Au royaume de Pluton, plus gros objet connu de la ceinture de Kuiper, les corps célestes d'un diamètre inférieur à deux kilomètres sont plus rares que prévu, d'après les cratères d'impact ponctuant cette planète naine, et sa lune, Charon. Cette découverte encourage à réécrire l'histoire de ces objets et renforce leur statut de reliques datant de la naissance du Système solaire.


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    En étudiant les cratères marquant la surface de PlutonPluton et de sa compagne CharonCharon, une équipe dirigée par la planétologue Kelsi Singer au Southwest Research Institute, à Boulder, dans le Colorado, a pu se faire une petite idée de la population encore bien mystérieuse de la ceinture de Kuiper s'étendant au-delà de l'orbite de NeptuneNeptune. Constatant un manque surprenant de cratères d'impact de faible dimension sur Pluton et sur sa plus grosse lune, les chercheurs en déduisent que les petits corps, entre 90 mètres et 1,6 kilomètre de diamètre environ, seraient rares dans la ceinture de Kuiper, contrairement à ce que prévoyaient les modèles. L'étude a été publiée dans le journal Science.

    Aussi qualifiée de royaume de Pluton, puisque cette planète naine de 2.370 kilomètres de diamètre en est le plus gros astre connu, la ceinture de Kuiper est un anneau de corps glacés, restés pratiquement inchangés depuis la formation du Système solaire. La plupart des objets qui y ont été découverts mesurent entre 100 et 300 kilomètres de diamètre. On en connaît très peu de moins de 100 kilomètres de diamètre car ils sont trop lointains pour être vus par les télescopestélescopes terrestres, d'où la méthode détournée utilisée par les chercheurs. Les cratères permettent de dater les surfaces des corps célestes, mais aussi de mieux connaître les objets qui ont peuplé leur environnement et qui leur ont infligé ces cicatricescicatrices.

    Le saviez-vous ?

    Plus de 2.000 objets de la ceinture de Kuiper ont été découverts. Il en existerait des centaines de milliers d'autres d'un diamètre supérieur à 100 kilomètres et des milliards d'un diamètre de l'ordre du kilomètre.

    Un déficit de petits cratères, donc de petits impacteurs

    Les objets de la ceinture de Kuiper pour lesquels nous bénéficions d'images en haute résolutionrésolution, utilisables pour analyser leurs surfaces cratérisées, se comptent sur les doigts d'une main : la sonde New HorizonsNew Horizons a survolé Pluton et Charon en 2015, avant de visiter plus récemment l'astéroïdeastéroïde Ultima ThuléUltima Thulé, le premier jour de l'an 2019. Les images de ce dernier nous parviennent au fur et à mesure.

    En traversant le système plutonien, New Horizons a révélé des reliefs inédits et inattendus. D'immenses montagnes de glace d'eau, potentiellement des cryovolcans, des glaciersglaciers d'azoteazote, des plaines jeunes, comme Sputnik Planitia âgée de moins de 10 millions d'années, côtoyant des régions datées de 4 milliards d'années, sur Pluton, que l'on pensait géologiquement inerte. De gigantesques canyons, des montagnes de trois à quatre kilomètres de haut, sur Charon, dont la surface couverte à majorité de glace d'eau, très cratérisée et âgée de 4 milliards d'années, est mieux préservée que celle de Pluton.

    Exemple de cratères à la surface de Charon, dans la plaine <em>Vulcan Planitia</em> vue par la caméra <em>Long Range Reconnaissance Imager</em> (Lorri) de la sonde New Horizons lors de son survol du système plutonien en 2015. © NASA/JHUAPL/LORRI/SwRI
    Exemple de cratères à la surface de Charon, dans la plaine Vulcan Planitia vue par la caméra Long Range Reconnaissance Imager (Lorri) de la sonde New Horizons lors de son survol du système plutonien en 2015. © NASA/JHUAPL/LORRI/SwRI

    Les chercheurs se sont concentrés sur les régions datées de 4 milliards d'années, surtout sur la surface de Charon, puisque sur Pluton tout particulièrement, certaines régions ont été renouvelées dans un passé proche, par les cryovolcans et d'autres processus géologiques, faisant disparaître les traces d'anciens impacts. Ils ont relevé typiquement de grands cratères, formés par des objets entre 300 mètres et 40 kilomètres de diamètre, plus petits que la plupart des objets de la ceinture de Kuiper connus.

    Les chercheurs ont observé relativement peu de cratères de moins de 13 kilomètres de diamètre, par rapport aux cratères larges. Ce déficit « ne peut être expliqué uniquement par un renouvellement de la surface », écrivent les chercheurs dans leur article. Il traduit un manque d'objets, ou impacteursimpacteurs, de petite taille, en l'occurrence de moins de deux kilomètres de diamètre, au sein de la ceinture de Kuiper, susceptibles de percuter les autres corps qui y résident. « Les résultats préliminaires venant d'Ultima Thulé confortent cette découverte », divulgue Kelsi Singer dans un communiqué du Southwest Research Institute.

    L'histoire de la ceinture de Kuiper change

    Les corps glacés de la ceinture de Kuiper seraient des planétésimaux, vestiges de la naissance du Système solaire. Ils devaient s'agglutiner pour donner à la longue des planètes. Lors de ce processus, les corps que l'on connaît aujourd'hui, de taille modeste mais respectable, ont réussi à se former, en général de quelques centaines de kilomètres de diamètre, voire plus comme Pluton (2.370 km) ou encore la planète naine ÉrisÉris (2.326 km).

    Des vestiges de la naissance du Système solaire

    Des modèles d'évolution de la ceinture de Kuiper prévoient que ses habitants se fragmentent par collision. Cependant, en indiquant que les petits objets sont chose rare, les résultats de l'étude de Kelsi Singer et ses collègues vont à l'encontre de ces modèles. Ils suggèrent au contraire que ces objets transneptuniens, comme on appelle tous les corps situés au-delà de Neptune, ont subi moins de collisions qu'attendu et qu'ils sont restés relativement intacts, conservant leur taille, depuis les débuts du Système solaire à maintenant.

    À la lumièrelumière de cette étude, il apparaît que la ceinture de Kuiper abrite moins de petits corps que la ceinture principale d'astéroïdes, entre Mars et JupiterJupiter. Un constat qui peut s'expliquer par une évolution différente : « la population [de la ceinture d'astéroïdesceinture d'astéroïdes] subit peut-être davantage de collisions, qui ont fragmenté les corps plus larges », présume Kelsi Singer.