La production mondiale d'énergie nucléaire devrait être amenée à augmenter mais, pour cela, encore faut-il disposer d'assez d'uranium. Une solution possible serait d'extraire cet élément de l'eau de mer.

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    On estime qu'il existe environ 20 millions de tonnes d'or en suspension dans l'eau de l'océan mondial. Cela fait environ 13 milliardièmes de gramme d'or par litre d'eau de mer. Le prix Nobel de chimie Fritz HaberFritz Haber pensait toutefois que cette concentration était bien plus importante. Ainsi, juste après la première guerre mondiale, il avait entrepris de trouver le moyen d'extraire ce métal précieux afin de payer les sommes colossales demandées à l'Allemagne en réparation du conflit qu'elle avait déclenché.

    Malheureusement, comme il finit par s'en rendre compte quelques années plus tard, Haber avait fait une erreur d'un facteur 1.000. Du coup, sa méthode d'extraction par centrifugation devenait bien trop gourmande en énergie et son coût ne permettait pas de la faire devenir rentable. Cependant, l'idée est restée. Elle a fait l'objet d'autres travaux et, surtout, a inspiré la recherche portant sur les méthodes d'extraction d'autres éléments chimiques, ceux dont les ressources sous forme de mineraisminerais terrestres sont problématiques.

    En effet, l'un des défis futurs sera le suivant : pour limiter le réchauffement climatiqueréchauffement climatique, l'industrie mondiale devra être rapidement décarbonée, mais certains experts, comme James Hansen et Jean-Marc Jancovici, doutent fortement que cela soit possible dans les temps sans une phase de transition utilisant massivement l'énergie nucléaire en appoint à la montée des énergies renouvelablesénergies renouvelables. Alors, forcément, les travaux menés par des chercheurs de l'université Stanford (États-Unis) concernant l'extraction de l'uranium contenu dans l'eau des océans retiennent quelque peu l'attention. Ils sont publiés dans un article de Nature Energy.

    La chimiste Chong Liu examinant une électrode en carbone couverte d'amidoxime dans le cadre d'une recherche visant à améliorer l'extraction de l'uranium de l'eau de mer. © L. A. Cicero

    La chimiste Chong Liu examinant une électrode en carbone couverte d'amidoxime dans le cadre d'une recherche visant à améliorer l'extraction de l'uranium de l'eau de mer. © L. A. Cicero

    Capturer les ions uranyles grâce à l'électrochimie

    L'extraction de l'uranium contenu dans l'eau des océans est un domaine de recherche très actif dans le monde depuis quelque temps (l'idée est notamment explorée par la Chine, le Japon et les États-Unis). Il faut dire que les réserves en uranium sur les continents ne devraient durer qu'un siècle tout au plus ; celles-ci sont estimées à 7,6 millions de tonnes dans les dépôts de minerais connus. Quant aux océans, avec environ 3 milligrammes par mètre cube, ils contiendraient quelque 4,5 milliards d'uranium. Toutefois, comme dans le cas de l'or avec Fritz Haber, pour qu'un processus d'extraction d'uranium voit le jour, encore faut-il qu'il soit suffisamment peu coûteux et, surtout, qu'il permette de produire bien plus d'énergie qu'il n'en consomme.

    Dans le cas présent, les chercheurs (parmi lesquels se trouve rien de moins que le prix Nobel de physiquephysique Steven Chu) ont expérimenté une méthode électrochimique pour capturer les ionsions uranyles (UO22+) dans l'eau de mer ; les ions uranyles sont la forme la plus commune des atomesatomes d'uranium en solution. L'objectif était de faire s'adsorber ces ions sur une anodeanode en fibre de carbonefibre de carbone recouverte d'un film d'un polymèrepolymère d'amidoxime, un composé déjà utilisé pour extraire les ions uranyles.

    Une adsorption plus rapide et plus d'uranium

    L'avantage de cette méthode, avec action d'un courant électriquecourant électrique, c'est qu'elle est plus efficace. En effet, sans ce courant électrique, les autres ions à base de sodiumsodium et de calciumcalcium -- qui sont présents en plus grand nombre dans l'eau de mer -- se fixent beaucoup plus rapidement à la surface de l'amidoxime et, pour ne rien arranger, ces ions fixés repoussent électrostatiquement les ions UO22+.

    Grâce aux impulsions de courant utilisées, les ions uranyles se fixent préférentiellement. De plus, ils forment en réalité un dépôt de UO2 neutre. Au final, l'adsorptionadsorption est plus rapide, la quantité d'uranium extraite est plus importante et l'on peut réutiliser l'amidoxime un plus grand nombre de fois. Beaucoup de travail reste encore à faire pour savoir si cette découverte peut vraiment ouvrir la porteporte à des applicationsapplications industrielles.


    Nous fournir en uranium grâce aux crevettes ?

    Article de Quentin Mauguit publié le 24/08/2012

    Plusieurs mines fournissent l'uranium dont l'industrie nucléaire a besoin, mais elles risquent un jour de ne plus pouvoir répondre à la demande. Heureusement, ce métal est également présent en grande quantité dans les océans. Une moléculemolécule extraite des déchetsdéchets de crevettes produits par l'industrie agroalimentaire pourrait rendre son extraction rentable.

    L'industrie nucléaire a besoin d'un apport régulier en uranium pour fonctionner. Ce métal est actuellement extrait de mines réparties un peu partout sur la planète, notamment au Kazakhstan, au Niger, en Australie et aux États-Unis. La demande pour cette ressource terrestre ne cesse d'augmenter tant la filière nucléaire se développe, au risque de parvenir un jour à dépasser l'offre et donc à créer une pénurie. L'une des solutions envisagées pourrait provenir des océans. En effet, près de 4,5 milliards de tonnes d'uranium seraient dissoutes dans les eaux salées du globe, de quoi faire fonctionner l'ensemble du parc nucléaire mondial durant les 6.500 prochaines années.

    Malheureusement, son extraction n'est absolument pas rentable, sa concentration dans l'eau étant particulièrement faible. Chaque tonne d'eau renfermerait seulement 3,3 mg d'uranium. Plusieurs méthodes de capture ont été développées depuis les années 1960 mais sans grand succès jusqu'à présent. Seule une initiative s'est démarquée en 2003. Des Japonais sont parvenus à prélever par filtrationfiltration 1 kg du précieux métal en utilisant un tamis géant (100 m de long) immergé à 200 m de profondeur. Il se composait d'une trame faite de plastiqueplastique et d'un ligandligand spécifique. La récolte de l'uranium se faisait hors de l'eau grâce à des rinçages du tamis par une solution acideacide. L'expérience n'a pas été poursuivie tant le coût des opérations et de fabrication était important.

    Depuis, de nombreux travaux ont été menés pour améliorer cette technique (notamment en cherchant à augmenter l'efficacité du ligand, un polyacrylamidoxime) ou tout simplement à le remplacer. Robin Rogers de l'University of Alabama s'est quant à lui intéressé à la fabrication du tamis en lui-même. Ne serait-il pas possible de le construire avec un matériaumatériau moins cher, résistant dans le temps et pourquoi pas biodégradablebiodégradable ? La réponse à cette question lui est venue des poubelles de producteurs de crabes et de crevettes ! Ses travaux ont été présentés lors de la 244e rencontre de l'American Chemical Society (ACS).

    Mine d'uranium à ciel ouvert photographiée à Gas Hills dans le Wyoming aux États-Unis. En 2010, près de 13.541 t d'uranium ont été extraites de sites semblables à celui-ci. © Skytruth, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

    Mine d'uranium à ciel ouvert photographiée à Gas Hills dans le Wyoming aux États-Unis. En 2010, près de 13.541 t d'uranium ont été extraites de sites semblables à celui-ci. © Skytruth, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

    Les coûts d'extraction de l'uranium marin divisés par deux

    Les crevetticulteurs et carcinoculteurs vivant en bordure du golfe du Mexique dépensent chaque année des milliers de dollars pour se débarrasser des carapaces de leurs crustacés, un véritable gâchis. Or, ces structures biologiques sont constituées d'un polymère particulièrement résistant et surtout biodégradable : la chitinechitine. Robin Rogers a donc eu l'idée de recyclerrecycler ces déchets. Un liquideliquide « ionique », permettant d'extraire ce polysaccharidepolysaccharide directement à partir des carapaces a donc été développé. Les tests ont par la suite montré que la chitine supportait très bien les procédés de fabrication les transformant en fibres puis en tamis.

    L'utilisation de la chitine et des nouveaux ligands, ou leur remplacement par des nanomatériaux poreux faits de silice ou de carbone, permettrait de réduire par deux le coût d'extraction de l'uranium hors de l'eau de mer, faisant passer le prix du kilogrammekilogramme récolté de 990 à 560 euros. Malheureusement, ce prix est toujours 5 à 18 fois plus élevé que celui d'une extraction minière (30 à 100 euros du kg). De gros efforts restent donc à réaliser.

    Néanmoins, l'extraction d'uranium à partir des océans, plus respectueuse de l'environnement que son homologue terrestre, laisse entrevoir un avenir serein pour l'industrie nucléaire, les ressources de base ne risquant pas de manquer.