la fréquence de mes symptômes anxieux et dépressifs, en excluant ces derniers mois où ils sont redevenus plus fréquents, du fait de la fatigue, je pense. »

    Les chercheurs ont également trouvé des corrélations entre les symptômes d'anxiété et le fait que des personnes de l'entourage soient infectées par le SARS-CoV-2. Aussi, passer plus de deux heures par jour à essayer d'obtenir des informations sur la pandémie a participé à l'augmentation de ces mêmes symptômes. « Je suis constamment à la recherche d'informations sur la pandémie du fait de mon métier de journaliste. Et quand je n'en cherche pas, je l'écris, raconte LauraTwitterTwitter est devenu un lieu très anxiogène, de même que mes discussions avec les soignants qui sont sur le terrain. On se sent incapable d'agir de manière concrète. Littéralement, la vaguevague nous terrasseterrasse. Quand mon conjoint est tombé malade, mon anxiété a considérablement augmenté. Je prenais régulièrement ses constantes et je le surveillais. J'étais terrifiée à l'idée que son état empire. Quand mon tour est venu, j'étais bien trop fatiguée pour avoir peur, je crois... » Amaury aussi passe un temps conséquent à se renseigner sur l'épidémie : « Je passe environ 1 à 2 heures par jour sur Twitter et une grande partie de mes abonnements traite de ce sujet. Je pense que ce n'est pas vraiment bon pour mon moral, mais il me semble que cela influence peu mes symptômes dépressifs et anxieux. »

    Les biais dans le plat

    Les résultats de l'étude sont intéressants mais ne sont pas dénués de biais méthodologiques. Le plus flagrant est le biais de sélection. L'âge moyen des participants est de 62 ans, 78 % des personnes qui ont participé à cette étude sont pré-retraitées ou retraitées, 82 % avaient des espaces extérieurs pour leurs usages personnels lors du confinement et 77 % des ménages étaient sans enfant à charge. Afin d'analyser dans quelle mesure ce biais de sélection inhérent à leur design d'étude a impacté leurs conclusions, les chercheurs ont comparé les données socio-démographiques principales entre les répondants et les non-répondants au questionnaire « spécial confinement ».

    Les répondants étaient plus vieux, en meilleure santé mentale et physique, moins sujets à l'anxiété et à la dépression, fumaient moins et consommaient un peu plus d'alcoolalcool. D'un autre côté, l'une des grandes forces de cette étude réside dans son caractère longitudinal. Elle a pu suivre des participants dans le temps et comparer des variables similaires chez les mêmes personnes à différentes périodes. Dès lors, ses conclusions sont plus robustes que celles des études transversales antérieures. Ce qu'elle suggère aussi entre les lignes par son biais de sélection -- et les auteurs le suggèrent noir sur blanc à la fin de leur article --, c'est qu'il est fort probable que l'impact de la crise sur la population générale ait été largement supérieure à ce qu'ils ont observé

    Quid de l'entre-deux actuel ?

    « Je suis encore plus inquiète actuellement que lors des deux premiers confinements. Les périodes d'hésitation du gouvernement, son inaction, l'absurdité des mesures prises m'angoissent terriblement. J'ai comme l'impression qu'on nous laisse partir à la dérive », nous confie Laura. Effectivement, la situation que nous connaissons actuellement n'a plus rien à voir avec les confinements stricts de l'année précédente. Les conséquences sur la santé mentale de cet « entre-deux » catastrophique sur le plan sanitaire et économique mériteront également d'être étudiées plus largement.