Un gain de précision dans l'analyse des roches lunaires et terrestres au niveau d'un isotope de l'oxygène confirme tout à la fois le scénario de formation de la Lune mais remet en cause celui de l'origine de l'eau des océans. La Terre aurait gardé la majorité de son eau malgré la chaleur colossale de sa collision avec Théia il y a environ 4,5 milliards d'années.

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    D'où vient l'eau des océans de la Planète bleuePlanète bleue ? Il y a environ 40 ans, il n'était pas rare d'invoquer en premier lieu le volcanisme comme explication de l'origine de l'eau de la Terre dans des cours de géologie, comme par exemple dans le célèbre Earth de Frank Press et Raymond Siever. L'hypothèse était convaincante, du moins en apparence, car nous savons bien que les volcans peuvent émettre d'importantes quantités de vapeur d'eau. Les géochimistes peuvent le démontrer en analysant par exemple la composition des fumerolles sur la lèvre du cratère de La Fossa qui se trouve sur l'île éolienneéolienne de VulcanoVulcano. Nous savons aussi que la Terre s'est formée à partir d'un matériaumatériau chondritique similaire à ceux de certaines météoritesmétéorites qui contiennent de l'eau ; aujourd'hui, il existe des preuves de l'existence d'importantes quantités d'eau dans le manteau de la Terre.

    On pouvait donc avancer qu'au tout début de l'HadéenHadéen, voilà plus de 4 milliards d'années, du fait d'une activité volcanique beaucoup plus intense qu'aujourd'hui, le manteaumanteau de la Terre avait subi un phénomène de dégazagedégazage ayant conduit à l'émissionémission d'importantes quantités de vapeur d'eau qui se sont ensuite condensées en pluies diluviennes pour former les océans de notre planète.

    Théia, la planète qui serait entrée en collision avec la Terre

    Toutefois, ce scénario allait devenir de plus en plus problématique à partir des années 1980 en raison d'un article publié une dizaine d'années avant par William K. Hartmann et Donald R. Davis dans le célèbre journal Icarus. Les deux hommes s'y montraient inspirés par les travaux concernant la formation des planètes du Système solaireSystème solaire issus de l'école soviétique menée par Viktor Safronov et par les données cosmochimiques fournies par l'analyse des roches ramenées par les missions ApolloApollo et des météorites trouvées sur Terre. En s'appuyant sur ces recherches, Hartmann et Davis avaient élaboré une théorie concernant l'origine de la LuneLune. Alastair G.W. Cameron et William R. Ward étaient également arrivés à des conclusions similaires au même moment.

    Selon les travaux de ces quatre chercheurs, quelques dizaines de millions d'années après le début de la formation du Système solaire, il y a 4,56 milliards d'années, une petite planètepetite planète de la taille de Mars baptisée ThéiaThéia, en souvenir de la divinité grecque mère d'Hélios (le SoleilSoleil) et de Séléné (la Lune), serait entrée en collision avec la proto-Terre. Les débris de cette collision auraient ensuite donné naissance à la Lune dans le disque formé autour de la jeune Terre. La mécanique céleste nous dit en effet qu'une collision est bien plus probable qu'une capture de la Lune par la Terre.

    Une vue d'artiste de la collision de Théia avec la jeune Terre. Sur cette image, Théia est plus grosse que Mars, ce qui apparaît maintenant comme possible. © Ron Miller

    Une vue d'artiste de la collision de Théia avec la jeune Terre. Sur cette image, Théia est plus grosse que Mars, ce qui apparaît maintenant comme possible. © Ron Miller 

    L'hypothèse fut accueillie avec scepticisme et elle n'a vraiment commencé à faire son chemin qu'à partir d'une conférence sur l'origine de la Lune en 1984 à Hawaï. Celle-ci donna lieu à la publication d'un livre en 1986, qui est depuis devenu une référence sur ce sujet. Dès lors, l'hypothèse de l'impact géant est devenue standard, et de nombreuses simulations numériquessimulations numériques à son sujet ont vu le jour, notamment celle de Robin Canup dans les années 1990. Seulement voilà, le choc entre Théia et la Terre a dû être si violent que l'énergieénergie libérée aurait tellement chauffé la Terre et le matériau à l'origine de la Lune que toutes les deux auraient dû perdre une bonne partie de leurs composants volatils et en particulier... l'eau. C'est pourquoi on a invoqué un apport plus tardif de l'eau des océans en provenance de l'espace, par exemple avec l'eau des comètescomètes ou celle contenue dans des micrométéorites. Toutefois, les données de la cosmochimie et de la géochimie sont venues par la suite compliquer ce tableau. Depuis deux décennies au moins, le débat dure quant à savoir si l'eau de la Terre vient réellement de l'espace (mais apportée exactement comment ?) ou si elle ne viendrait pas finalement d'un dégazage primitif.

    Le problème rencontré par les spécialistes de la cosmogonie du Système Terre-Lune est d'autant plus épineux que l'analyse des abondances de certains isotopesisotopes contenus dans les roches lunaires et terrestres a montré de telles similitudes qu'il aurait fallu en conclure que Théia et la Terre avaient une composition quasi identique. Ce qui est difficile à avaler étant donné qu'elles ont dû se former dans des régions différentes du disque protoplanétairedisque protoplanétaire.

    C'est pourquoi on a proposé plusieurs scénarios conduisant à une homogénéisation des matériaux laissés par l'impact et qui vont former la Lune, par exemple en raison d'échanges entre la surface d'un océan de magmamagma sur Terre et la matière vaporisée de Théia alors en orbiteorbite.


    Les explications de Richard Greenwood. Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © OUresearch on YouTube

    70 à 95 % de l'eau de la Terre daterait d'avant la formation de la Lune

    Un nouveau rebondissement dans la saga des théories de l'origine des océans et de la Lune vient de se produire suite à la publication dans Science Advances d'un article d'une équipe internationale de chercheurs dont font partie le Français Jean-Alix Barrat de l'université de Bretagne Occidentale et le Britannique Richard Greenwood de l'Open University).

    Avec leurs collègues, les chercheurs ont déterminé avec une plus grande précision les abondances de l'isotope 17 de l'oxygène dans une série d'échantillons provenant d'une cinquantaine de roches lunaires d'une part, fournie par la NasaNasa, et des basaltesbasaltes tholéiitiques, les fameux MORBMORB (MORB = basalte de dorsale, de l'anglais Mid Ocean Ridge Basalt) qui constituent les fonds océaniques d'autre part, fournie cette fois-ci par l'université de Brest et provenant des missions océanographiques de l'Ifremer.

    Des différences de l'ordre de trois à quatre millionièmes au niveau des abondances de 17O ont bien été découvertes mais elles sont si faibles qu'elles vont bien dans le sens d'une remarquable homogénéisation entre la composition de l'intérieur de la Terre et de la Lune. Sauf que ce résultat est dérangeant pour le modèle standard de la collision entre Théia et la Terre bien qu'il le conforte par un autre côté. En effet selon les chercheurs, cela impliquerait que seulement de 5 à 30 % de l'eau de la Terre pourrait provenir d'un apport ultérieur à cette collision et donc que la majorité de l'eau actuelle de la Terre était présente avant cet évènement catastrophique. C'est cette fois-ci la petite différence de composition qui nous dit que de l'eau provenant de météorites ou de comètes s'est bien retrouvée ensuite dans le manteau de la Terre (hypothèse du « late veneer » c'est-à-dire de l'apport tardif) du fait de la tectonique des plaquestectonique des plaques. Mais si toute l'eau en provenait, on ne devrait pas avoir une signature isotopique si proche de celle de la Terre pour l'eau du manteau lunaire.

    Reste à comprendre comment la chaleurchaleur de la collision n'a pas conduit à son évaporation quasi complète dans l'espace interplanétaire... La réponse pourrait nous aider à comprendre certains des facteurs qui permettent à des exoplanètesexoplanètes d'avoir elles aussi des océans, une information importante pour les exobiologistes.