Rosalind Franklin est la pionnière de l'une des découvertes scientifiques les plus importantes du XXe siècle. Elle est aussi une femme, victime de l'injustice des hommes de son milieu. Retour sur le parcours de cette chercheuse de génie.


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    Il y a 70 ans, le 25 avril 1953, le cliché 51 paraissait dans une publication scientifique qui changera le monde, celle de Watson et Crick dans Nature qui décrit la structure en double hélice de l'ADN. Si le cliché est entré dans l'histoire, celle qui l'a réalisé a dû attendre sa mort et la remise d'un prix Nobel à ses collègues masculins pour voir son nom cité. À l'occasion de cet anniversaire, Futura vous propose de redécouvrir l'histoire de Rosalind Franklin, l'oubliée de l'ADN, en écoutant ou réécoutant un épisode de notre podcast Chasseurs de science.

    Une jeune passionnée de science

    1938. L'école pour filles de St Paul, au centre ouest de Londres, a l'habitude d'accueillir de brillantes jeunes filles et de les instruire avec la même exigence que les garçons. C'est d'ailleurs le seul établissement pour jeunes filles de la ville à proposer des cours de physiquephysique. Parmi les élèves, il y en a une qui se démarque des autres. Une grande, en dernière année. Elle ne manque aucun cours de physique et impressionne ses professeurs par ses capacités de raisonnement et d'apprentissage. C'est la fille aînée d'Arthur et Muriel Franklin, un couple de bourgeois juifs à la tête d'une famille de cinq enfants, Rosalind. Cette jeune passionnée de science ne le sait pas encore, mais elle sera au cœur de la découverte scientifique la plus importante du XXe siècle. Bien déterminée à poursuivre des études scientifiques, Rosalind s'inscrit au Newnham College pour passer un équivalent du baccalauréat en chimie.

    Un début tout en charbon

    À 20 ans, elle entame son doctorat de chimiechimie à l'université de Cambridge. Rosalind travaille sur le charbon, une source d'énergieénergie très utilisée pour chauffer les chaumières, mais aussi faire fonctionner les usines. Le charboncharbon constitue aussi un enjeu stratégique pour la guerre puisqu'il est aussi présent dans les masques à gazmasques à gaz, en tant que filtre. Le but ? Étudier sa porositéporosité pour savoir comment le faire brûler plus efficacement et améliorer ses capacités filtrantes. Ses travaux montrent que le carbonecarbone issu de la pyrolysepyrolyse du charbon peut être de deux formes : une forme graphitegraphite, comme celle que l'on trouve dans les crayons à papier, et une forme non-graphite. Deux formes, deux structures distinctes, deux utilisations. Le coke, la part minérale du charbon, peut être transformé en graphite à haute température et produit des grandes quantités de chaleurchaleur lorsqu'il est brûlé. On l'utilise notamment en sidérurgie. Elle obtient son doctorat en 1945 à l'université de Cambridge. Ambitieuse et déterminée, Rosalind veut étendre ses connaissances et étudier. Elle veut aussi ouvrir ses horizons, quitter Londres pour Paris. Rosalind est amie avec Adrienne Weill, une réfugiée juive française et ancienne élève de Marie CurieMarie Curie. Elle lui demande de l'aider à trouver un poste de physicienne dans la ville de lumièrelumière. Grâce à elle, Rosalind rencontre le directeur du CNRS de l'époque, puis un ingénieur spécialisé en cristallographiecristallographie, Jacques Mering. Le courant passe si bien entre eux qu'il lui propose un poste au Laboratoire central des services chimiques de l'État où il travaille. Elle accepte immédiatement, déjà charmée par les paysages de l'Hexagone. « Je me verrais bien parcourir indéfiniment la France. J'adore les habitants, les paysages et la gastronomie de ce pays », écrit-elle à Adrienne.

    Le cliché 51 réalisé par Rosalind Franklin. © Life Sciences Fondation
    Le cliché 51 réalisé par Rosalind Franklin. © Life Sciences Fondation

    La carrière de Rosalind Franklin dans l'ADN

    Dès l'automneautomne 1946, elle s'installe à Paris pour apprendre la diffractiondiffraction aux rayons Xrayons X et l'appliquer au charbon qu'elle connaît bien. Rapidement, elle maîtrise cette technique du bout des doigts et les résultats qu'elle obtient ne cessent de s'améliorer. Sa pugnacité dépasse les frontières françaises, au point d'attirer l'attention d'un groupe de chercheurs britanniques qui s'affaire à comprendre comment l'ADN est structuré. En 1950, Rosalind retourne à Londres et prend connaissance des recherches sur l’ADN menées au Laboratoire Cavendish à Cambridge. Elle pense tout de suite que sa maîtrise de la diffraction aux rayons X et des cristaux pourrait bien aider ces messieurs. Rosalind a 30 ans et déjà quelques publications remarquées sur le charbon derrière elle. Changer de sujet de recherche au milieu de sa carrière n'est pas une décision anodine. De nos jours, il n'est pas évident pour un chercheur d'abandonner son domaine de recherche pour un autre, alors imaginez la même chose il y a 70 ans. Pour une femme qui plus est ! Cela demande un peu de courage. Heureusement, Rosalind n'en est pas dénuée.

    En 1951, elle prend un poste au King's College de Londres pour étudier l'ADN aux côtés de Maurice Wilkins qui participe aux réflexions d'un certain duo : James Watson et Francis CrickFrancis Crick. Mais leur relation tourne rapidement au vinaigre. Rosalind démonte petit à petit toute la réflexion de Maurice sur la structure de l'ADN. Son idée ne colle pas avec les premiers clichés cristallographiques qu'elle réalise. Le directeur du laboratoire où tous les deux travaillent les sépare. Rosalind a un nouveau binôme, un doctorant, Raymond Gosling. C'est avec lui qu'elle réalise le fameux cliché 51 en mai 1952. Ce dernier montre la forme B de l'ADN, une double hélice. La dernière preuve qu'il manquait à Watson, Crick et Wilkins pour confirmer leur intuition sur la structure de l'ADN. La suite de l'histoire est célèbre. Wilkins montre le cliché 51, sans l'accord de Rosalind, à Watson et Crick qui l'intègre dans leur publication qui décrit la structure de l'ADN en 1953. Dans son livre qui raconte cette épopée scientifique, La double hélice, Watson la dépeint comme une femme dure et acariâtre. Sa contribution est à peine mentionnée par Wilkins lorsqu'il reçoit le prix Nobel de médecine avec Watson et Crick en 1962. Contre l'invisibilisation de sa contribution et le portrait peu flatteur qui est dressé d'elle, Rosalind ne peut se défendre.

    L'héritage scientifique de Rosalind Franklin

    Elle meurt prématurément en 1958 d'un cancer des ovaires, sûrement amplifié par la manipulation des rayons X. Elle n'avait que 37 ans. Après la parution du livre de Watson en 1968, plusieurs personnes cherchent à réhabiliter Rosalind, lui redonner la place qui lui revient dans l'histoire de l'ADN. Elle devient alors une icôneicône féministe, la « mauvaise héroïne », un cas d'école de l'effet Matilda - une théorie qui stipule que les femmes scientifiques sont moins reconnues que les hommes pour leur recherche et que ces derniers s'approprient une partie des mérites qui leur revient pourtant. Mais Rosalind était bien plus que tout cela.

    Après son passage au King's College, elle prend un poste au Birkbeck College pour poursuivre sa carrière. Elle applique ses compétences en cristallographie aux virus, des entités biologiques qui la fascinent depuis toujours. Là-bas, elle aide à comprendre la structure du virus de la mosaïque du tabac, le tout premier virus découvert à la fin du XIXe siècle. L'occasion pour elle de fermer le clapet de Watson qui pensait que ce virus était en forme d'hélice - une obsession chez lui.

    Après cela, elle change encore d'horizon pour étudier le virus de la poliomyélite. Son cancer précipite brutalement la fin de sa brillante carrière de chercheuse. Pour rappeler à tous que Rosalind était bien des choses mais avant tout une scientifique, sa tombe au cimetière juif de Willesden de Londres porteporte une épitaphe singulière. Il y est inscrit au centre « scientist », scientifique en français. Si Rosalind a beaucoup voyagé dans sa vie, pour faire du tourisme ou rencontrer ses pairs, elle ne se serait jamais imaginée sur Mars. La NasaNasa a prévu de lancer prochainement un roverrover sur la Planète rouge baptisé Rosalind Franklin. Quel est le rapport ? La mission principale du robotrobot est de rechercher des traces de vie, pourquoi pas de l'ADN et d'étudier l'histoire de l'eau sur cette planète.