Qu'est-ce qui fait battre le "cœur" de Pluton, notamment sa moitié gauche la plaine Spoutnik dont la surface est très jeune, géologiquement parlant ? Des cellules de convection de glace d'azote qui lentement, à raison de 2 cm par an, refaçonnent cette partie de la planète naine située au-delà de l'orbite de Neptune.
Qui l'aurait cru il y a encore quelques années : Pluton arbore une des plus jeunes surfaces du Système solaire. Comme nous l'a révélé, non sans stupéfaction, la visite de New Horizons (la première à un objet de la ceinture de Kuiper), le 14 juillet 2015, l'ex-neuvième planète a un visage bariolé et taché qui témoigne d'activités géologiques récentes.
C'est sans conteste la moitié droite du cœur, une plaine baptisée Spoutnik, datée de moins de 10 millions d'années (ce qui est relativement récent pour un astre né il y a quatre milliards et demi d'années), qui est la région la plus dynamique. Comme nous l'avons vu ces derniers mois, au fil des transferts de données de New Horizons, des formations polygonales composées de glace d'azote nappent cette étendue de quelque 900.000 km2 - soit autant que la France et le Royaume-Uni réunis. À la croisée de ces structures, les images en haute résolution ont montré des jonctions en forme de X et de Y et aussi de véritables icebergs..., sans doute des montagnes (de glace d'eau sur Pluton, et non de roches) arrachées aux rivages.
Pour expliquer ces phénomènes et le resurfaçage de cette tache claire, des membres de l'équipe scientifique de la mission avaient émis l'hypothèse il y a quelque temps que cela puisse fonctionner en interne comme une lampe à lave. Deux études qui viennent de paraître dans Nature renforcent ce scénario et y apportent quelques précisions.
« Pour la première fois, nous pouvons déterminer ce que sont vraiment ces étranges zébrures sur la surface glacée de Pluton, a déclaré le principal auteur de l'une des deux enquêtes (à voir ici), William B. McKinnon, de l'université de Washington à Saint-Louis, et aussi membre de l'équipe scientifique de New Horizons. Nous avons trouvé des preuves que même sur une planète froide située à plusieurs milliards de kilomètres de la Terre, il y a suffisamment d'énergie pour une activité géologique vigoureuse, aussi longtemps que vous avez "l'étoffe", ce qui signifie quelque chose d'aussi doux et souple que de l'azote solide. »
Mosaïque des vues les plus détaillées à ce jour de la surface de Pluton, sur une bande allant d’un bord à l’autre de la face survolée par New Horizons. Les images ont été prises avec Lorri (Long Range Reconnaissance Imager), à quelque 15.850 km d’altitude. Téléchargez l’image en très haute résolution ici. © Nasa, JHUAPL, SwRI
Un cœur qui bat au rythme des lentes convections de cellules d’azote
Au moyen de simulations informatiques recoupées avec les données sur la surface collectées par la sonde spatiale, les deux équipes ont chacune de leur côté montré que les structures observées sont probablement des cellules de glace d'azote qui, par une lente (très lente) convection thermique, remontent vers la surface puis replongent doucement, en s'écoulant par les bords. Leur vitesse d'expansion est estimée à 2 cm par an au maximum, ce qui équivaut à la croissance de nos ongles. À ce rythme-là, une cellule peut être totalement renouvelée en un demi-million d'années. Un temps court à l'échelle géologique.
Les modèles indiquent également qu'elles peuvent évoluer et fusionner avec d'autres en l'espace de quelques millions d'années. Certaines bordures qui se touchent se retrouveraient abandonnées, ce qui produit les jonctions sombres en forme de X. Sous la surface, les cellules sont vraisemblablement larges et ne s'enfoncent pas très profondément, pas plus de quelques kilomètres, selon les chercheurs. Spoutnik est probablement un ancien bassin d'impact, qui s'est rempli de glace d'azote. Aux températures très basses de Pluton, sa viscosité la distingue de l'eau solide qui forme le substrat de la planète naine. Des blocs de glace, véritables icebergs, se retrouvent ainsi emportés par les courants de glace d'azote. « Si cela est vrai, explique Alex Trowbridge, jeune diplômé de l'université de Purdue, et coauteur de l'une des deux études, nous pouvons alors calculer la profondeur dont le bassin aurait besoin pour que les icebergs flottent librement sans toucher le fond. » Idem avec les cellules de convection, en utilisant le rapport entre leur largeur et leur profondeur. De cette façon, l'équipe de Jay Melosh, professeur distingué de sciences terrestres, atmosphériques et planétaires à Purdue, Indiana, a obtenu une profondeur de 5 km en se référant aux icebergs et 10 km, avec un calcul se basant sur les cellules visqueuses d'azote.
Dans le passé, « le flux de chaleur interne de Pluton a dû être plus élevé, de sorte que la convection a pu être encore plus vigoureuse, a déclaré William B. McKinnon, interrogé par le site Space.com, et a même pu conduire en profondeur à la fonte de l'azote solide qui a pu jaillir comme une lave très fluide. »
« Cette activité contribue probablement à entretenir l'atmosphère de Pluton en actualisant continuellement la surface du "cœur", conclut le chercheur. Cela ne nous surprendrait pas de voir ce processus sur d'autres planètes naines de la ceinture de Kuiper. Espérons que nous aurons une chance de le découvrir un jour avec les futures missions d'exploration. »
Le cœur de Pluton ou la région Tombaugh Le « cœur de Pluton » est une région glacée en forme de cœur et d'environ 2.000 km de large. Elle a été baptisée « région Tombaugh », du nom de Clyde Tombaugh, découvreur de Pluton en 1930 (et décédé en 1997). Le lobe ouest (à gauche de l'image) est formé de glace de monoxyde de carbone (CO) et comprend la plaine Spoutnik. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
La plaine Spoutnik, une des plus jeunes du Système solaire La plaine Spoutnik (du nom du premier satellite artificiel de la Terre, Spoutnik 1, lancé en 1957 par l'URSS), dépourvue de cratères, est une des plus jeunes du Système solaire : elle ne peut avoir plus de cent millions d'années. Des structures de 20 km environ sont entourées par des sortes de sillons, comportant par endroits de la matière sombre. On ne sait pas comment elles ont été formées. Peut-être par sublimation de glace, comme un sol de boue se craquelle après l'évaporation de l'eau. L'image a été acquise le 14 juillet par le télescope Lorri à 77.000 km de distance. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le vent de Pluton Sur la plaine Spoutnik, le télescope Lorri a repéré des formes noires sur la glace blanche, flanquées de sortes d'ombres allongées. Il s'agirait en fait de poussières emportées par le vent de l'atmosphère ténue de Pluton (un millionième de la pression terrestre). De ces taches (wind streaks sur l'image), on peut déduire la possible direction du vent (Inferred wind direction). La barre d'échelle représente 20 miles, soit 32 km. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Les deux lobes du cœur de Pluton Les deux lobes de la plaine Spoutnik vus à 450.000 km. La partie ouest (à gauche) est recouverte par une couche de glace plus épaisse qu'à l'est. Il est vraisemblable que le lobe ouest soit une sorte de réservoir et que la glace se déplace vers l'est (par l'action du vent, peut-être). Résolution : 2,2 km/pixel. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Des glaces en mouvement Au nord de la plaine Spoutnik, la glace d'azote (Nitrogen ice flow) glisse vers la région rocailleuse et cratérisée (Rugged cratered terrain). En amont, la couverture de glace est craquelée, formant des structures polygonales (Polygonal cells). La barre d'échelle indique 32 km. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Les montagnes de glace de Pluton À 77.000 km de distance, le télescope Lorri a observé d'étonnantes montagnes d'environ 3.500 m de hauteur. Elles sont faites... d'eau glacée. Les glaces d'azote et de méthane, communes sur Pluton, sont trop fragiles pour former de telles structures. Les planétologues s'interrogent sur la source d'énergie qui peut maintenir une telle activité géologique. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Les montagnes de la plaine Spoutnik Au sud de la plaine glacée Spoutnik, avec ses structures polygonales (Polygons), et au nord de la région Cthulhu, se dressent de hautes montagnes, nommées en l'honneur des deux vainqueurs de l'Everest : les monts Norgay et les monts Hillary. La couche de glace y est plus fine (thin ice sheet) et emplit un cratère (infilled crater). La barre d'échelle indique 64 km. © Nasa/JHUAPL/SwRI
De curieuses montagnes au bord d'une plaine de glace Des montagnes de glaces vues par Lorri à 77.000 km de distance, en bordure ouest de la plaine Spoutnik, de formes très variées et d'une hauteur de 1 à 1,5 km. Sans doute sont-elles faites de glace d'eau, tandis que la neige blanche est de la glace de monoxyde de carbone. Les surfaces sombres sont peut-être des dépôts de tholines. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le ciel bleu de Pluton L'atmosphère de Pluton vue en contre-jour par la caméra multispectrale MVIC de l'instrument Ralph. Les couleurs ont été reconstituées pour donner à peu près ce qu'aurait vu un œil humain. La couleur bleue viendrait de poussières faites de tholines, molécules très réactives contenant du carbone et de l'azote. © Nasa/JHUAPL/SwRI
La drôle d'atmosphère de Pluton Le vent solaire (Solar wind) heurte l'atmosphère de Pluton, qui s'étend loin du sol, produisant une onde de choc (Shock). Ce vent solaire est ralenti et dévié (Slowed and deflected solar wind). Derrière, une partie de l'atmosphère, essentiellement faite d'azote, s'échappe dans l'espace (Pluto's escaping nitrogen atmosphere). Ce schéma a été réalisé grâce aux données recueillies par l'instrument Swap (Solar Wind Around Pluto). © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le Soleil révèle l'atmosphère de Pluton L'atmosphère de Pluton paraît structurée en deux couches, visualisées ici par la coloration (fausse) : la première au-dessus de la surface (en rouge-orange) jusqu'à 50 km et la seconde à 83 km (en vert), avec une zone de transition entre les deux. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Le pôle noir du satellite Charon Vu le 13 juillet 2015 à 466.000 km, le satellite Charon (1.207 km de diamètre) montre un visage diversifié... et jeune. Sur cette image (compressée), on voit en effet peu de cratères. Des reliefs importants apparaissent, comme cet immense canyon d'environ un millier de kilomètres, visible en haut à droite de l'image, et profond, sans doute, de 7 à 9 km. Au pôle nord, une région sombre, aux bords flous (provisoirement baptisée Mordor par l'équipe de New Horizons, du nom d'une région fictive décrite dans le Seigneur des anneaux), est probablement un dépôt de matière carbonée. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Le couple Pluton-Charon Deux images montrant Charon (à gauche) et Pluton (à droite) observés le 11 juillet à 4 millions de kilomètres. La sonde New Horizons ayant survolé, le 14 juillet, la partie claire de Pluton, ici à gauche sur la planète, cette face ne sera jamais vue en meilleure résolution. De même pour Charon. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Pluton et Charon en – fausses – couleurs Des couleurs artificielles ajoutées en fonction des informations de spectrométrie montrent les compositions des surfaces de Pluton (à gauche) et de Charon (à droite) sur deux images du 13 juillet (la distance entre les deux est en réalité bien plus grande). Le cœur de Pluton apparaît en deux lobes de teintes différentes. Sur Charon, la région sombre apparaît ici rougeâtre. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Charon n'a pas d'atmosphère Quand New Horizons est passée dans l'ombre de Charon, l'instrument Alice a analysé l'occultation de la lumière solaire. La chute et la réapparition de cette lumière (courbe rouge) sont brutales. Première conclusion : Charon n'a pas d'atmosphère détectable. © Nasa/JHUAPL/SwRI
Hydre, le plus grand des petits satellites de Pluton Hydre (Hydra en anglais), repéré par le télescope spatial Hubble en 2005, n'est pas sphérique. Cette image prise par l'instrument Lorri de New Horizons à 640.000 km a permis de préciser ses dimensions : 43 x 33 km. Un pixel de l'image représente 6 km. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Nix, troisième satellite de Pluton Le télescope Lorri, à 590.000 km de distance, a pris le 13 juillet cette image de Nix, le troisième satellite de Pluton en taille, après Charon (1.200 km de diamètre) et Hydre (43 x 33 km), découvert en 2005 par le télescope spatial Hubble. Chaque pixel représente 6 km. © Nasa/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute
Les images de Pluton avant New Horizons... Des images du passé. À gauche, une cartographie réalisée en 2000 à partir de nombreuses données, dont celles de Hubble et celles venues des occultations de Pluton par Charon dans les années 1980. À droite, la meilleure représentation existant avant le survol, une cartographie réalisée grâce à l'instrument ACS installé par des astronautes sur Hubble 2002. La petite image en haut et au milieu est la photographie brute que Hubble donne de Pluton. New Horizons a complètement changé notre image de Pluton et de son monde ! © Nasa / Eliot Young, Richard Binzel, Keenan Crane, 2000 / SwRi / Montage Futura-Sciences
Pluton et le méthane gazeux En 2008, soit avant le passage de la sonde New Horizons en 2015, le spectre de Pluton avait été réalisé grâce au VLT (Very Large Telescope). Il a révélé 17 raies individuelles du méthane gazeux, permettant d'évaluer son abondance (de 0,5 % par rapport à l'azote) et sa température, environ 90 K. Cette vue d'artiste représente l'atmosphère de Pluton. À gauche se trouve Charon, principal satellite de la planète naine. © L. Calçada, ESO
Vue de la surface de Pluton avant New Horizons Les deux grandes images principales donnent un premier aperçu de la surface de Pluton. Elles ont été obtenues après traitement informatique des deux petites images du haut, réalisées en 1996 par le télescope Hubble. © Alan Stern (Southwest Research Institute), Marc Buie (Lowell Observatory), Nasa, ESA