Aux premiers instants de la vie chez un humain, le cerveau fourmille de connexions entre les neurones. Au fur et à mesure de cet intense développement cérébral, cette activité diminue et un tri s'effectue dans les synapses. C'est ce processus d'élagage que les scientifiques viennent de mettre en lumière et qui pourrait aider à comprendre certains troubles cognitifs.
[EN VIDÉO] Un neurone vivant en vidéo haute résolution Les observations en nanoscopie des neurones de souris ont permis de découvrir que les épines dendritiques bougeaient et se modifiaient sur une courte échelle de temps. © MaxPlanckSociety
Lorsqu'il est en plein développement, le cerveau doit régulièrement faire le tri entre les innombrables connexions formées par les neurones qui le composent. Alors que l'on ignorait comment ce tri s'opère, des chercheurs viennent d'identifier une protéine indispensable à ce processus : le récepteur A2A. Ce dernier pourrait être également impliqué dans des troubles cognitifs...
Au cours du développement cérébral, il existe une période intense pendant laquelle les neurones créent de nombreuses connexions entre eux : c'est la période dite de synaptogenèse. Les points de contact entre neurones (ou « synapses ») se multiplient, puis leur quantité doit être réduite pour que le fonctionnement du cerveau soit plus performant. On savait déjà que ce phénomène dépendait de l'activité neuronale -- les synapses inutilisées sont finalement détruites -- mais la manière dont ce processus d'élagage est contrôlé était jusqu'à présent largement incomprise.
Pour avancer sur le sujet, Christophe Bernard (unité 1106 Inserm/Aix-Marseille Université, Institut de neurosciences des systèmes, équipe Physionet, Marseille) et Sabine Lévi (unité 1270 Inserm/Sorbonne Université, Institut du Fer à Moulin, équipe Plasticité des réseaux corticaux et épilepsie, Paris) se sont penchés sur le cas des synapses GABAergiques. Ces connexions, au sein desquelles la molécule GABA sert de messager chimique, sont particulièrement importantes : elles sont parmi les premières à être formées et leur activité est indispensable à la construction du reste du circuit neuronal.
De quelle façon s'effectue le tri des synapses ?
Les travaux dirigés par les deux chercheurs, conduits chez la souris, mettent en lumière le rôle clé du récepteur à l'adénosine A2A dans le processus de tri : situé au niveau de la synapse, ce récepteur permet à la connexion d'être maintenue lorsqu'il est activé par l'adénosine (qui joue alors le rôle de neurotransmetteur).
En revanche, s'il n'est pas activé pendant plus de 20 minutes, le processus d'élimination s'enclenche. Un blocage expérimental du récepteur conduit également à la destruction de la synapse. Le récepteur A2A agirait donc comme un contremaître dans l'agencement du système nerveux central au cours du développement.
« On pourrait comparer le développement du cerveau à un pays en construction, dans lequel chaque ville est, au départ, reliée à toutes les autres par des routes directes. Le récepteur A2A agit comme un détecteur d'activité : tant que la route est empruntée par des voitures, le détecteur envoie un feu rouge aux ouvriers en charge de démonter les routes. Si aucune voiture ne passe durant 20 minutes, elle leur envoie un feu vert, et la route est supprimée », explique Christophe Bernard.
Chez l'humain, la période de synaptogenèse a vraisemblablement lieu en fin de vie intra-utérine ou dans les tout premiers temps après la naissance, phase durant laquelle l'expression d'A2A est connue pour être particulièrement forte.
Une protéine sous influence de la caféine
« Il faut désormais déterminer si les synapses qui fonctionnent avec d'autres neurotransmetteurs, comme le glutamate ou l'acétylcholine, sont éliminées selon le même principe. Par ailleurs, on sait qu'A2A est activé par l'adénosine, mais le mécanisme qui stimule ou inhibe la production de celle-ci en fonction de l'activité synaptique reste à établir », poursuit le chercheur.
Ce travail fondamental pourrait avoir des applications cliniques intéressantes : « Nous nous sommes penchés sur le rôle de l'adénosine parce que nous avions précédemment observé qu'une consommation élevée de caféine au cours de la période de synaptogenèse gêne le fonctionnement naturel de la protéine A2A. Chez l’animal, cela se traduit par des troubles cognitifs ultérieurs. On peut donc se demander si ce phénomène existe aussi chez l'humain, d'autant que la production de l'enzyme qui dégrade la caféine est réduite chez la femme enceinte. »
L'exposition in utero à d'importantes quantités de caféine pourrait-elle être à l'origine de troubles cognitifs au cours de la vie de l'enfant à naître ? « Alors que l'on connaît son rôle bénéfique pour le fonctionnement cognitif de l'adulte, cette hypothèse interroge. Nous explorons la question à travers une étude financée par l'Agence nationale de la recherche et la fondation Alzheimer. Elle vise à expliquer cet effet, dit "Janus", qui rend la caféine bénéfique ou délétère selon l'âge. »
Il pourrait par exemple reposer sur l'enclenchement de mécanismes moléculaires différents selon l'âge auquel a lieu l'interaction entre caféine et A2A. « Cette étude nous permettra sans doute de mieux comprendre les mécanismes impliqués dans la destruction ou la conservation des synapses », espère Christophe Bernard. Un travail qui pourrait en outre apporter des éléments importants pour l'identification de nouvelles cibles dans le traitement de troubles cognitifs ou de la maladie d’Alzheimer.
La substance blanche du cerveau étudiée in vivo grâce à la tractographie La tractographie offre la possibilité d’étudier in vivo la substance blanche du cerveau, celle constituée d’axones myélinisés qui relient les régions de matière grise. Cette gaine de myéline, qui entoure les terminaisons nerveuses, permet à l’information d’être propagée plus rapidement. Sur cette image, les faisceaux pyramidaux apparaissent en bleu et les fibres transverses pontocérebelleuses sont colorées en rouge et vert. © CNRS Photothèque, CI-NAPS, GIP CYCERON
Synapse d'un neurone pyramidal La synapse correspond à la zone de connexion entre deux neurones. La communication va toujours dans le même sens : de l’élément présynaptique vers l’élément postsynaptique. En rouge est figuré un marqueur présynaptique tandis que le bleu révèle un marqueur postsynaptique de ce neurone pyramidal. © CNRS/IPMC
Reconstitution tridimensionnelle d'une boîte crânienne d’enfant Il s’agit d’une reconstitution tridimensionnelle d’une boîte crânienne d’un très jeune Homo erectus : l’enfant de Modjokerto, décédé à un an. Grâce à sa solidité, la boîte crânienne protège le cerveau de chocs extérieurs. Jusqu'à une certaine limite… © Jean-Jacques Hublin, CNRS Photothèque
Les cellules de Purkinje, des neurones du cervelet Les neurones seraient-ils verts ? Pas vraiment. Il s’agit en réalité de mettre en évidence, grâce à la GFP (la protéine fluorescente verte ou green fluorescent protein en anglais), le contrôle des séquences régulatrices de la protéine du prion bovin (agent pathogène), dans les cellules de Purkinje du cervelet de souris transgénique. Cette structure du cerveau, située en position antérieure, est responsable de l’équilibre. © Yannick Bailly, CNRS Photothèque
Épines dendritiques d'un neurone Des chercheurs ont étudié le rôle de la préséniline 1, une protéine dont la mutation est impliquée dans les formes génétiques de la maladie d'Alzheimer touchant des personnes relativement jeunes. Ils ont mesuré l'efficacité de la transmission de l'influx nerveux et compté le nombre d'épines dendritiques. Ces résultats suggèrent que la préséniline 1 aurait une action neurotoxique. Or, des études récentes montrent que, dans le cerveau des personnes âgées (atteintes ou non par la maladie d'Alzheimer), la préséniline 1 augmente. Ainsi, lors du vieillissement, elle serait responsable de l'atteinte des fonctions cognitives liées à la mémoire. © Alexandra Auffret, CNRS Photothèque
Neurones de l'hippocampe et leurs neurotransmetteurs Ces neurones de l’hippocampe (structure appartenant au système limbique), proviennent de souris et ont été mis en culture. En rouge ont été mis en évidence les canaux potassiques TREK-1, tandis qu’en vert on aperçoit les molécules de GABA, l’un des principaux neurotransmetteurs. © Fabrice Duprat, CNRS Photothèque
Le transport de l'information nerveuse : des dendrites à l'axone Ce cliché permet de comprendre pourquoi on parle de neurones pyramidaux. Les dendrites, ces prolongements qui forment des touffes au niveau basal, reçoivent l’information nerveuse, la transmettent au corps cellulaire (le disque noir) qui la fait suivre jusqu’à l’axone, ce long filament très peu ramifié, pour qu’il la transmette au neurone suivant. © CNRS Images
Cerveau d'une larve de mouche et ses corps pédonculés Ceci n’est pas un homard. Il s’agit d’un cliché pris dans le cerveau d'une larve de Drosophila melanogaster, la mouche du vinaigre. Les corps pédonculés, cette structure au centre de l’image, sont symétriques et se retrouvent dans chaque hémisphère cérébral. Ils sont impliqués dans la mémoire olfactive. © CNRS Images
Neurone exprimant la protéine hungtingtine Les neurones, comme toutes les cellules, synthétisent des protéines. Lorsque celles-ci sont défaillantes, elles causent la mort des neurones. C’est le cas des maladies d’Alzheimer, de Parkinson ou d’Huntington, par exemple. Cette dernière se manifeste par l’accumulation d’une protéine particulière, l’hungtingtine, qui va former des agrégats et détruire les neurones. Sur cette image, le neurone de souris est sain. © Sandrine Humbert, Fabrice Cordelières, CNRS Photothèque