Sous l’égide du Muséum national d’histoire naturelle et de l’Institut de recherche pour le développement de Pro-Natura International, 160 scientifiques se sont mobilisés pour effectuer un inventaire de référence sur la biodiversité d’une île du Pacifique Ouest, l’île d'Espiritu Santo.

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    Trois nouvelles espèces de rhinogrades ont été découvertes par une équipe de chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle. © Futura-Sciences/Dunod

    Trois nouvelles espèces de rhinogrades ont été découvertes par une équipe de chercheurs du Muséum national d’histoire naturelle. © Futura-Sciences/Dunod

    Lors de cette expédition, le professeur Jean-Noël Labat, botanistebotaniste au Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle, a ramené des échantillons de bois. Ce n'est que plus tard qu'il porta son attention sur des trous. Ces perforations du bois étaient en fait de grosses galeries de 1 à 3 cm de diamètre, au fond desquelles il finit par trouver, à sa grande surprise, sept spécimens de petits mammifères au neznez en forme de mèche de bois, suspectés d'être de la famille des rhinogrades. Une analyse conjointe des collègues de l'INSEMR, a conclu à l'identification de trois nouvelles espèces de rhinogrades classées dans le même genre : Nasoperforator bouffoni, Nasoperforator boucheti et Nasoperforator leguyaderi.

    Interview de Guillaume Lecointre, professeur au Muséum national d'histoire naturelle, membre de l'expédition à Espiritu Santo.

    Futura-Sciences : Pouvez-vous nous décrire cette nouvelle catégorie de rhinogrades ?

    Guillaume Lecointre : C'est une grande première ! C'est la première fois que nous trouvons un mammifère, et même un vertébré capable de forer à l'aide d'un mouvementmouvement rotatif. C'est un petit mammifère de la taille d'une grosse souris. Comme chez beaucoup de rhinogrades la tête est grande en proportion du corps, du fait que le nez est utilisé, dans ce groupe, pour des modalités diverses de déplacement ou de prédation. Ici le nez est en forme de mèche à bois, l'animal fonctionnant alors comme une sorte de chignole. Comme il creuse des tunnels dans le bois, ses yeuxyeux et ses oreilles sont petits. Le cou est court et robuste, les membres antérieurs sont quasiment solidaires de la tête. Tout le corps, en particulier la colonne vertébralecolonne vertébrale robuste et souple à la fois, est en quelque sorte investi dans la fonction rotative capable de transférer toute la force de l'animal dans son nez. Les membres sont orientés de manière à prendre un solidesolide appui sur les parois du tunnel.

    Quelle est leur anatomie ?

    Guillaume Lecointre : Ce qu'il a de remarquable ici, c'est une extension sur la région nasale du tissu capable de fabriquer ce qu'il y a de plus dur chez un vertébré : l'émailémail. Le nez est vrillé et couvert d'émail ; c'est, en quelque sorte, une énorme dent-mèche à bois.

    Dans quel milieu naturel pouvons-nous le rencontrer ?

    Guillaume Lecointre : Pour le moment, il s'agit de milieux forestiers tropicaux situés sur des îles. On sait que les rhinogrades sont originaires des îles pacifiques Aïe aïe aïe aujourd'hui disparues. L'hypothèse la plus plausible est que des hommes aient pu transporter des rhinogrades dans le bois de leurs pirogues, et surtout dans le bois des grands navires explorateurs du passé, d'une île à l'autre. Nous avons retrouvé des trous similaires à ceux des bois de Santo dans le bois des épaves de La Boussole et de L'Astrolabe, navires de l'expédition de La Pérouse. Ces navires ayant été rares dans le passé, on peut dire que les rhinogrades, que l'on croyait disparus, doivent être extrêmement rares aujourd'hui.

    Quelles sont ses habitudes alimentaires ?

    Guillaume Lecointre : Là aussi, c'est une première : c'est le premier mammifère xylophage, c'est-à-dire mangeur de bois ! Les copeaux de bois sont naturellement orientés vers la bouche. L'animal possède dans son tube digestiftube digestif des micro-organismesmicro-organismes capables de digérer les composants chimiques complexes du bois. On connaît déjà bien ce genre de symbiose chez les insectesinsectes xylophages ; il est intéressant de constater qu'elle s'est produite aussi chez les mammifères.

    Cette espèce peut-elle se développer en Europe ?

    Guillaume Lecointre : Probablement pas. Les rhinogrades n'ont jamais été exposés aux rigueurs hivernales. L'hibernation n'est certainement pas dans leurs capacités d'acclimatation, ni d'adaptation : nous ne les connaissons que des îles tropicales.

    Est-il possible de voir en France des spécimens de rhinogrades de cette expédition ?

    Guillaume Lecointre : Oui, dans une exposition située dans la galerie des animaux disparus, à la Grande Galerie de l'évolution du Muséum national d'histoire naturelle au jardin des Plantes à Paris, à partir du 1er avril.