Une récente étude longitudinale vient d'être publiée dans la prestigieuse revue The Lancet concernant la confiance qu'accordent les populations du monde entier à la vaccination. La France compte parmi les pays les plus défiants.


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    Cette récente étude longitudinale, publiée dans The Lancet, suit des populations du monde entier depuis 2015. Aujourd'hui, elle nous présente l'évolution de la confiance vaccinale à travers le monde entre 2015 et 2018. Que valent vraiment ces résultats ? Nous avons fait le point avec Lucie Guimier, docteure en géopolitique spécialisée en santé publique et Lise Barnéoud, journaliste scientifique, auteure de l'ouvrage « Immunisés ? Un nouveau regard sur les vaccins ? »

    Futura : Comment réagissez-vous à la position de la France dans cette enquête ?

    Lucie Guimier : Ce sont des résultats intéressants et sérieux, l'anthropologue Heidi Larson est une chercheuse reconnue dans ce domaine. La teneur quantitative de cette analyse est importante pour saisir les tendances spatio-temporelles de la perception vaccinale, qui est un phénomène fluctuant. Néanmoins, cela ne peut remplacer les enquêtes de terrain où l'on peut mieux saisir les finesses, les nuances, analyser les contextes géopolitiques, socio-économiques, etc. et tirer des conclusions plus qualitatives, plus précises, et qui nous informent sur « l'airair du temps » de ce sujet dans une société donnée. Pour répondre à des questions du type « Comment en vient-on à avoir une baisse/augmentation de la confiance envers la vaccination ? », les études qualitatives sont déterminantes. Et les auteurs en sont bien sûr conscients. 

    Lise Barnéoud : Indéniablement, l'étude est intéressante par son caractère longitudinal et reproductible dans le temps. Cependant, il est clair qu'on manque de nuances, les questions sont très globalisantes, il est difficile, via de tels questionnaires, de distinguer des antivaccins de personnes hésitantes se posant des questions au sujet de la vaccination

    Où se situe la confiance de la population envers les vaccins ? © Andrii Zastrozhnov, Adobe Stock
    Où se situe la confiance de la population envers les vaccins ? © Andrii Zastrozhnov, Adobe Stock

    Futura : Comment explique-t-on les différences entre les pays concernant la confiance accordée envers les vaccins ?

    Lucie Guimier : Il y a selon moi deux points importants à prendre en compte. D'abord, il y a ce que les vaccinologues appellent le « paradoxe vaccinal ». Lorsqu'on est encore en contact avec la maladie visée par un vaccin, on en mesure l'importance. À l'inverse, dès lors qu'une maladie ne touche plus une société donnée (grâce à la vaccination massive de la population), on a tendance à ne plus craindre cette maladie et à avoir plus peur des possibles effets indésirables, liés au vaccin, qu'aux effets de l'affection visée.

    Ensuite, il y a naturellement une grande palette de déterminants qui agissent dans ces différences entre pays mais, d'après mes observations, ce sont les contextes socio-politiques et médiatiques qui influencent le plus l'opinion publique en matièrematière de perception vaccinale. Très souvent, on observe que la confiance envers la vaccination peut chuter suite à une rumeur sur la supposée toxicité d'un vaccin, ou après qu'un accident vaccinal isolé a été notifié. La médiatisation et la prise de décision politique, par exemple l'arrêt d'une campagne de vaccination, dans ce type de mécanique polémique peuvent avoir des effets durables sur la perception vaccinale et s'accompagner d'une chute des couvertures vaccinales dans un pays donné. 

    Futura : Quelles sont les causes qui peuvent participer au phénomène de défiance envers la vaccination et réduire leur adoption ?

    Lucie Guimier : Comme je le disais, plusieurs déterminants sont à l'œuvre. Les résultats de l'étude confirment d'ailleurs des éléments que nous connaissions. Par exemple, le fait que l'adhésion à une religion, ou à des croyances de type « New Age », s'accompagne généralement d'une faible confiance envers les vaccins. Pour autant, les causes déterminantes sont souvent d'ordre géopolitique. Par exemple, comme le souligne l'étude, la Géorgie a connu en 2008 une baisse de confiance importante de la population envers les vaccins, ce qui est intimement lié avec un important activisme de mouvementsmouvements antivaccins sur les réseaux sociauxréseaux sociaux. L'Ukraine a également connu, en 2008, une importante chute de la confiance envers les vaccins après qu'une rumeur sur le décès d'un jeune homme des suites d'une vaccination contre la rougeole a été relayée par de nombreux médias. Le ministère de la Santé a contribué à répandre le doute en décidant de suspendre la campagne de vaccination face aux craintes de la population.

    L'accumulation de ces événements a déclenché un rejet généralisé des vaccinations infantiles, en forte régression dans le pays entre 2007 et 2010, dans une société qui comptait auparavant parmi les mieux vaccinées d'Europe. Cette situation était d'autant plus préoccupante que la situation politique de l'Ukraine, engagée dans un conflit armé avec la Russie depuis 2013, a favorisé l'apparition de nouvelles épidémiesépidémies (déstabilisation des campagnes de vaccination de routine, flux humains, conditions de vie) : en septembre 2015, l'OMSOMS signalait ainsi la paralysie de deux enfants contaminés par le poliovirus dans la région de la Transcarpatie, dans le sud-ouest du pays. Le dernier cas diagnostiqué en Ukraine datait de 1996. On peut aussi prendre l'exemple des Philippines où le gouvernement a lancé  une enquête après que 14 enfants sont décédés au cours d'une campagne de vaccination contre la dengue. Le vaccin en cause, le Dengvaxia produit par Sanofi présente des problèmes de sécurité chez les personnes n'ayant pas eu de primo-infection par la denguedengue. Tout cela participe de la défiance. Enfin, il faut garder en tête que les éléments qui favorisent la défiance sont souvent multifactoriels mais que les contextes dans lesquels la défiance prend place sont très souvent des contextes socio-politiques fragilisés.

    Se faire vacciner : entre obligation et recommandation. © Mongkolchon, Adobe Stock
    Se faire vacciner : entre obligation et recommandation. © Mongkolchon, Adobe Stock

    Futura : Comment faire en sorte pour que la population prenne les bonnes décisions en matière de vaccination ? Par exemple, contre la Covid-19

    Lucie Guimier : C'est une question complexe. Les autorités sanitaires sont en principe là pour évaluer le rapport bénéfice-risque des vaccins. Ensuite, il y a toute la question de savoir si l'on opte pour un principe d'obligation vaccinale ou si l'on choisit la simple recommandation. La tension entre obligation et recommandation vaccinale est une question qui accompagne l'histoire de la santé publique. Aujourd'hui, on cherche encore l'équilibre entre les deux. Pour la Covid-19, cela va à mon avis dépendre de la gestion qu'ont eue les différents pays lors de la pandémie. En France, il pourrait y avoir une accentuation des disparités nord/sud (existant déjà) concernant l'acceptabilité du vaccin, puisque indépendamment de l'argumentaire scientifique, on a vu des clivagesclivages politiques liés à la polémique de l'hydroxychloroquinehydroxychloroquine qui ont clairement joué la carte de l'opposition territoriale entre Paris et Marseille où certains élus ont déjà annoncé qu'ils n'accepteraient pas de se faire vacciner contre la Covid-19Covid-19.

    Lise Barnéoud : Il faut plus de transparencetransparence au sujet des vaccins et plus d'honnêteté intellectuelle de la part des anti-vaccins mais aussi des pro-vaccins. Le rapport bénéfice-risque vaccin par vaccin et la diminution du récit d'immuabilité envers cette biotechnologiebiotechnologie seraient louables. Pour la Covid-19, l'état de la pandémiepandémie au moment où le vaccin sera disponible sera, je pense, déterminant, pour son acceptabilité. 

    Pour résumer

    La question des vaccins et de la confiance qu'on leur accorde est une question cruciale pour la santé publique. Nous l'avons vu, plusieurs facteurs, principalement géopolitiques, déterminent cette défiance, alors que c'est plutôt des arguments scientifiques qui devraient la faire naître le cas échéant, dans une société dite rationnelle. Pour autant, la tension entre obligation et recommandation dont nous parlions est une question délicate. À court terme, les individus ne sont généralement pas armés pour faire des choix éclairés à la lumièrelumière des données scientifiques. C'est le rôle des agences sanitaires que de faire ce travail. La question de la communication se pose alors et nous en avions déjà longuement parlé au sujet des vaccins, dans un précédent article. Collectivement, nous allons devoir choisir le futur que l'on souhaite voir advenir : imposer, convaincre ou rebâtir un lien de confiance entre les États, les autorités de santé et les citoyens.