Grâce à Hubble, c'est la première fois que des astronomes mesurent directement la masse d'une seule étoile isolée autre que notre Soleil. Il s'agissait d'une naine blanche qui leur a permis de tester notamment la relation entre la masse et le rayon de ce genre d'étoiles prédite par la théorie de la structure stellaire.


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    Pendant les premières décennies du XXe siècle, des astrophysiciensastrophysiciens, comme Arthur Eddington et Subrahmanyan ChandrasekharSubrahmanyan Chandrasekhar, ont posé les fondements de la théorie de la structure et de l'évolution stellaire, théorie qui va faire un bond de géant pendant la décennie suivant la Seconde Guerre mondiale grâce à l'astrophysique nucléaire et aux progrès de l'astronomie observationnelle, sans oublier l'arrivée des ordinateursordinateurs permettant de faire de savantes simulations numériquessimulations numériques.

    Cette théorie prédit notamment que la luminosité L d’une étoile sur la séquence principale est une fonction d’une puissance alpha de sa masse M, en gros L est proportionnelle à Mα.

    Mais comment tester par exemple cette relation (et aussi une analogue connectant cette fois-ci le rayon et la masse de l'étoile) ?

    On sait déterminer les distances des étoiles proches dans la Voie lactée par la méthode de la parallaxe, connaissant la luminositéluminosité apparente, on en déduit sa luminosité absolue, intrinsèque ... L, un peu à la façon dont on le ferait pour une bougie dont on connait la distance à nos yeux.

    Reste le problème de la masse M, comment peut-on peser une étoile ?


    Dans le vide, la lumière se déplace habituellement en ligne droite. Mais, dans un espace déformé par un corps céleste massif, comme une galaxie, cette trajectoire est déviée ! Ainsi, une source lumineuse située en arrière d’une galaxie a une position apparente différente de sa position réelle : c’est le phénomène de mirage gravitationnel et depuis quelques décennies seulement, il permet de mesurer des masses en astrophysique. Cette vidéo est originaire du webdocumentaire « L’Odyssée de la Lumière ». Pour obtenir une traduction en français assez fidèle, cliquez sur le rectangle blanc en bas à droite. Les sous-titres en anglais devraient alors apparaître. Cliquez ensuite sur l'écrou à droite du rectangle, puis sur « Sous-titres » et enfin sur « Traduire automatiquement ». Choisissez « Français ». © CEA / Animea - vidéo extraite du documentaire « L’Odyssée de la Lumière »

    Des masses d'étoiles mesurables avec des binaires visuelles

    La théorie de la mécanique céleste de Newton avait donné la réponse depuis longtemps. Il suffisait de trouver une étoile double proche avec deux étoiles formant ce que l'on appelle une binairebinaire visible, c'est-à-dire suffisamment éloignées l'une de l'autre pour que, avec un télescopetélescope pas trop puissant, on puisse déjà constater que l'on a bel et bien deux étoiles séparées qui ne sont pas noyées dans leur lumièrelumière propre au point que l'on ne puisse pas résoudre ce qui apparait comme une seule étoile à l'œilœil nu.

    Si la distance entre les étoiles n'est pas trop grande non plus, sur quelques années, on peut constater et mesurer les mouvementsmouvements orbitaux des deux étoiles et cette mesure donne accès aux masses des étoiles selon ce que l'on appelle une méthode astrométrique. En mesurant finement les positions des étoiles de la Voie lactée sur la voûte céleste au cours du temps, le satellite de la mission Gaia permet justement de faire des estimations astrométriques précises des caractéristiques de binaires visuelles.

    On avait donc testé la relation masse luminosité pour des binaires de ce genre déjà avant la Seconde Guerre mondiale comme on peut s'en convaincre en lisant les premières pages du célèbre traité de Chandrasekhar publié en 1939. Nous avons donc depuis longtemps des raisons de faire confiance à la théorie de la structure stellaire.

    Chandrasekhar s'est rendu célèbre à 20 ans en déterminant que les lois de la mécanique quantiquemécanique quantique et de la relativité restreinterelativité restreinte imposaient une masse limite pour des étoiles très denses pouvant contenir une masse solaire dans le volume d’une sphère de la taille de la Terre et que l’on appelle des naines blanches. Toutes les étoiles en dessous de 8 à 10 masses solaires se transformeront en naines blanchesnaines blanches une fois leur carburant thermonucléaire épuisé. On peut prédire aussi des relations entre la masse et la luminosité, la masse et le rayon pour les naines blanches.

    L'étude de ces relations ainsi que des masses limites des naines blanches permet donc de tester l'astrophysique des étoiles et même la physiquephysique fondamentale. Pour cela, il faut multiplier les observations et les méthodes pour ce faire afin notamment de réduire les incertitudes sur les mesures et sur les hypothèses conduisant aux modèles stellaires.

    C'est justement ce que vient de permettre de faire une équipe d'astrophysiciens avec le télescope HubbleHubble comme les chercheurs l'expliquent dans un article paru dans la célèbre revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

    Cette illustration montre comment la gravité d'une naine blanche au premier plan déforme l'espace et dévie la lumière d'une étoile lointaine derrière elle. Plus la déviation temporaire et infinitésimale de l'image de l'étoile d'arrière-plan est grande, plus l'étoile de premier plan est massive. Cet effet de lentille gravitationnelle a été prédit à la suite de la théorie de la relativité générale d'Einstein il y a un siècle. Les observations d'une éclipse solaire en 1919 en avaient fourni la première preuve expérimentale. Mais Einstein ne pensait pas que la même expérience puisse être faite pour les étoiles au-delà de notre Soleil en raison de l'extraordinaire précision requise. © Nasa, ESA, A. Feild
    Cette illustration montre comment la gravité d'une naine blanche au premier plan déforme l'espace et dévie la lumière d'une étoile lointaine derrière elle. Plus la déviation temporaire et infinitésimale de l'image de l'étoile d'arrière-plan est grande, plus l'étoile de premier plan est massive. Cet effet de lentille gravitationnelle a été prédit à la suite de la théorie de la relativité générale d'Einstein il y a un siècle. Les observations d'une éclipse solaire en 1919 en avaient fourni la première preuve expérimentale. Mais Einstein ne pensait pas que la même expérience puisse être faite pour les étoiles au-delà de notre Soleil en raison de l'extraordinaire précision requise. © Nasa, ESA, A. Feild

    Des masses mesurables grâce à la relativité générale

    L'astrophysicien Peter McGill, de l'Université de Californie Santa Cruz, et ses collègues ont entrepris d'observer un effet de microlentille gravitationnelle causée par le transittransit d'une naine blanche bien connue du nom de LAWD 37, la quatrième connue la plus proche du SoleilSoleil après SiriusSirius B, Procyon B et l'étoile de van Maanen. Située à seulement quinze années-lumièreannées-lumière du Soleil dans la direction de la constellationconstellation de la Mouche, elle représentait donc une cible idéale comme l'explique McGill dans un communiqué de la NasaNasa et de l'Esa : « Parce que cette naine blanche est relativement proche de nous, nous avons beaucoup de données à son sujet -- nous avons des informations sur son spectrespectre de lumière, mais la pièce manquante du puzzle a été une mesure de sa masse ».

    Les données astrométriques de GaiaGaia avaient permis de prédire que LAWD 37 allait occulter une étoile en novembre 2019.

    Sur la base de ces données, les astronomesastronomes ont pu prédire que LAWD 37 passerait brièvement devant une étoile de fond en novembre 2019. Mais, comme son mouvement est lent, Hubble allait pouvoir prendre des mesures sur une période de plusieurs années.

    La naine blanche, appelée LAWD 37, brille au centre de cette image du télescope spatial Hubble. Sa température de surface est à environ 100 000 degrés Celsius. La boîte en médaillon montre comment la naine est passée devant une étoile en 2019. La ligne bleue ondulée retrace le mouvement apparent de la naine dans le ciel vu de la Terre. Bien que la naine suive une trajectoire rectiligne, le mouvement de la Terre en orbite autour du Soleil donne un mouvement sinusoïdal apparent dû à la parallaxe. © Nasa, Esa, P. McGill (<em>Univ. of California, Santa Cruz and University of Cambridge</em>), K. Sahu (STScI), J. Depasquale (STScI)
    La naine blanche, appelée LAWD 37, brille au centre de cette image du télescope spatial Hubble. Sa température de surface est à environ 100 000 degrés Celsius. La boîte en médaillon montre comment la naine est passée devant une étoile en 2019. La ligne bleue ondulée retrace le mouvement apparent de la naine dans le ciel vu de la Terre. Bien que la naine suive une trajectoire rectiligne, le mouvement de la Terre en orbite autour du Soleil donne un mouvement sinusoïdal apparent dû à la parallaxe. © Nasa, Esa, P. McGill (Univ. of California, Santa Cruz and University of Cambridge), K. Sahu (STScI), J. Depasquale (STScI)

    L'effet de microlentille gravitationnelle est une conséquence des équationséquations de la relativité généralerelativité générale d'EinsteinEinstein qui implique que la courbure de l'espace-tempsespace-temps, d'autant plus importante qu'il y a de la masse et que sa densité est élevée, dévie les rayons lumineux comme le ferait une lentillelentille. L'effet est important avec une galaxiegalaxie ou un amas de galaxiesamas de galaxies, ce qui permet de mettre en évidence de la matière noirematière noire, mais est aussi mesurable bien que ce soit difficile avec une étoile, voire une exoplanèteexoplanète massive.

    Hubble a donc permis d'estimer pour la première fois la masse d'une naine blanche seule et, dans le cas de LAWD 37, elle est de 56 % de la masse du Soleil.

    La série d'images de Hubble montrant le transit de la naine blanche. © Nasa, Esa, P. McGill (<em>Univ. of California, Santa Cruz and University of Cambridge</em>), K. Sahu (STScI), J. Depasquale (STScI)
    La série d'images de Hubble montrant le transit de la naine blanche. © Nasa, Esa, P. McGill (Univ. of California, Santa Cruz and University of Cambridge), K. Sahu (STScI), J. Depasquale (STScI)

    Connaissant la température de surface d'une étoile, ce qui se déduit de la forme de la courbe de son intensité lumineuse selon la loi du corps noircorps noir, connaissant aussi sa luminosité intrinsèque, on peut en déduire son rayon et voir si la relation entre sa masse et celui-ci est bien décrit à partir de l'hypothèse que la matière dans une naine blanche se comporte bien comme un gazgaz quantique dégénéré selon le jargon des physiciensphysiciens

    En fin de compte, les relations masses, rayons et luminosité sont en excellent accord avec la théorie de la structure stellaire des naines blanches et il s'agit de la première confirmation précise de ce genre avec un effet de microlentille pour une naine blanche isolée. De quoi encore renforcer notre confiance dans la théorie de la structure et de l'évolution stellaire.