En ce début 2017, l'exploration humaine de Mars est remise en cause par la nouvelle administration des États-Unis, tandis que se prépare la mission européenne Exomars 2020, qui cherchera des traces de vie. L'étude de la Planète rouge et des conditions compatibles ou non, actuellement ou dans le passé, avec une vie semblable à la nôtre reste, quoi qu'il en soit, à l'ordre du jour. L'une des découvertes les plus curieuses de ces dernières années date de 2016 mais repose sur une observation effectuée en 2008 par le rover Spirit.
[EN VIDÉO] Mission ExoMars : en quête de vie sur la Planète rouge La mission ExoMars est parmi les plus ambitieuses jamais entreprises sur la Planète rouge. Elle a pour but d'y rechercher des traces de vies passées ou présentes. L'ESA nous offre en vidéo un avant-goût de cette mission qui s’avère passionnante.
Article publié le 22 novembre 2016
Dès 2008, les scientifiques s'étaient intéressés de près à la découverte de dépôts de silice dans le cratère Gusev sur Mars repérés par Spirit. Le rover martien venait de sortir d'une phase d'inactivité imposée par l'hiver martien et son faible ensoleillement, peu propice à alimenter en énergie ses panneaux solaires. Il s'était cependant installé sur le bord de Columbia Hills, des collines peu élevées (100 m), situées sur le plancher volcanique du cratère Gusev.
Immobilisé près d'une zone appelée Home Plate, le rover avait profité de pentes à 25° pour optimiser la recharge de ses batteries à l'aide de ses panneaux. Les 10 watts-heures par sol (le jour martien, long de 24 heures et 39 minutes) étant tout juste suffisants pour assurer la survie de Spirit pendant l'hiver. Les beaux jours revenus, la Nasa avait commandé au rover de faire demi-tour et de retourner en direction d'un lieu baptisé Tyrone (voir ci-dessous), que Spirit avait déjà traversé.
Des geyserites martiennes
Pressés par la nécessité de faire rejoindre au rover ses quartiers d'hiver, les chercheurs n'avaient alors pas eu le temps d'analyser le sol étonnamment blanc révélé par une tranchée creusée par Spirit lui-même. On savait quand même que le sol de Tyrone était riche en sulfates, des minéraux qui se forment souvent, mais pas toujours, en présence d'eau. La tranchée creusée par le va-et-vient des roues de Spirit n'avait donc fait probablement que révéler un dépôt particulier de sulfates mais l'un des géologues de l'équipe chargée de Spirit avait émis l'hypothèse qu'il pouvait s'agir de dépôts de silice. Sur place, on fit donc appel au Miniature Thermal Emission Spectrometer (Mini-TES) afin de déterminer la nature de ce mystérieux sol blanc.
Le spectre fourni par Mini-TES démontra de façon indubitable qu'il contenait de la silice pure à 90 %, un record pour ce que l'on connaissait alors du sol martien. Or, sur Terre, une telle teneur n'est possible qu'en présence d'une grande quantité d'eau chaude réagissant avec des roches, précisément ce qui se passe, par exemple, dans la source chaude bien connue de Yellowstone : Octopus spring.
Or, on savait déjà que Home Plate s'était formé à la suite d'un phénomène volcanique, probablement en présence d'eau ou de glace, pour y avoir observé des roches provenant visiblement d'une éruption, déposées sur des sédiments constitués de cendres. Les dépôts de silice, récouvrant une zone de plus de 50 m de long, confirment cette analyse. Les chercheurs avaient donc déduit qu'il s'agissait des restes d'un système hydrothermal, fait de geysers, de sources d'eau chaude et de fumerolles, très semblable à celui de Yellowstone mais aussi d'El Tatio, au Chili.
Une telle découverte a évidemment beaucoup excité des exobiologistes comme Jack Farmer. Ce dernier avait d'ailleurs fourni des échantillons rocheux en provenance de sources chaudes et de fumerolles, situées à Yellowstone et en Nouvelle-Zélande, pour calibrer Mini-TES. Parmi eux, c'est l'opale, un dépôt de silice amorphe au fond des vasques hydrothermales et constituant des geyserites, qui se rapproche le plus de la découverte de Spirit.
Les sources chaudes et les geysers d'El Tatio se trouvent dans le désert de l'Atacama au Chili. Ce désert est l'un des environnements terrestres qui ressemblent le plus à Mars. © Carlos Dupré
El Tatio, Mars sur Terre
Sur notre planète, des micro-organismes sont fréquemment associés à de tels systèmes hydrothermaux. Mieux, la finesse des dépôts en silice fait qu'ils sont d'excellents conservateurs des traces de vie microbienne. Malheureusement, les instruments de Spirit ne sont pas assez efficaces pour détecter la présence de fossiles de ce genre et il faudra attendre que des robots de la prochaine génération, en cours de développement et spécifiquement conçus pour ce genre d'analyse, rejoignent la Planète rouge.
Mais, depuis 2007, Farmer n'est pas resté inactif. Avec un collègue, il vient de publier un article intriguant dans Nature Communications.
Spirit a photographié à Home Plate des structures nodulaires et en forme de doigts dont on ne comprenait pas bien la nature en 2008. Or, selon Farmer, des structures similaires existent dans les dépôts de silice associés aux sources chaudes d'El Tatio et elles sont le produit de l'activité de micro-organismes. Comme les conditions régnant en ce lieu du désert de l'Atacama et qui président aux dépôts de silice sont assez proches de celles de Mars, il est tentant de considérer que les structures découvertes sur la Planète rouge sont bel et bien des biosignatures de formes de vie et pas le résultat de processus abiotiques.
Qu'il s'agisse vraiment de biosignatures reste à prouver mais il est incontestable qu'elles sont des cibles de choix pour un prochain rover que la Nasa veut faire atterrir sur Mars à l'horizon 2020. Il devrait préparer le retour sur Terre des échantillons qu'il collectera.