Sais-tu quel animal malicieux et proche cousin de l’humain est capable de fabriquer des outils ? Aujourd’hui on va parler du chimpanzé dans Bêtes de science.


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    Nous voici en Tanzanie, tout près du lac Taganyika, au cœur de la forêt. Nous sommes en 1960, la forêt est encore préservée, elle vibre du bruissement de chaque vie qui la peuple. On entend le roulis de l'eau et le souffle du vent. On entend les feuilles se mouvoir lentement. On entend les oiseaux, les serpents, les insectes - chaque vie, même la plus infime, participe au charivari de la cacophonie tropicale. En levant la tête, en retenant ton souffle, en disparaissant dans la forêt épaisse, peut-être auras-tu le privilège d'apercevoir entre les branches, une ombre, une main, un bras, ou - qui sait ? - un sourire.

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    Le chimpanzé : un primate très humain

    Ces formes furtives, qui décampent à une vitessevitesse telle qu'on croit les avoir rêvées, sont des chimpanzés sauvages. Attendons-les ici même, c'est leur point de rendez-vous habituel, et ils ne devraient plus tarder... Regarde, juste là. Les voici ! Le grand chimpanzé à barbe blanche qui s'avance d'un pas décidé ; c'est David Greybeard, le patriarche du groupe. Il mâchouille tranquillement ce qui ressemble à des feuillages. Les autres chimpanzés, sur ta droite, sont eux en pleine séance d'épouillage. Mais oui, regarde bien : assis les uns derrière les autres, ils parcourent le pelage de leurs congénères à la recherche de petites bêtes. C'est surtout pour eux le moyen de renforcer leur lien, et de se détendre. Même Mister McGregor, le mâle adulte au caractère bien trempé, se laisse volontiers épouiller ! 

    Tu entends ce son ? C'est le rire de Flo, la matriarche. On la reconnaît facilement grâce à son neznez en forme de patate et à sa mine toujours joviale. Elle joue avec sa fille, la malicieuse Fifi, un bébé chimpanzé absolument adorable qu'elle tient à bout de bras et fait valser de gauche à droite. Souvent, en journée, les chimpanzés se déplacent en petits groupes, pour chercher de la nourriture et s'adonner à leurs activités quotidiennes, avant de rejoindre la cime des arbres le soir venu, pour y constituer leur nid douillet. Leurs longs bras et leurs pieds dotés de pouces opposables (comme les pouces de ta main, qui te permettent de former une pince) les rendent incroyablement agiles dans les arbres. Oh, il semblerait que quelque chose les ait effrayés, les voici qui décampent à toute vitesse pour rejoindre les hauteurs de la forêt. Peut-être nous ont-ils démasqués. 

    Un cousin proche et pourtant menacé

    Les chimpanzés ont la peau noire, rose, tachetée par endroits, et sont recouverts d'un pelage noir et dru. Leurs arcades sourcilières saillantes encadrent de petits yeuxyeux brillants d'intelligenceintelligence. Ils mesurent entre 1 mètre 50 et 1 mètre 70, ont de petits corps trapus, qu'ils balancent en adoptant tantôt une démarche à quatre pattes tantôt une démarche bipède, un brin maladroite. Eh oui, les chimpanzés se déplacent parfois sur deux pattes et nous sont de ce fait étrangement familiers. Pour cause, il existe deux espèces de chimpanzés : les bonobos, au nom latin Pan paniscusPan paniscus, et les chimpanzés communschimpanzés communs que nous sommes en train d'observer, les Pan troglodytes. On les retrouve dans de nombreux pays d'Afrique centrale, de l'Est à l'Ouest. Et il faut savoir qu'ils partagent avec nous plus de 98 % de leur génomegénome

    Le génome c'est l'ensemble des informations contenues dans chacune des cellules de ton corps. Chez nous, on le retrouve sous la forme d'une moléculemolécule baptisée « ADNADN ». Chaque information y est « codée » sous la forme d'une ou de plusieurs unités, de petites briques, que l'on appelle des gènesgènes. Pour faire simple, l'ADN est un peu comme une gigantesque bibliothèque où chaque livre, chaque gène ou collection de gènes, détermine un trait particulier chez toi, comme la couleurcouleur de tes yeux, de tes cheveux ou encore l'emplacement de tes fossettes. C'est cet ADN qui est presque identique entre nous, Homo sapiensHomo sapiens sapiens, et le chimpanzé.

    Pourtant, malgré notre ressemblance, le chimpanzé n'est pas épargné par les activités humaines. Aujourd'hui, en 2023, nombre de scientifiques constatent que les populations de chimpanzés déclinent partout en Afrique. Cibles du braconnage, les chimpanzés sont également victimes de la réduction inlassable de leur habitat. Petit à petit, les activités minières, industrielles et agricoles grignotent la forêt. Les chimpanzés, acculés, survivent dans des îlots de verdure menacés. Au-dehors, ils n'ont aucune perspective de survie. Il est donc primordial de protéger le monde dans lequel nous vivons. Car nous, il ne nous appartient pas, nous le partageons, et la survie des autres êtres vivants qui l'habitent dépend de nos actions. 

    Jane Goodall sur les traces des chimpanzés

    La première étude au long courslong cours sur des chimpanzés sauvages a été menée en 1960, dans la forêt de Gombe où nous nous trouvions à l'instant, par Jane Goodall. Une jeune britannique de 26 ans, qui n'était jamais allée à l'université et qui allait pourtant bouleverser le monde scientifique avec ses recherches. En 1960, donc, Louis Leakey, dont elle est la secrétaire, lui propose d'aller étudier les chimpanzés dans leur milieu naturel. À l'époque, on ne sait rien ou presque, sur la vie des chimpanzés sauvages. Jane n'hésite donc pas une seule seconde : vivre dans la forêt avec les animaux sauvages, c'est pour elle un rêve d'enfant. Elle embarque pour l'aventure sans savoir que sa vie s'apprête à changer à tout jamais. 

    Il aura fallu des heures d'attente interminables, des poursuites sans fin dans la forêt, des nuits innombrables à la belle étoileétoile, pour que Jane parvienne enfin à se faire accepter par un groupe de chimpanzés sauvages. D'abord méfiants, les grands singes finissent par adopter ce primate étrange aux cheveux blonds, à la peau blanche et à la curiosité tenace. Et peu à peu, voyant que chacun d'entre eux a une personnalité qui lui est propre, Jane leur donne de petits noms. Pour le patriarche à barbe blanche, reconnaissable entre mille, ce sera David Greybeard. Pour le mâle un brin colérique, Mister Mc Gregor, et pour la matriarche qui ne lâche jamais son adorable bébé : Flo ! Quant au bébé, quoi de plus mignon que le doux nom de Fifi ? 

    Quand les animaux utilisent les outils

    Une petite routine s'installe : tous les matins Jane retrouve le groupe de chimpanzés, et les observe des heures durant. Ce qu'elle a noté minutieusement dans son carnet est passionnant : habitudes alimentaires, comportements, traits de caractère, aires de répartitionaires de répartition géographique. Mais pour autant, il lui manque encore quelque chose d'exceptionnel. Quelque chose qui puisse justifier de rester à Gombe et de continuer à vivre ce rêve éveillé. Ce qu'il faut à Jane, c'est une grande découverte. Et la grande découverte a lieu. Un jour semblable à tous les autres, Jane est en train d'observer ce cher David Greybeard, qui a toujours été le moins farouche et peut-être le plus curieux vis-à-vis d'elle. La nuit-même il est venu jusqu'au campement de Jane pour subtiliser quelques bananesbananes. Oui, les chimpanzés sont parfois de petits chapardeurs. Mais aujourd'hui, David Greybeard semble envisager un encas un peu plus original.

    Juste à côté de lui, une termitière concentre toute son attention. Il l'ausculte sous tous les angles, fait des va-et-vient. Puis soudain, David Greybeard se saisit d'une branche, en retire les feuilles, pour ne garder que la tige et plonge cette longue brindille dans l'une des galeries de la termitière. Au moment de tirer la tige à lui, de nombreux insectes sont emportés par le mouvementmouvement et David engloutit en une bouchée sa brochette de termites improvisée. Jane, à quelques mètres à peine, n'en croit pas ses yeux. Elle murmure à Hugo Van Lawick, le caméraman qui filme la scène, « C'est incroyable ! ». Car, en transformant cette tige en canne à pêchepêche à termites, David vient de fabriquer un outil, là, juste sous leurs yeux. Alors que jusqu'à présent, la fabrication d'outils était considérée comme quelque chose d'exclusivement humain. 

    On pensait en effet qu'Homo sapiens sapiens était le seul être vivant suffisamment intelligent pour transformer quelque chose de naturel, comme une brindille, en outil, comme une canne à pêche à termites. Le lendemain, Jane observe avec surprise toute la tribu se mettre à l'ouvrage et attaquer en groupe la termitière à l'aide des fameuses cannes à pêche. Manifestement, David Greybeard leur a transmis son astuce ! La découverte de la jeune primatologue, c'est-à-dire celle qui étudie les primates, ébranle le monde entier et amène la communauté scientifique à revoir sa définition de l'humanité. Oui, rien que ça ! Les nombreuses études menées depuis nous ont permis d'apprendre que les chimpanzés utilisent régulièrement des outils - comme des pierres qui leur servent de marteaux pour ouvrir des noixnoix par exemple - communiquent entre eux de façon complexe, possèdent une mémoire immédiate extraordinaire, transmettent des savoirs et des techniques (c'est pourquoi on parle de culture !) et, sont capables d'innover pour trouver une solution à un problème, de se soigner grâce aux plantes ou encore de comprendre les intentions de leurs congénères. Alors, pas si bête le chimpanzé !

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