Il y a un peu plus d'un an, en février 2016, les équipes en charge de l'instrument Ligo annonçaient la première détection directe d'ondes gravitationnelles. Un mois plus tard, certains chercheurs expliquaient que Ligo a pu détecter de cette manière des trous noirs primordiaux, créés juste après le Big Bang. L'hypothèse aurait de quoi expliquer une partie de la masse manquante de l'univers, attribuée à la mystérieuse matière noire. L'astrophysicien Richard Taillet nous avait confié sa réaction.

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    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 16 mars 2016

    Le trou noir le plus courant résulte de l'effondrementeffondrement gravitationnel d'une étoile, avec une masse comprise entre celle de Chandrasekhar et une centaine de fois celle du Soleil. Au cœur des grandes galaxies en existent des versions bien plus grandes, appelées trous noirs supermassifs et contenant quelques millions ou quelques milliards de masses solaires. Mais leur origine est encore inconnue.

    Toutefois, de la fin des années 1960 au début des années 1970, les deux grands leaders de l'astrophysiqueastrophysique et de la cosmologiecosmologie relativiste russe, Yakov Zel'dovich et Igor Novikov, ainsi que Stephen HawkingStephen Hawking, ont commencé à étudier une possibilité fascinante. Des trous noirs de masses très variées auraient pu se former au tout début de l'histoire de l'universunivers observable.

    Dans le cadre des modèles cosmologiques de type Big Bang, la densité « initiale » du cosmoscosmos est en effet très grande. D'après les équationséquations tentant de décrire l'état de la matièreétat de la matière et du champ de gravitationgravitation proche de la singularité cosmologique initiale en relativité généralerelativité générale classique, l'Univers était alors très turbulent, avec des fluctuations chaotiques de sa métrique et de sa densité. C'est ce que montrent les travaux de Misner (c'est le modèle dit de mixmaster univers), ainsi que de Belinsky, Khalatnikov et Lifchitz.

    Quelques physiciens célèbres de l'école russe. En haut et de gauche à droite : Gershtein, Pitaevskil, Arkhipov, Dzyaloshinskil. En bas et de gauche à droite : Prozorova, Aleksei Abrikosov, Khalatnikov, Lev Davidovich Landau, Evgenii Mikhailovich Lifchitz. © AIP

    Quelques physiciens célèbres de l'école russe. En haut et de gauche à droite : Gershtein, Pitaevskil, Arkhipov, Dzyaloshinskil. En bas et de gauche à droite : Prozorova, Aleksei Abrikosov, Khalatnikov, Lev Davidovich Landau, Evgenii Mikhailovich Lifchitz. © AIP

    Des trous noirs primordiaux de 10 à 100 masses solaires

    Dans ces conditions infernales, si une fluctuation de densité devient telle qu'une masse donnée passait par compression sous son rayon de Schwarzschildrayon de Schwarzschild, il en résultait un minitrou noir ayant le même rayon. On peut ainsi prévoir l'apparition des minitrous noirs de masse aussi faible que la masse de PlanckPlanck (Mp=10-5 g) mais aussi d'astresastres beaucoup plus massifs contenant par exemple 105 masses solaires.

    Le spectrespectre de ces masses, et donc les abondances de trous noirs primordiaux reliques dans l'univers, dépendent des conditions de la naissance du cosmos observable. Ce spectre reste inconnu mais des contraintes peuvent être posées, par exemple en étudiant les fluctuations du rayonnement fossilerayonnement fossile, les grandes structures formées par les amas de galaxiesamas de galaxies... et la matière noirematière noire. En effet, ces trous noirs primordiaux sont des candidats naturels pour expliquer l'existence d'au moins une partie de celle-ci puisqu'ils ne rayonnent pas.

    Enfin presque, puisque si l'on en croit les travaux de Stephen Hawking, les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique les font se comporter comme des objets chauds dont la température est inversement proportionnelle à leur masse. Un trou noir de masse stellaire est en fait particulièrement froid puisque sa température devrait être d'environ un millionième de kelvinkelvin. Des minitrous noirs de la masse d'une montagne devraient être beaucoup plus chauds et devraient de nos jours s'évaporer en perdant leur masse sous forme de rayonnement si rapidement qu'ils apparaîtraient comme de brusques explosions. D'autres minitrous noirs moins chauds devraient aussi se manifester par des effets de lentilles gravitationnelles conséquents.

    Les différents phénomènes associés à l'existence de minitrous noirs ont fortement contraint l'hypothèse selon laquelle la matière noire pourrait s'expliquer en invoquant ces objets. En fait, actuellement, il semble que l'hypothèse reste viable si leurs masses sont comprises pour l'essentiel, entre dix et cent masses solaires environ.

    On pourrait penser que cette contrainte est tellement forte qu'elle rend l'hypothèse très improbable. Mais il en est peut-être tout autrement d'après un article déposé sur arXiv par une équipe d'astrophysiciensastrophysiciens dont le prix Nobel de physiquephysique Adam Riess.


    Selon les calculs et les observations, il existerait dans l'espace une grande quantité de matière invisible. Cette masse mystérieuse, baptisée matière noire, est encore aujourd'hui une énigme à laquelle se frottent de nombreux chercheurs. Dans le cadre de sa série de vidéos Questions d’experts, sur la physique et l’astrophysique, l’éditeur De Boeck a interrogé Richard Taillet, chercheur au LAPTH, afin qu'il nous en dise plus sur cette matière noire. © De Boeck

    Pas de matière noire au LHC ?

    Les chercheurs ont visiblement été inspirés par l'annonce de la premère détection directe d'une onde gravitationnelleonde gravitationnelle. La découverte de GW 150914 a beaucoup surpris car tout semble indiquer qu'elle provient de la fusionfusion de deux trous noirs dont chacun présente une masse d'environ 30 fois celle du Soleil. Or, on s'attendait à des valeurs moitié moindres, en se fondant, notamment, sur les rares trous noirs stellairestrous noirs stellaires connus. On estime actuellement qu'il doit se produire entre 2 et 53 événements similaires par an dans un volumevolume de 1 Gpc3 (1 Gpc = 3,26 milliards d'années-lumièreannées-lumière).

    LigoLigo aurait-il fait d'une pierre deux coups en ouvrant l'ère de l'astronomie gravitationnelle et en déterminant la nature de la matière noire ? Selon Riess et ses collègues, c'est bien possible. Déjà, la bande de masses autorisées contient bien les masses déduites du signal de GW 150914. Enfin, modulo des incertitudes sur les taux de formation de trous noirs binairesbinaires et leur fusion finale dans les halos galactiques, la fréquencefréquence de ces événements, si la matière noire est bien faite de trous noirs primordiaux, semble compatible avec celle déduite de la découverte de Ligo. Si tel est bien le cas, c'est une révolution en cosmologie, mais elle ne sera peut-être pas du goût des chercheurs pour qui la matière noire est composée de particules que pourrait générér un accélérateur, en particulier le LHC.

    Futura-Sciences a demandé à Richard Taillet, l'un des spécialistes français de la matière noire, ce qu'il pensait de l'hypothèse de ses collègues. Il y voit une illustration de plus que la découverte de Ligo ouvre une nouvelle fenêtrefenêtre en astronomie et, surtout, que « si la matière noire est effectivement constituée de trous noirs primordiaux de cette masse, ça serait un énorme coup de pied dans la fourmilière ! ». Le chercheur estime qu'il y aura « sûrement des débats sur les hypothèses faites pour quantifier la probabilité de la fusion des trous noirs, etc., mais peu importe ! Il va falloir garder un œilœil sur le taux de coalescencecoalescence qui va être observé par Ligo et VirgoVirgo. Ce qui me semble vraiment important est que l'on va passer du stade de la découverte à celui de l'utilisation des interféromètresinterféromètres comme instruments de mesure ». En tout état de cause, l'hypothèse d'Adam Reiss et ses collègues plaît à Richard TailletRichard Taillet.